Au-delà du cas El-Béchir, quelle justice internationale voulons-nous?

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Un mandat d’arrêt a été émis voici un an par la Cour pénale internationale, à la suite de sa saisine par le Conseil de sécurité, contre le chef d’Etat du Soudan pour crimes de guerre et contre l’humanité. Le procureur avait demandé aussi une incrimination pour génocide, non retenue. Il a fait appel. Les combats ont aujourd’hui presque cessé.  Des crimes très graves ont eu lieu, surtout de 2003 à 2005.

Certaines organisations humanitaires présentes sur place ont cependant un point de vue plus nuancé que celui du procureur. Le Soudan a ratifié en 2006 (et respecte un peu mieux depuis)  les Protocoles additionnels aux Conventions de Genève qui protègent les civils contre les effets des hostilités (ce que les Etats-Unis entre autres n’ont pas fait).

Le mandat d’arrêt, le premier contre un chef d’Etat en exercice, a été salué comme une grande victoire contre l’impunité par des organisations telles que la FIDH ou Amnesty international, opposées à toute interruption de la procédure même pour favoriser  le retour à la paix : l’idée est qu’il n’y a pas de vraie paix sans justice, nécessaire aussi pour éviter de nouveaux drames. 13 organisations humanitaires  ont été expulsées à la suite du mandat d’arrêt, certaines ont pu revenir depuis.

Les chefs d’Etat de pays africains et arabes, y compris ceux d’Etats parties à la Cour (ce qui les oblige en principe à coopérer,) ont déclaré qu’ils n’appliqueraient pas ce mandat. Sont-ils un « syndicat du crime » selon une expression citée par Simon Foreman, président de la Coalition française pour la CPI ? Ils soulignent d’abord qu’il s’agit d’une justice sélective.

Le Conseil de sécurité n’a pas saisi la Cour  pour les crimes occidentaux ou israéliens et le procureur, qui aurait pu proposer des mandats d’arrêt contre les dirigeants US et britanniques (la Grande-Bretagne et l’Afghanistan étant Etats parties) a refusé pour l’Irak et « étudie le dossier »  pour l’Afghanistan. Il n’a pas fermé la porte  pour Gaza, mais il est trop tôt pour savoir ce qu’il fera  et si les dirigeants, et non quelques exécutants, seront poursuivis. Une autre question est celle de l’immunité des chefs d’Etat, souvent considérée comme partie du « droit coutumier » mais exclue par le Statut de la CPI.

La  Cour internationale de justice  a estimé que chefs d’Etat et ministres des affaires étrangères ne peuvent être poursuivis que dans leur propre  pays ou devant un  tribunal international : ce pourrait être le cas de la CPI, bien que seuls 110 pays y aient adhéré, si elle agit sur demande du Conseil de sécurité. Un malaise subsiste cependant : ce dernier  n’est pas neutre et les pays occidentaux ont une vision bien particulière des immunités, comme on l’a vu en France dans le cas Rumsfeld.

Le chef d’Etat soudanais sera peut-être jugé dans un avenir plus ou moins proche, à la suite de changements internes au Soudan ou d’arrestation lors d’un voyage à l’étranger. La lutte contre l’impunité sera loin d’en être pour autant terminée.

 

Daniel Lagot

Daniel Lagot

Daniel Lagot, président de l’ADIF, Association pour la défense du droit international humanitaire, France