« AFFONDO » par Jean-Baptiste Sourou

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Couverture du livre Offondo, de Jean-Baptiste SourouOu quand le « Je » s’impose… Je suis convaincu qu’il est important de raconter, d’écrire, de parler, de sensibiliser. Nous ne parlons pas là de chiffres, d’origine de départ etc. mais d’êtres humains, femmes, hommes et enfants, qui ont décidé de partir. Leurs motivations nous regardent-elles ? Non. Quelles soient économiques, politiques, une simple envie de découvrir l’ailleurs – comme nous nous pouvons prendre un avion pour des vacances sous un ciel algérien ou tunisien…

J’ai séjourné à Lampedusa, l’île italienne où échouent la plupart des immigrés africains. Je me suis rendu plusieurs fois à l’ «Hôtel Africa», ces magasins insalubres, vétustes et nauséabonds se trouvant à quelques pas de la deuxième gare de Rome, Tiburtina. En cet endroit-là, logeaient dans des «conditions indignes des chiens italiens» des centaines de Soudanais, Erythréens et Somaliens dans l’attente de connaître l’issue de leur demande de statut de réfugiés en Italie.

Mais plus j’avançais sur ce terrain et plus je me rendais compte qu’il existait et existe encore une trop grande hypocrisie dans la gestion de l’immigration, une véritable ignorance à plusieurs niveaux ; attitudes qui traduisent des fois un mépris de ces hommes et de ces femmes qui dans leur grande majorité sont à la recherche d’une vie meilleure.

D’autre part, leur sort semble ne pas préoccuper ceux qui devraient vraiment, à mon avis, en premier lieu s’y intéresser : les dirigeants africains. Puis il y a aussi le traitement que réservent les médias à cette immigration. Et goûte d’eau qui a fait déborder le vase : l’affaire de Rosarno en janvier 2010. Suite au massacre de 7 des leurs par la mafia locale, des centaines d’immigrés africains surexploités et sous-payés par des fructiculteurs calabrais s’étaient soulevés pour dire leur mécontentement. La population locale a eu peur. L’unique réponse du ministre italien de l’Intérieur était que c’était la « trop grande tolérance des autorités locales qui permettaient à ces immigrés d’agir en toute impunité ».

La question à laquelle M. Roberto Maroni n’a jamais voulu répondre était de savoir qui fait tourner l’agriculture du sud de l’Italie et qui cueille les kiwis, oranges et mandarines qu’il déguste à table. Tout cela m’a poussé à écrire, faisant des immigrés eux-mêmes les protagonistes de mon livre. Ils ne sont pas écoutés.

Le désenchantement des immigrés

Ces femmes et hommes venus d’Afrique se rendent malheureusement trop vite compte que l’Europe n’est cette terre des merveilles dont ils rêvaient ou que quelqu’un leur a voulu faire croire. C’est ce que Lia, la jeune Erythréenne, Deng et Mohammed, les Soudanais et d’autres encore m’ont confié. « Je me serais endettée s’il le fallait pour venir en Europe », dit-elle. C’était l’unique solution pour fuir la guerre, les barbaries et l’arbitraire que connait son pays.

Mais après la fuite par le Soudan, la traversée du désert, le séjour en Libye pour payer les passeurs et le voyage sur la Méditerranée, où elle disait avoir vu la mort venir d’un moment à l’autre, en Italie, le statut de réfugiée lui a été refusé. Elle était si désillusionnée quand je l’ai rencontrée cette après- midi -là à l’ « Hôtel Africa ». « Moi je disais Europe, Europe, Europe… mais où c’est l’Europe ? Je veux le dire à tous mes compatriotes, mieux vaut souffrir la guerre dans son propre pays que de venir vivre dans ces conditions indignes des chiens italiens », affirme-t-elle. Elle n’est pas la seule à penser cela. Quant à Deng, le statut de réfugié lui a été accordé, mais il considérait le permis de séjour censé lui permettre de trouver du travail comme « une relique » dans son gîte de cartons. La raison est simple : «quel Italien veut embaucher un Soudanais qui sent mauvais et ne se lave pas ?». Le désenchantement conduit plusieurs de ces immigrés à perdre la raison, à s’adonner à la drogue, à l’alcool, si la mafia ne les récupère pas entre temps.

