Combattre les prises d’otages

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Capture d'écran de la vidéo diffusée par Sahara Médias le 8 septembre 2012
Capture d’écran de la vidéo diffusée par Sahara Médias le 8 septembre 2012

La libération des otages d’Arlit… Y-a-t-il eu rançon – la somme de 20 à 25 millions d’euros est évoquée par Le Monde et RFI, ou « compensation » comme le dit le président nigérien Issoufou? Quelle est la doctrine de la France aujourd’hui en la matière? Dans cet article paru sur Grotius International le 30 septembre 2012, le député François Loncle soulignait l’ambiguité  de Paris sur cette question sensible.

François Loncle, Député de l’Eure, co-auteur du rapport parlementaire sur « Le Sahel pris en otage », affirme dans les colonnes de Grotius International : « Sauver les otages est un impératif absolu. De quelle manière y parvenir ? (…) Il est temps que la France adopte une attitude rigoureuse, car il est urgent de tarir les sources d’enrichissement des bandes extrémistes et de leur faire clairement comprendre que l’enlèvement n’est pas un business rentable, mais un crime abject ».

La crise du Sahel soulève de nouveau la question dramatique des prises d’otages et de la réponse à leur apporter. Elle fait peser de lourdes menaces sécuritaires immédiates qui affectent directement les intérêts de notre pays et de nos compatriotes.  En effet, la France est directement impliquée, puisque six de nos concitoyens sont détenus au Sahel par AQMI depuis plus de deux ans. C’est pourquoi cette région du continent africain, déjà soumise aux défis du développement et à des calamités naturelles, est devenue l’une des priorités de l’action gouvernementale et l’une des principales préoccupations des parlementaires qui veulent bien s’intéresser aux questions internationales.

Selon Gérard Chaliand, les enlèvements sont devenus un problème de relations internationales à partir de 1968 quand un groupe palestinien détourna deux avions d’El Al. Les prises d’otages font, dès lors, partie des opérations favorites des terroristes, en raison de leur impact immédiat sur l’Etat dont les otages sont ressortissants et du large écho médiatique qu’elles reçoivent. C’est pourquoi les journalistes, les photographes, les cameramen étaient – et sont toujours – particulièrement visés par les groupes terroristes, ce qui pose le délicat problème de l’adéquation entre la sécurité des gens de presse et la liberté d’informer.

Alors que ces rapts poursuivaient auparavant surtout des objectifs politiques, en s’inscrivant dans le cadre d’un conflit national ou d’un mouvement révolutionnaire, ils ont radicalement changé de nature depuis la fin de la guerre froide. Le terrorisme s’est fait plus criminel que politique : la frontière entre des enlèvements opérés pour des buts idéologiques et ceux pratiqués à des fins mercantiles est en effet de plus en plus ténue.

Dans le même temps, les prises d’otages se sont multipliées, au point de représenter, d’après le Département d’Etat américain, 15% des actes terroristes internationaux. Désormais, les ravisseurs obéissent avant tout à des motivations crapuleuses, même s’ils exploitent souvent leurs prisonniers pour exercer diverses pressions sur les gouvernements. Dans certaines régions d’Asie, d’Amérique latine ou d’Afrique, cette activité s’est transformée en véritable industrie lucrative. Au Sahel s’est ainsi développé, parallèlement aux trafics d’armes, de drogues et de clandestins, un vaste marché des otages brassant des sommes énormes.

La prise d’otages est un sujet grave qui mérite un traitement particulier puisqu’il concerne, en premier lieu, la vie de personnes. La première considération consiste à sauvegarder les individus enlevés et à tout entreprendre pour obtenir leur libération. Dans ces affaires, c’est toujours l’approche humaniste qu’il convient de garder à l’esprit. Sauver les otages est donc un impératif absolu. De quelle manière y parvenir ? Quel moyen apparaît le plus efficace ? Quelle stratégie faut-il privilégier ? Faut-il céder aux terroristes ? Convient-il de verser une rançon ? Doit-on au contraire se montrer inflexible ? Est-il envisageable de riposter par la force ? Faut-il monter une opération de délivrance ? Autant d’interrogations qui soulignent la complexité du sujet. Mais, en définitive, l’alternative n’est pas entre la conciliation et la fermeté, qui l’une comme l’autre peuvent s’avérer inopérantes. Ces méthodes ont été utilisées, dans un passé récent, avec des résultats plus ou moins probants. En fait, l’essentiel réside dans l’adoption et l’application par les Etats touchés par ce phénomène d’une ligne claire et cohérente face aux prises d’otages : ne pas les gérer, mais les combattre, de manière résolue, constante, efficace.

