A tous les journalistes de RD Congo et d’ailleurs…

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Mon frère s’appelait Didace Namujimbo

Je crois que je ne me pardonnerai jamais de lui avoir donné le goût du journalisme et de lui en avoir appris les premières ficelles… Si je pouvais un seul instant me douter de ce qui l’attendait, je suis aujourd’hui convaincu que je l’aurais plutôt encouragé à poursuivre ses études à l’Institut supérieur de développement rural de Bukavu. Ou encore sa passion pour le basketball.

Bien souvent je me rappelle nos journées surchargées au studio de la Radio du Peuple, en novembre 1996, lors de la prise de la ville de Bukavu puis de tout l’est de la RDC par les forces rwandaises dirigées par Laurent-Désiré Kabila, le tombeur du maréchal Mobutu.

Ayant été l’un des rares journalistes resté dans la ville alors que les trois quarts de la population de la ville avait fui les combats et les règlements de compte, les nouveaux dirigeants m’avaient pris en otage et obligé de créer et de diriger la station de radio, destinée à inciter la population à revenir en ville, redevenue calme après la fuite éhontée de la soldatesque de Mobutu.

Confronté à l’énormité de mes nouvelles «fonctions», j’avais fait appel à Didace – tout le monde le connaissait alors sous le nom de Munyi, diminutif de son vrai nom, Munyiragi, “ le chanceux” en Mashi, notre langue maternelle – et à d’autres jeunes gens pour m’aider à diffuser les messages de l’AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo – Zaïre, la formation politique des agresseurs) ou encore à aider les parents à retrouver leurs enfants, renseigner la population sur les distributions de vivres ou de médicaments, l’organisation des nouveaux services administratifs etc.

Je n’oublierai jamais combien Didace était nerveux, et plutôt deux fois qu’une – chaque fois que des soldats patibulaires rwandais lourdement armés nous tenaient compagnie dans le studio, chargés de vérifier que nous lisions bien les communiqués de leurs chefs sans commentaires et sans y ajouter une virgule.

N’empêche que c’est alors que la passion du journalisme s’est emparée de Didace, surtout le journalisme radio, et qu’il choisit d’en faire son métier et l’amour de sa vie.Il est vrai qu’à l’époque notre métier n’était pas encore devenu cette profession à hauts risques comme aujourd’hui.

Le journalisme était plutôt, à ce moment-là, surtout pour les jeunes, une occasion en or de frimer, de se faire remarquer auprès des filles et des potes, de se créer des relations. En quelques mois seulement, Didace était devenu une grande vedette dans notre petite ville de 500.000 habitants.

Ce qui ne l’empêchait pas de suivre assidûment le programme de formation en journalisme et animation radio que je lui avais imposé, à sa demande, et de passer toutes ses nuits à bouquiner à corps perdu des livres sur la profession que je lui passais ou qu’il trouvait par lui-même en d’incessantes et pas toujours fructueuses recherches.

Ainsi Didace se fit un nom, d’abord à la RTNC (radiotélévision nationale congolaise) et puis, depuis 2002, à radio Okapi de la Mission des Nations unies en RDC.Saurons-nous un jour pourquoi on l’a tué ? Jalousie de certaines personnes mal intentionnées ? Souci de le réduire au silence après qu’il eut découvert des choses à ne pas divulguer lors de ses reportages ? L’aurait-on confondu avec moi, la bête noire des autorités politiques et militaires comme le soutiennent certains ?

>Les questions se bousculent toujours dans ma tête et dans celle de tous les habitants de la région. Je ne crois pas – personne ne le croit, par expérience, que c’est du simulacre de procès en cours que viendra la vérité. Pascal Kabungulu en mai 2005, Serge Maheshe en juin 2007, Didace Namujimbo en novembre 2008…

Trois journalistes assassinés par balles dans une même ville en seulement trois ans, dans des circonstances identiques, avec le même scénario de procès qui semble plus protéger les présumés assassins que chercher la vérité sur les causes et les motifs de leur élimination. Pas plus d’ailleurs que pour Bruno Koko Cirambiza, assassiné en septembre 2009, ou encore Patient Cebeya, abattu en avril 2010 à Beni, à 300 km de Bukavu.

Paix à leur âme et honneur à la mémoire de ces combattants de la justice et de la démocratie. Pas très encourageant pour les journalistes du Kivu, dont beaucoup changent de métier ou s’exilent…

Déo Namujimbo, journaliste indépendant, frère de Didace.

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