Burundi : Quelles stratégies pour « les femmes de l’arrière-cour »?

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Au Burundi, la manière dont la problématique du traitement des fistules obstétricales est abordée par les différents acteurs, gouvernementaux comme ONG, montre la difficile équation entre l’exigence de soins immédiats et la nécessité de pérenniser l’action humanitaire.

« Ingara Yo Mukigo », cela signifie « maladie de l’arrière cour » en Kirundi, la langue nationale du Burundi. C’est ainsi que l’on désigne ici la fistule vésico vaginale, parce que les femmes qui en sont atteintes sont condamnées à une double peine. Le calvaire de Christine, rencontrée dans la province de Ruyigi, à l’est du pays, est celui que vivent beaucoup de ces femmes. En 1993, elle a tout juste 19 ans lorsqu’elle accouche pour la première fois. Ce n’est que quatre jours après les premières contractions qu’elle est enfin amenée à l’hôpital. L’enfant est mort et Christine se réveille mutilée : elle souffre d’une fistule vésico vaginale. Un trou dans la paroi séparant le vagin et la vessie, qui entraîne des incontinences chroniques. L’odeur qui la suit partout fait fuir ses proches. Son mari part le premier. Son frère lui a cédé un lopin de terre et une bicoque en marge de la petite propriété familiale, mais refuse de lui parler. Sa mère l’ignore.

Le centre Médecins Sans Frontières : le modèle à suivre

La fistule, disparue dans les pays industrialisés, reste un problème de santé publique majeur au niveau mondial. En 2002, l’OMS estimait que 2 millions de femmes en souffrent, avec 100 000 nouveaux cas par an. Au Burundi, elles sont plus d’un millier de femmes touchées chaque année par des fistules.

C’est pour éviter à celles-ci de connaître le destin de Christine que Clément Ntezahorirwa, de Handicap International, mène un travail de fourmi. Depuis 2008, il arpente les collines de la province de Ruyigi pour recenser les femmes atteintes et les diriger vers le centre de traitement créé en 2010 par Médecins Sans Frontières à Gitega.

Ce centre, où 700 femmes ont été opérées avec succès et qui prévoit 450 interventions en 2012, est un modèle. Un bloc chirurgical dédié dans lequel se succèdent des chirurgiens expatriés, un suivi médical et psycho-social sur le long terme, la gratuité complète y compris pour le transport… Tout y est. Mais ce fleuron de la lutte contre les fistules au Burundi est aussi l’emblème du chemin qu’il reste à parcourir pour éradiquer ce fléau dont les causes sont indentifiées : longueur du travail, défaut d’accès aux soins et déficit de compétences médicales.

[cincopa AsGAU-KErdza]

Un système de santé financièrement étranglé

Le maillage sanitaire au Burundi est pourtant serré : 540 centres de santé, chapeautés par 48 hôpitaux de districts, auxquels il faut ajouter les hôpitaux de Bujumbura. Mais le manque de moyens y est criant. «Dans ce pays de 10,5 millions d’habitants, on ne compte que 20 gynécologues, et tous exercent dans la capitale, Bujumbura. L’accès aux centres de santé est une bonne chose. Mais les compétences des médecins burundais en matière de complications obstétricales ne sont pas toujours à la hauteur», indique Ruben Potier, coordinateur médical de MSF.

Depuis 2005, la gratuité des soins pour les femmes enceintes et les enfants de moins de 5 ans a été instaurée. Mais, gratuits pour les patientes, les soins ont un coût pour les hôpitaux, souvent sous évalué par l’administration. « Le tarif pour une opération de la fistule correspond à peine au paiement des matériels médicaux utilisés, et ne prend pas en charge l’hospitalisation pré et post opératoire », explique le directeur d’un hôpital de province. « Or, en plus du salaire du chirurgien, il faut ajouter des frais en cas de complication. Sans compter le transport : il s’agit de femmes souvent pauvres, isolées, qu’il faut aller chercher et ramener chez elles…»

Et les retards de paiement de l’Etat entraînent une situation de quasi faillite pour nombre d’hôpitaux. « On a des situations où des hôpitaux de district n’ont plus la trésorerie nécessaire pour payer l’essence des ambulances, pour assurer le renouvellement des stocks de médicaments », indique la responsable d’une ONG.

Les ONG comme seul recours

Le traitement des fistules, jugé non rentable, est donc laissé aux ONG. Dans ce pays qui ne consacre que 8% de son budget annuel aux dépenses de santé (OMS 2010), le rapport du PNSR de 2006 préconisait d’ailleurs d’«organiser régulièrement des missions itinérantes pour la réparation des fistules, subventionnées par les ONG internationales. »

Dès 2006, Gynécologie Sans Frontières (GSF) a répondu présent. Entre 2006 et 2011, 173 femmes ont été soignées dans le cadre des « missions fistules » au Centre Hospitalier Universitaire de Bujumbura. « GSF envoyait un gynécologue et un urologue, pour opérer les cas les plus compliqués », explique le Dr Claude Rosenthal, gynécologue ayant participé à plusieurs de ces missions. Mais il avoue aussi que la petite ONG a des « difficultés à poursuivre ces missions », notamment parce que « l’hôpital de Bujumbura n’a pas de secteur adapté à cette chirurgie ».

Eviter « la concurrence » et assurer
la « sortie » du modèle humanitaire

Il y a aussi la difficulté de la former des médecins locaux, condition de la pérennité : « Entre 2006 et 2011, nous n’avons pu former qu’un seul gynécologue. Nous en sommes très fier, mais c’est nettement insuffisant », explique Claude Rosenthael. Au terme de la mission menée en mai, GSF a donc revu ses objectifs. « Notre but initial était de créer un centre de traitement des fistules », expose le Dr Richard Matis, vice-président de GSF. «Mais il ne sert à rien de se faire de la « concurrence » entre ONG : le centre MSF fonctionne parfaitement. Nous avons donc décidé de nous orienter vers la formation. Former des médecins à la chirurgie vaginale, notamment ceux qui travaillent avec MSF, permettra d’élargir le spectre des pathologies qu’ils seront capables de prendre en charge. C’est aussi une condition de la pérennisation du traitement».

La « stratégie de sortie » de MSF repose également sur cette exigence de formation des médecins locaux, mais Ruben Potier juge aussi que le passage de témoin ne pourra se faire que s’il y a « une réelle volonté politique du gouvernement ».

« Objectif du Millenium » / 6 – 8 septembre 2000 à New York, siège Nations Unies.

Santé maternelle
UNFPA :
« End Fistula » Campaign
GSF
MSF Belgique 

 

Matthieu Millecamps

Matthieu Millecamps

Matthieu Millecamps est journaliste.