De prime abord, il ne faut pas exclure, pour parvenir à libérer des otages, la voie de la négociation qui exige compétence, discrétion et confidentialité, comme s’y emploient, par exemple, les dirigeants du Burkina Faso. Cette méthode a ainsi permis à Pierre Camatte, en février 2010, et à Françoise Larribe, un an plus tard, de recouvrer la liberté. AQMI, qui les détenait, voulait en retirer de substantielles avantages politiques et financiers, notamment la libération de terroristes incarcérés ou le versement d’une rançon d’un montant très élevé.

Accepter de se plier à de telles exigences n’est pas sans conséquence, dans la mesure où cela peut être interprété comme une incitation à renouveler les tentatives d’enlèvement, voire à les multiplier. En outre, ce type de démarche favorise, objectivement, les intermédiaires obscurs et douteux qui essayent de s’immiscer dans le processus de négociation pour en tirer un bénéfice quelconque, au risque de compromettre la libération des otages. Par exemple, l’affaire Gadoullet-Delbrel a illustré, en 2011, après les enlèvements d’Arlit, la rivalité, aussi piteuse que dommageable, que se sont livrés des médiateurs officieux.

Mais la négociation ne représente qu’une option. Avant d’entamer des discussions incertaines avec les terroristes, il convient d’envisager de les intercepter en amont, à chaque fois que cela est possible et que cela ne met pas en danger la vie des otages. Il faut toutefois reconnaître que c’est une opération qui s’avère délicate et potentiellement dangereuse, comme en témoigne le sort funeste réservé à nos deux compatriotes Vincent Delory et Antoine de Léocour, enlevés en janvier 2011, à Niamey.

De plus, les forces de sécurité des Etats sahéliens ne sont pas toujours préparées à mener ce genre d’actions. C’est pourquoi la France ne doit pas renoncer à intervenir, au cas par cas et avec l’approbation formelle des gouvernements concernés. C’est dans un tel contexte que les forces spéciales françaises pré-positionnées en Afrique (3 500 militaires stationnés à Djibouti, au Gabon et au Sénégal), s’ajoutant aux 1 650 soldats déployés au Tchad, en Côte d’Ivoire et en République centrafricaine dans le cadre d’opérations extérieures, constituent un atout indéniable. Ce dispositif est susceptible d’être rapidement mis au service d’une opération de sauvetage de ressortissants français enlevés par une bande armée. Les moyens aéronautiques français, comme les avions de patrouille Atlantique 2 ou les Transall, contribuent également à la surveillance et à l’observation d’une région immense. Dans ces conditions, la lutte contre le terrorisme au Sahel passe par un renforcement de la coopération entre tous les Etats de la zone et notre pays.

La France se doit de faire preuve de fermeté et, en conséquence, exercer un «droit de suite», au cas où les risques pour les otages sont minimisés. Ce n’est pas seulement un enjeu de crédibilité pour notre pays, mais aussi un moyen de prévention contre la répétition d’actes terroristes. Dans ce but, notre pays est amené à conduire une politique préventive qui passe d’abord par une sécurisation optimale de la présence française au Sahel : ainsi, les ONG, les entreprises et les missions de coopération décentralisée ont été sensibilisées au risque terroriste, même si on peut regretter la désinvolture avec laquelle certains responsables généralisent les « zones rouges » et pénalisent ainsi gravement les économies régionales concernées.

