Australie : terre lointaine, peuple oublié?

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Le Kangourou, symbole de l'AustralieTerra Australia incognita, puis Terra Australia, le vent qui souffle du sud, une île mystérieuse ou une sorte d’énorme terre préhistorique, pour certains, il y a quelques siècles. Jusqu’à ce que les explorations aillent de plus en plus loin et, soient de plus en plus audacieuses. Jusqu’à ce que James Cooks débarque, après une périlleuse aventure, au Cap York le 22 Aout 1770. Jusqu’à ce que « Cook claimed it for Britain and named it New South Wales »(1).

Un jardin et une mère pour d’autres, il y a plus de 40 000 ans, quand les aborigènes vinrent à elle. Ils n’ont pas cherché à la dominer, car elle était si belle, si impressionnante et si nourricière. Ils ont cohabité avec cette Terre ainsi qu’avec ses autres habitants : aigles, perroquets, pélicans ; lézards, serpents, araignées ; fourmis, moustiques et autres insectes, les kangourous, les wombats et les dingos ; les arbres, les rivières et les déserts… Puis ils les ont nommés et honorés, comme on nomme et on honore des divinités. Après plusieurs vagues d’immigration, l’Australie est devenue un pays anglo-saxon. Un pays avec une constitution et des lois, séparé en plusieurs états et où le capitalisme domine.

L’Australie est un pays riche, un pays du « Nord », et est aujourd’hui une terre de rêves et d’opportunités pour toute une nouvelle génération. Pendant ce temps, une majorité d’aborigènes se languit et trinque à des jours meilleurs. Mais l’Australie est toujours sauvage, et vivante. Beaucoup d’australiens se soucient de la nature, environ 10% de son territoire est protégé (dont presque 4% sous forme de parcs nationaux) (2)et 70% du pays est composé de terres arides ou semi-arides (de déserts). Sur leur territoire se trouve le plus gros rocher du monde (Burringurrah (3). Ils ont des canyons majestueux(King’s Canyon), ils partent pêcher sur la plus grande île de sable du monde (Fraser Island), leur contrée abrite quelques unes des espèces les plus dangereuses au monde et certains des plus vieux et grands arbres de la planète… Bref, la nature est là et leur saute aux yeux.

Certains d’entre eux se sont battus pour leurs droits, il y a 40 ans, à Nimbin, lors du Woodstock Australien (The Aquarius Festival). Ils se sont ensuite installés dans cette région et tentent de la protéger. Leur plus grande victoire restant la sauvegarde de la forêt grâce à leurs luttes pour l’interdiction de la coupe industrielle du bois, à Terania Creek en 1979 et au Mont Nardi en 1982. Et ils continuent encore aujourd’hui, à Casino, où des fermiers (« somerednecks »), des habitants, et des activistes écologistes se rassemblent contre l’exploitation du gaz de schiste et ont lancé une campagne LockTheGate (4) locale. Ils viennent d’ailleurs d’y ouvrir un nouveau centre environnemental. Lors de la soirée d’inauguration, un aborigène d’une quarantaine d’année, tout de jean vêtu et ayant fait de courtes dreadlocks avec ses cheveux grisonnants, a prononcé un discours très juste : I don’t care about the colors, we are all here, from everywhere, for the earth. That’ swhatis important (5). Ce qui, lorsque l’on connaît l’histoire et le passé de l’Australie, et les tensions qui y règnent encore, peut paraître très progressiste (6).

Cela change radicalement des images que l’on voit en regardant Enquête exclusive sur M6, le dimanche soir, tard. Car il y a également cet autre « australien d’avant », ce ranger aborigène des territoires du nord, qui a réussi, grâce à son indignation et à ses diverses objections répétées, à faire stopper l’exploitation d’un filon d’uranium et que la terre sur laquelle il se trouve soit rattachée au parc national le plus proche (7).

La réalité est loin encore des images d’Epinal, renvoyées encore une fois par Enquête exclusive, sur les bienfaits et les opportunités extraordinaires que l’on doit à l’exploitation minière en Australie. L’étalage des richesses personnelles amassées grâce à ces terres, présentées comme un nouveau Far West, où certains creusent pour quelques onces d’or, y était indécents (8).

Cet argent provient d’un crime, contre la planète et contre le bien être de l’humanité. Tous ces millionnaires accaparent nos ressources naturelles, alors que nous sommes tous nés sur cette planète, et devrions logiquement tous avoir les mêmes Droits concernant l’accès à ces ressources qui sont vitales. Et les personnes qui exploitent et détiennent ces ressources ne sont pas seulement en train de voler leurs concitoyens, mais aussi les générations futures. Ils transforment des richesses naturelles indispensables à la bonne marche de nos écosystèmes, en argent et en biens de consommation.

