Boubacar Diallo : « Sauver tous les petits Théo »

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Attablée devant un café brûlant dans un bar de Reykjavik, je me remémore ma dernière rencontre avec le Docteur Boubacar Diallo, il y a de cela quelques jours, en France. Dehors souffle une bourrasque glaciale. Il est près de minuit. Il fait grand jour. Un moment unique pour se souvenir des paroles de ce « médecin-humanitaire »…

Quelques mots d abord sur le délicat exercice du portrait. Rédiger le portrait intellectuel de quelqu’un, surtout quand le quelqu’un en question est vivant et bien vivant, revient un peu à faire la conversation avec une oie avant de manger du foie gras. Ou à une vivisection, c’est selon.

Boubacar Diallo n’a rien d’un de ces intellectuels égocentriques et pédant comme le centre de Paris sait si bien en produire. Parler de lui, ça le gêne. Il a surtout accepté de jouer le jeu de la rencontre pour faire connaitre l’association qu’il a créée. Moi, je suis surtout là pour raconter le parcours de ce guinéen, devenu médecin parce que gamin, l’envie l’a pris de comprendre comment fonctionne un cœur. Alors quand je lui demande de parler de lui, juste de lui, il a du mal. Une vivisection, je vous dis.

Et c’est dans le brouhaha d’un café parisien, à des kilomètres de celui dans lequel j’écris ce soir, que Boubka se raconte. Son histoire est comme un passeport qu’on feuillette : un voyage de la pensée au fur et à mesure des pages de visas.

Né en 1946 dans un petit village de Guinée, il fréquente l’école primaire à Dakar, où ses parents sont établis à l’époque, puis continue ses études secondaires a Conakry, avant de partir pour le Maroc, à l’Université Mohamed V de Rabat pour devenir médecin. Au Maroc, il doit se débrouiller sans bourse d’étude, en vivant de petits boulots.

L’Afrique noire francophone de l’époque recrute peu de médecins. Plusieurs tentatives pour intégrer un pays africain se soldent par un échec. Ce sera donc la France, pour une spécialisation en anesthésie-réanimation au CHU de Besançon. Une spécialité en médecine de catastrophe puis en médecine d urgence suivront.

Je veux surtout tenter de comprendre comment ce médecin décide un jour de mettre son savoir au profit d actions humanitaires… Quand je lui demande d’où vient son engagement, il me répond simplement que malgré les années passées en France, il n’a jamais oublié qu’il est un africain, un guinéen.

C’est pour cela qu’en 1972, il crée avec quelques amis la Société d’Anesthésie Réanimation d Afrique Noire Francophone (SARANF). Pour Boubacar Diallo, l’engagement passe par le partage et la diffusion des connaissances. Cette association à but non lucratif se donne pour mission d’organiser chaque année des conférences dans un pays d’Afrique noire francophone, destinées à la formation des étudiants en médecine et des infirmiers.

Ces rencontres annuelles l’amènent à prendre encore plus la mesure des faiblesses africaines en matière de sante : l’Afrique de l’ouest francophone manque de médecins spécialistes, et notamment d’anesthésistes réanimateurs, mais manque plus encore de matériel et d’équipements médicaux. La Saranf va alors s’attacher à attirer dans les conférences données, les sociétés spécialisées dans les équipements médicaux.

Boubacar Diallo quitte la Saranf en 2004, suite à des problèmes de santé. C’est pendant sa convalescence que lui vient l’idée de créer une association qui s’occuperait exclusivement de neurochirurgie pédiatrique, toujours en Afrique de l’ouest francophone, où la neurochirurgie pédiatrique n’existe pas encore tant que spécialité. C’est ainsi que TEO 2004 voit le jour. L’association permet à des enfants atteints de pathologies neurologiques d’être opérés dans leur pays d’origine. Elle doit son nom à Théo. Théo, c’est ce petit garçon originaire de Guinée, grièvement blessé à la tête et aux yeux lors d’une explosion alors qu’il était âgé de 4 ans.

Transporté en France, il est soigné à la Fondation Rothschild, où il subit plusieurs interventions pour soigner ses sévères lésions oculaires. Le traitement dure une année, au bout de laquelle il regagne son pays, guéri, pour reprendre le chemin de l’école. Dès lors, pour Boubacar Diallo, il s’agissait de donner à d’autres enfants la même chance qu’a Théo…

Nous en venons alors à parler de l’action humanitaire proprement dite. Pour ‘Bouba’, les missions humanitaires doivent d’abord avoir pour but de pallier les faiblesses des gouvernements sur place. Il ajoute que la santé n’occupe pas la place méritée dans les politiques de nombre de dirigeants africains… Le rôle des humanitaires est alors de témoigner, de convaincre, aussi : lors de chacune de ces missions, notamment avec la Saranf, il tente de rencontrer les autorités nationales et locales.

La voix teintée d’ironie, il se souvient de cet entretien, à la fin d’un cycle de conférences, avec le premier ministre guinéen de l’époque, auquel il remit un rapport préconisant un certain nombre de mesures… tombées aussi vite aux oubliettes, après quelques chaleureux remerciements et toute la «compréhension» officielle d’usage exprimée…

Je lui fais remarquer qu’il ne donne là que des coups d’épée dans l’eau, comme on dit. Il me répond cependant qu’il ne faut pas s’arrêter mais poursuivre encore et encore cette mission… Et il dit alors l’indicible bonheur éprouvé lorsqu’il voit un enfant soigné, souriant, qui se lève, marche, revit. Le médecin assure que là est l’essentiel, jour après jour, mois après mois.

Quand je lui demande comment il voit l’avenir, il me répond qu’il espère un jour une plus grande prise de conscience des dirigeants du continent, et que le plus grand nombre puisse, enfin, avoir accès à des soins dignes de ce nom. Des soins pas seulement réservés aux plus riches qui d’ailleurs, eux, partent se faire soigner à Paris, Genève ou Washington. Que soit mis fin à ce règne de l’injustice.

Avant de se quitter, Boubacar Diallo dit juste – comme pour nous donner courage et pour ne pas oublier l’essentiel, que c’est le propre de l’humain de vouloir donner un sens à sa vie. De se tourner vers celui qui souffre. Et aider.

Pour soutenir l’association TEO 2004 : www.teo2004.org /
Contact : Docteur Boubacar Diallo : 06 86 17 75 31

Soline Richaud

Soline Richaud

Soline Richaud, humanitaire-logisticienne (Kenya).

Soline Richaud

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