Au Liban, les réfugiés invisibles…

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Réfugiés Syriens
Nord Liban. École où sont logés des réfugiés syriens à Al Rama, village situé à Wadi Khaled, dans le caza du Akkar, limitrophe aux frontières avec la Syrie. Dans cette école les réfugiés, pour la plupart de Tell Kalakh (Syrie), sont arrivés il y a 10 mois. Amal avec Brahim son fils de 12 ans. © Aimée Thirion

Avril 2011, les premiers réfugiés syriens franchissent la frontière avec le Liban. Un an plus tard, ils seraient près de 30 000 au pays du Cèdre, selon les associations d’aide aux réfugiés. Malgré le réseau qui s’est constitué pour leur prêter assistance, leurs conditions de vie restent toujours très précaires. Reportage au Nord du Liban.

Cela fait presque un an, mais Amal s’en souvient comme si c’était hier. Les chars qui ont encerclé Tall Kalakh, les chabbiha qui ont défoncé la porte de sa maison, la fuite précipitée, avec quelques affaires. Et une image qui la hante toujours : sa voisine, deux pas derrière elle, atteinte d’une balle dans le dos, alors qu’elle  franchissait le dernier pont pour arriver au Liban. «C’était une vielle femme, nous n’avons pas pu aller la chercher», raconte Amal, au bord des larmes.

Amal arrive alors avec son mari et ses cinq enfants dans l’école abandonnée d’Al Rama, à quelques kilomètres de la frontière syrienne, depuis réhabilitée par le Haut commissariat aux réfugiés des Nations unies (UNHCR). Onze mois plus tard, elle y loge toujours avec près de 150 personnes, et rien n’a changé. La famille vit confinée dans une ancienne salle de classe de quelques mètres carrés. Près de l’entrée, un poêle à bois, de fins matelas posés à même le sol, des vieux cartons entassés, et au centre de la pièce, un fil à linge où sont suspendus en vrac quelques vêtements. « Nous recevons de l’aide trop rarement. Il nous manque de l’argent pour acheter des légumes et de la viande, le café et les cigarettes sont devenus un luxe. Et les enfants tombent malades, car  nous sommes parfois obligés de boire de l’eau qui n’est pas potable», raconte la maman de 40 ans, en réajustant discrètement sa djellaba violette. La famille ne bénéficie que de quelques heures d’électricité par jour, et s’éclaire certains soirs à la bougie.

« Une prison à ciel ouvert »

«Comment pouvons nous vivre ? Nous n’avons pas de ressources financières, et il est très difficile de trouver du travail. Le gouvernement libanais nous empêche de sortir de la région de Wadi Khaled. Nous vivons dans une prison à ciel ouvert », s’indigne Mahmoud, un réfugié de 47 ans, de passage à l’école. Wadi Khaled : une zone de 22 villages frontaliers avec la Syrie, que l’armée libanaise a totalement bouclé. La plupart des 2500 familles qui sont arrivées là ont franchi la frontière illégalement afin d’éviter les barrages de l’armée syrienne. S’ils tentent de passer les check points de l’armée libanaise, ils sont systématiquement arrêtés, puis relâchés. Le UNHCR a demandé à ce qu’ils obtiennent des permis de libre circulation dans tout le Liban, mais les négociations piétinent depuis novembre.

Le gouvernement a également refusé l’installation de camps de réfugiés, comme en Turquie. Les enjeux sont surtout politiques : le Hezbollah – proche du régime syrien – et ses alliés, refusent l’installation de tentes afin de ne pas rendre visibles les réfugiés. « On ne veut pas les stigmatiser, installer des camps pose aussi la question de la sécurité, cela renforce les risques d’abus sexuels », soutient Dana Sleiman, responsable de la communication au UNHCR. A Wadi Khaled, la question du logement est encore maîtrisée, car la plupart des réfugiés sont dépannés par des familles libanaises. De part et d’autre de la frontière, des liens de parenté très forts existent. Mais à Tripoli, deuxième plus grande ville du Liban, à 20 km de la frontière,  les réfugiés arrivent en terrain inconnu. Ce sont des associations caritatives libanaises qui ont dans un premier temps aidé à trouver des logements, à financer les loyers, mais elles ne peuvent plus le faire aujourd’hui. «Il y a un an, il n’y avait que quelques familles, mais maintenant elles sont des dizaines qui viennent s’enregistrer chaque semaine dans nos locaux. Nous avons compté plus de 10 000 réfugiés dans Tripoli et ses banlieues, nous sommes dépassés », admet Ahmed Moustapha Mohammad, directeur d’Al Bachaer, une association islamique qui vient en aide aux réfugiés.

« Je remplis le biberon de ma  fille avec du thé »

Certains réfugiés se retrouvent à louer des taudis à des propriétaires libanais peu scrupuleux. Des dizaines de familles se sont par exemple installées ces derniers mois dans le bidonville d’Hay el Tanak, près du port de Tripoli. Oum Mouhammad habite avec son mari et ses quatre enfants dans un trois pièces humide et sombre, aux murs nus et lézardés, derrière une marbrerie. « Depuis deux jours, je suis obligée de remplir le biberon de ma petite fille avec du thé parce que le lait coûte trop cher. Alors comment voulez-vous que je trouve 200 dollars pour le loyer? Cela fait deux mois que nous n’avons rien payé, nous pouvons être mis à la porte à tout moment», s’inquiète t-elle. « Nous ne pouvons pas retourner en Syrie, nos voisins nous ont dit que notre maison avait été détruite, poursuit calmement la maman, qui vivait près du quartier d’Al Bayada, à Homs. Dans la famille de mon cousin, quatre personnes viennent d’être tuées dans le bombardement de leur maison. Il faudrait être fou pour retourner dans cet enfer».

 

Un réseau d’aide qui s’organise lentement

Plusieurs réseaux d’aide aux réfugiés se sont mis en place : d’abord un réseau officiel, avec le Haut commissariat aux réfugiés des Nations unies (UNHCR), qui travaille en étroite collaboration avec le Haut comité de secours libanais, un organisme d’urgence dépendant du Premier ministre libanais. Près de 12 000 réfugiés sont enregistrés auprès du UNHCR et reçoivent des aides au moins une fois par mois. Le Haut comité de secours libanais finance aussi les soins intensifs des blessés syriens. Mais seulement une partie des réfugiés sont enregistrés au UNHCR : ils craignent que leurs noms ne soient transmis au gouvernement libanais, puis à Damas. Et l’enregistrement se fait au compte goutte, le Haut comité de secours libanais n’ayant accepté de venir en aide aux réfugiés de Tripoli qu’en février 2012, et refusant encore d’intervenir dans la plaine de la Bekaa, où sont réfugiées plus de 9000 personnes.

La région, à l’est du Liban, est contrôlée par le Hezbollah. Parallèlement aux canaux officiels, la société civile a joué dès le début un rôle crucial : une coalition de 28 ONG libanaises caritatives – pour l’essentiel islamiques – s’est constituée au Nord du Liban pour optimiser l’aide aux réfugiés, et certaines organisations syriennes interviennent aussi, notamment le Haut comité de secours syrien. Fondé par des Syriens de la diaspora, il fournit des aides alimentaires, prend en charge le rapatriement des blessés syriens vers le Liban et finance leur convalescence.

 

 

Abgrall Thomas

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Abgrall Thomas, journaliste.

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