Par ailleurs, la France ne doit plus succomber au piège des rançons. C’est un engrenage pervers. Depuis l’enlèvement de 32 touristes européens dans le sud de l’Algérie, en février 2003, AQMI a amassé un butin considérable qui connaît, depuis lors, une augmentation constante, car les preneurs d’otages n’ont cessé d’élever leurs revendications puisque celles-ci étaient satisfaites. Ces rançons ont largement contribué à financer les groupes djihadistes, à les équiper et à les armer. Cela revient finalement à les entretenir et à les renforcer.

En outre, ces rançons constituent un double facteur de dissension. D’une part, elles alimentent de fortes tensions diplomatiques entre les puissances occidentales et les Etats sahéliens. D’autre part, elles donnent la fâcheuse impression que la vie d’un Occidental serait plus précieuse que celle d’un Africain. C’est pourquoi de nombreux Etats, comme le Mali, le Niger, la Mauritanie et l’Algérie, ont publiquement refusé de verser toute rançon. La Grande-Bretagne avait déjà adopté cette même attitude. Le Conseil de sécurité des Nations-Unies a également pris position, en 2009, contre le paiement de rançons à des organisations terroristes.

C’est un choix politique fort qui peut être douloureux à assumer, comme l’a souligné l’exécution en 2009 de l’otage britannique Edwin Dyer, après le rejet par Londres de payer la rançon exigée. De son côté, la France n’a jamais officiellement proscrit ou autorisé le paiement de rançons. Cette imprécision tend, en fait, à brouiller le message de fermeté qu’elle veut faire passer en entretenant, en Afrique, un dispositif militaire pré-positionné, opérationnel à tout moment.

Il est temps que la France adopte une attitude rigoureuse, car il est urgent de tarir les sources d’enrichissement des bandes extrémistes et de leur faire clairement comprendre que l’enlèvement n’est pas un business rentable, mais un crime abject. C’est pourquoi elle doit systématiquement engager des poursuites judiciaires contre les preneurs d’otages : en matière de terrorisme, l’impunité est intolérable.

Tout d’abord, il faut appliquer la Convention internationale contre la prise d’otages conclue en 1979 et ratifiée par la France en avril 2000. Ce texte constitue un instrument juridique très utile de prévention et de répression de tels actes, dans la mesure où il a jeté les bases d’une coopération juridique et d’un droit antiterroriste international. Il a formalisé le principe «juger ou extrader» qui oblige, théoriquement, tout Etat à poursuivre ou à livrer un ravisseur, même si l’infraction n’a pas été commise sur son territoire et même si un traité d’extradition fait défaut.

Cette Convention reste toutefois insuffisante, comme en témoigne la vive augmentation des enlèvements au cours de la dernière décennie. Il faut, par conséquent, renforcer l’appareil juridique de lutte antiterroriste, afin que les preneurs d’otages n’échappent plus à la justice.

Dans ce but, il convient d’élargir les possibilités de saisine de la Cour pénale internationale (CPI). Alors que les ravisseurs se jouent des frontières pour commettre leurs forfaits, comme le démontre l’exemple sahélien, ils ne doivent plus avoir le sentiment d’être invulnérables et intouchables. La justice internationale doit pouvoir les traquer, les appréhender et les traduire devant un tribunal, n’importe où dans le monde.

Il faut enfin détruire l’image romantique que ces terroristes tentent de répandre d’eux-mêmes parmi les populations locales, notamment au sein d’une jeunesse démunie : ce ne sont pas des héros idéalistes combattant pour un monde meilleur, mais de vulgaires criminels lâches et cupides, s’attaquant à des innocents, semant la peur et la mort.

Sans cesse, il faut rappeler aux ravisseurs que, comme le dit si bien le Coran, « toute âme est otage de ses actions ».

Rapport parlementaire sur « Le Sahel pris en otage »         

François Loncle

François Loncle

François Loncle, Député de l’Eure, Co-auteur des rapports parlementaires sur « Le Sahel pris en otage » (avril 2012) et sur « Le statut des journalistes et correspondants de guerre en cas de conflit » (mars 2006)

François Loncle

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