Ainsi, en brûlant (9) ces ressources, apparaît de la matière exogène dans l’équation bilan. C’est alors que se créent et se perpétuent les inégalités, par l’héritage et la reproduction sociale. Bien que des fortunes se fassent et se défassent certainement chaque jour et que de grands philanthropes et défenseurs des droits soient issus des riches strates de la société.

Mais le pire est que cela prend plusieurs générations de reconstituer ce stock de ressources. S’il ne devait y avoir qu’un seul argument en faveur de l’écologie, cela devrait être celui pour une gestion rationnelle des ressources, l’empirisme dans ce cas ne mènera qu’à notre désarroi lorsque plus aucune ressource vitale ne sera disponible (10).

Cependant, la raison semble de plus en plus revenir à la mode. Le mouvement pour la décroissance, longtemps décrié comme un courant de pensée irrationnel et inhumain, alors qu’il est tout le contraire (11), se structure et des idées ne cessent d’émerger. En témoigne l’engouement qui existe autour des travaux de Robert Constanza, notamment lors d’un récent colloque organisé par l’Institut du Développement Durable et des Relations Internationales (IDDRI).

Ainsi nous devons gérer nos ressources, et pour cela nous avons peut-être besoin d’écouter ces fameux « aborigènes » ; dans certaines zones du pays, par exemple, ce sont les seuls à être autorisés à chasser, car ils le font selon leurs besoins, en respectant les cycles naturels. Il faut donc réfléchir et prendre en considération les identités locales, les personnes qui sont directement impactées, affectées et impliquées dans le milieu socio-naturel. Il faut apprendre de leurs connaissances et leur assurer la liberté de choix, leur droit au bonheur.

Regardons des initiatives comme celles du Chef Raoni, ou du plaidoyer de Survival International et voyons que des communautés, qui sont complètements à l’opposé du modèle dominant (12) ; des modes de vie qui généralement se font emporter car ils ne répondent pas à certains canons qui cadrent une sorte de société monde ; arrivent à se faire respecter et à se faire écouter du monde entier. L’Australie, en plus d’avoir une faune et une flore extraordinaire de beauté et de complexité, a la chance d’avoir des descendants de chasseurs-cueilleurs parmi ses citoyens.

Ainsi, l’Australie est un bon endroit pour étudier ces problématiques de Droit des peuples, car ceux des aborigènes ont été bafoués et certains textes parlent même de génocide. Un processus de réconciliation nationale a d’ailleurs été mis en place en 1992, et depuis, des signes forts et symboliques sont apparus. Un peu comme en Amérique du sud, les traditions de tous commencent peut-être à être respectées.

L’Australie tend à prendre des décisions importantes mais reste tout de même très timide, et surtout, est assise sur un gros tas d’or (au propre comme au figuré). La désignation de Terra Nuillus a été refusée par les juges en 1992 (13), ce qui pourrait être un exemple pour bien des peuples. Bien que la portée de la décision puisse paraître limitée du fait de son caractère national, une règle de droit internationale pourrait bien émerger si d’autres juridictions venaient à rendre des décisions similaires.

Mais comme souvent, après les paroles, ils manquent les actes bien entendu, et la situation des « abos » reste bien souvent désastreuse. C’est là que les organisations internationales ont un rôle à jouer. Car des institutions existent avec des chartes et des constitutions, approuvées par les Etats. Ces textes, comme la Charte des Droits de l’Homme par exemple, sont des textes qui défendent les peuples, les citoyens, les communautés, les individus, qu’importe leur nom, les Hommes.

Ainsi, le Droit International a son importance dans la régulation, car les entreprises multinationales sont puissantes et leurs ramifications politiques sont importantes. Certains dirigeants, ceux et celles qui gouvernent le destin des autres, doivent être contrôlés par des règles à leur hauteur.

Les multinationales agissent souvent en toute liberté et sous un contrôle inexistant, tellement le droit est facile à contourner pour elles (exonérations fiscales, droits sociaux inexistants, normes environnementales absentes), les droits locaux sont bien souvent défaillants. Les Bangladais n’ont-ils pas le Droit de ne plus se tuer pour produire nos vêtements ? Est-ce parce que l’Etat ne les protègent pas qu’une conscience collective ne pourrait le faire ?

Croire en la pression par la consommation, c’est à dire par la demande est inconcevable. La demande est guidée par la raison (le coût) et le cœur (la mode), tant que les sweaters fabriqués aux Bangladesh seront les moins chers et distribués par H&M, ZARA et autres, ils se vendront. Les questions de la globalisation et de gouvernance mondiale sont très controversées. Mais avec des institutions démocratiques, contrôlées par cette fameuse multitude, à travers les ONG et les associations, les forums internationaux et les manifestations, si chacun pouvait avoir une voie à une tribune internationale et si chacun se devait de l’écouter, peut-être nous sentirions nous plus respectés.