L’arrivée en Italie ou en Europe est loin d’être la fin de leurs cauchemars. Puis il y a tant d’autres situations de morts violentes dont je parle dans mon livre. Le sort de ces Africains est comparable à l’image de quelqu’un qui échappe au lion en brousse et se fait mordre par une vipère quand il pense avoir trouvé un refuge.

La guerre des chiffres
ou la perte du sens d’humanité

Etant moi-même du métier, je me rends compte que les médias sont seulement à l’affût des drames les plus spectaculaires de l’immigration. Alors l’on déploie une armada de confrères, les chiffres font la une pour quelques heures et puis silence jusqu’au prochain naufrage meurtrier. Il y a trop d’amateurisme et du voyeurisme dans le traitement que beaucoup de médias réservent aux « mésaventuriers » africains.

Je me demande bien souvent s’il s’agit d’une perte du sens d’humanité dans les médias. Cela me fait de la peine quand les médias ne se rendent pas compte qu’ils ressassent un drame humain qu’ils ne contribuent en rien à changer. Regardez les télévisions italiennes pour vous rendre compte de leur légèreté dans le traitement des drames de l’immigration dite clandestine. Va-t-on me demander si c’est un impératif de notre commune tâche ?

L’Europe ne veut pas aller à la racine
de la question de l’immigration

Face au drame de l’immigration africaine par la Méditerranée, la bonne solution que semble avoir trouvée l’Europe est de mettre sur pied l’opération Frontex pour le contrôle de ces frontières maritimes, et de signer des Accords avec les Etats Africains foyers de départ des «candidats».

Je qualifie de marché de dupe ces accords qui ne font que transformer les pays africains en gendarmes de l’Europe. Comment un gouvernement africain (ghanéen ou sénégalais, par exemple) peut il accepter des vedettes, des véhicules tout terrain, des jumelles et autre équipement pour éviter que ces jeunes partent pour aller chercher à vivre mieux ailleurs ! Est-ce par manque de courage, est-ce pour d’autres raisons ?

La solution à l’immigration «clandestine» peut-elle consister seulement à retenir les candidats chez eux ? Quelles alternatives leur offre-t-on ? L’Afrique devrait-elle accepter d’être le gendarme de l’Europe ? L’Europe sait aussi bien que quiconque ce qu’elle doit faire, mais elle préfère s’enliser dans des conférences sur l’immigration !

Afrique : la grande absente et la grande muette

Au-delà de tout, c’est le silence du continent africain qui m’étonne. Comment l’Afrique, ses institutions politiques continentales et régionales ne s’asseyent pas pour discuter sérieusement de l’immigration et y trouver des solutions appropriées. Le continent observe un silence que je qualifie d’assassin et meurtrier. Chaque jour, des dizaines voire des centaines d’Africains deviennent pâture des poissons de la Méditerranée. L’Afrique ne s’en préoccupe point. Alors que c’est ici que se trouvent les vraies causes des drames : guerres, non respect des droits de l’homme, arbitraire, barbaries, corruption, etc.

Je suggère dans mon livre que nous les Africains nous fassions pression sur nos gouvernements plutôt que de manifester seulement dans les villes européennes. C’est aux Africains d’agir en premier, de mettre sur pied une série de structures et conditions sociales, politiques et économiques pour que les jeunes réalisent sur place leurs rêves. Puis l’Occident doit accompagner l’Afrique dans ses efforts. Tant que l’Europe continuera à tisser des relations économiques et politiques iniques avec l’Afrique, les immigrés africains constitueront son casse -tête. J’en suis plus que convaincu.

 

Jean-Baptiste Sourou

Jean-Baptiste Sourou est journaliste, enseignant.
www.sourou-onsite.com

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