Il n’est pas simplement question de majorité, ou de démocratie, qui n’est bien souvent qu’un vain mot. Nous devons et nous pouvons inventer plein de systèmes d’organisations (ou de désorganisations) sociales ou politiques, c’est aux personnes de choisir la manière dont ils veulent vivre. Ici encore, Nimbin est un bel exemple, lieu d’expérimentation sociale par excellence. On y trouve des coopératives, des associations, des idées sur les financements alternatifs, sur la propriété, des communautés, une architecture différente, un festival, un comité du voisinage, des projets… Et d’autres villes, dites villes (ou territoires) en transition, abritent des citoyens prêts à changer leurs relations à la nature et aux autres. L’un des maux de l’Australie aujourd’hui est l’exploitation minière.

On assiste ici à une parfaite illustration des relations qui existent entre ces grands groupes internationaux qui semblent si lointain, en hauteur, et ces communautés locales qui nous paraissent si proches de la Terre. Un compromis historique régule jusqu’alors l’exploitation des terres par les groupes miniers, une compensation financière envers les tribus étant prévue.

Mais les choses pourraient bien changer et tous n’acceptent pas l’argent (14). Des décisions de portées plus larges pourraient être prises par les tribunaux australiens, ou par des tribunaux internationaux. La grande barrière de corail, protégée par l’Unesco, par exemple est menacée par l’exploitation du charbon. Ces décisions pourraient avoir des répercussions sur d’autres situations ailleurs dans le monde. Ou bien, les australiens pourraient trouver des exemples dans les luttes des Sud américains à propos des exploitations minières.

La mondialisation n’est pas que marchande, elle est aussi humanitaire… D’ailleurs, à propos de l’époque coloniale australienne : « il y avait tout au long de cette période, un influent lobby humanitaire, qui protestait contre les brutalités et imaginait des formes d’aide aux aborigènes. » Et « pour comprendre le développement de la politique des droits à la terre australienne, il est nécessaire de connaître cette histoire coloniale, de tradition humanitaire ». Il est rare de voir apparaître cela dans les historiques de l’humanitaire. Alors qu’il y eu des conflits armés jusqu’en 1828, puis les aborigènes commencèrent à être placés (et déplacés) dans des réserves, camps de déportations ou goulags australes ; ces pratiques humanitaires seraient donc bien anciennes.

Ainsi, l’Australie a de multiples visages, elle est parfois impudique et irrationnelle ; mais l’Australie est aussi prude et timide. Elle cache certaines choses à l’étranger, qui doit écouter attentivement s’il veut en apprendre plus.

(1) Cook planta le pavillon britannique et l’appela Nouvelles Galles du sud, source : http://www.bbc.co.uk/history/historic_figures/cook_captain_james.shtml
(2 )Source : http://australia.gov.au/about-australia/australian-story/national-parks
(3) Uluru n’a en fait que la seconde place
(4) Campagnes et actions anti gaz de schiste – http://www.lockthegate.org.au/
(5) « Je ne m’intéresse pas à la couleur des uns et des autres, nous sommes tous là, de différente régions, pour la même raison, la Terre. C’est ça qui importe.» Étaient à peu près ses mots.
(6) Voir : http://agoras.typepad.fr/regard_eloigne/2009/12/ils-avaient-dit-terra-nullius-le-destin-des-aborigenes-daustralie2.html
(7) http://www.lepetitjournal.com/melbourne/economie/142086-uranium-victoire-aborigene-contre-le-geant-areva
(8) Émission du 24 février 2013
(9) Destinée la plus commune de tous matériaux, même en ayant été manufacturés.
(10) « Quand le dernier arbre sera abattu, la dernière rivière empoisonnée, le dernier poisson pêché, alors vous découvrirez que l’argent ne se mange pas » Proverbe Cree (indiens du Canada)
(11) Comment ne pas accepter l’argument qui énonce qu’ « une croissance infinie dans un monde fini » est impossible ? Les études concernant l’exploitation hypothétique de ressources extra-planétaires tendent à prouver que nos dirigeants l’ont compris .
(12) Celui qui s’est étendu et répandu avec une efficacité redoutable mais non sans faille, la marchandisation et les échanges internationaux grâce à une compression de la carte distance temps du monde qui s’accroit
(13) Source : http://agoras.typepad.fr/regard_eloigne/2009/12/ils-avaient-dit-terra-nullius-le-destin-des-aborigenes-daustralie2.html (14) Jeffrey Lee par exemple

 

Lucas Corsini

Lucas Corsini

Jeune diplômé en Coopération et Solidarités Internationales, Lucas Corsini travaille sur une cartographie mondiale des solidarités via le site internet unlimited-projects.org. Passionné d’économie sociale et solidaire il se spécialise aujourd’hui dans le secteur de l’énergie.

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