Cours d’histoire pour comprendre la crise centrafricaine

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Crise centrafricaine
© Stephen Dock / Agence VU
Crise centrafricaine
© Stephen Dock / Agence VU

Guerre de religion, épuration ethno-religieuse, risque de partition. C’est comme cela que les medias presentent la crise en Centrafrique…Si l’on ne peut nier qu’aujourd’hui en RCA des gens sont massacrés sur la base de leur appartenance religieuse, résumer le conflit centrafricain aux seuls affrontements inter-religieux est non seulement simpliste mais encore ne permet pas de trouver les solutions adéquates pour une sortie de crise.

Par où faut-il commencer pour expliquer cette crise ? Car juste avant ce conflit très peu de personnes savaient que la Centrafrique est un pays et non une région de l’Afrique.

Au commencement était le Président Barthélémy Baganda, père de la nation. Ce prêtre, député à l’assemblée Nationale française en tant que représentant de l’Oubangui Chari membre de l’Afrique Equatoriale Française avait des ambitions panafricanistes et parlait déjà à l’époque des Etats-Unis d’Afrique. Son grand projet ayant échoué, il fonde la République Centrafricaine qu’il proclame le 1er Décembre 1958.

Mais, Boganda perd la vie dans un mystérieux accident d’avion le 29 Mars 1959. David Dacko lui succède à la tête de la RCA qui obtient son indépendance le 13 Août 1960.

De Bokassa à Bozizé

Ensuite ce petit état de l’Afrique centrale commence à apparaître sous les feux de l’actualité avec l’avènement de  Bokassa 1er     qui demeure encore aujourd’hui un sujet mystérieux … Pour les uns, c’était un tyran anthropophage qui ne mérite aucun honneur. Nombre d’anecdotes corroborent malheureusement ces allégations : il y’a par exemple le massacre des écoliers du 18 Janvier 1979 ou les exécutions extrajudiciaires qui furent légion sous son règne.

Pour d’autres et ceux-ci sont de plus en plus nombreux en RCA,  Bokassa reste le chef d’état centrafricain qui a réellement construit le pays. Ce fut un bâtisseur. La quasi-totalité des centrafricains s’accordent pour affirmer qu’en dehors de Bokassa tous les autres chefs d’état du pays n’ont presque rien fait… Et c’est étrangement vrai. La Centrafrique lui doit pratiquement toutes ses grandes institutions nationales. L’unique chaîne de télévision nationale, la seule université de Bangui, le stade Omnisport aujourd’hui tombé en ruines, pour ne citer que cela sont l’œuvre de Bokassa.

D’aucuns affirment même que le Président Valery Giscard d’Estaing à perdu les élections à cause de l’affaire des diamants de Bokassa. Naguère un centrafricain avait besoin de préciser qu’il vient du pays de Bokassa pour que les gens voient exactement d’où il vient.

Les trois dernières décennies qui ont succédé à la chute de l’Empire de Jean Bedel Bokassa n’ont pas particulièrement souri aux centrafricains. Arrivé au pouvoir par le coup-d ‘état de la Saint-Sylvestre dans la nuit du 31 Décembre au 1er Janvier 1966, Bokassa est chassé 13 ans plus tard le 21 Septembre 1979 par l’opération Barracuda de l’armée française et David Dacko redevient Président de la République. Il n’arrivera pas à sortir le pays de la crise et sera contraint de remettre le pouvoir à l’armée en Septembre 1981. Les trois dernières décennies qui ont succédé à la chute de l’Empire de Jean Bedel Bokassa n’ont pas particulièrement souri aux centrafricains

Le Général André Kolingba, entouré du Comité Militaire pour le Redressement National prend le pouvoir. Il instaure le Parti Unique, son parti : le Rassemblement Démocratique Centrafricain. S’ensuit une décennie d’accalmie où le pays voit affluer des milliers de réfugiés,  venus du Tchad voisin, en proie à la guerre civile. Ces deux pays étant très proches, certains centrafricains nordistes se confondent avec les Tchadiens sudistes et les grands commerçants tchadiens commencent à devenir le poumon de l’économie centrafricaine.

André Kolingba fait partie des ces chefs d’Etats que le discours de la Baule en 1990 ne va pas épargner. Soumis au nouveau chemin tracé par François Mitterrand : multipartisme, démocratie, élections, il perd les élections de 1993 et Ange Felix Patassé est élu Président de la République. Les vrais problèmes commencent : une dizaine de mutineries sous le régime Patassé. Puis deux coups d’état ratés et un troisième réussi.

Pendant l’ère Patassé, les centrafricains connaissent la MISAB* : Mission de Suivi des Accords de Bangui avec le contingent tchadien qui aidait Patassé à mater les quartiers pro-mutins. La MISAB fut transformée en MINURCA (Mission des Nations-Unies pour la Centrafrique) qui finira par quitter la Centrafrique.

Le départ des forces internationales voit la reprise des hostilités, et cette fois Ange Félix Patassé qui s’est  brouillé avec Idriss Déby voit les soldats Tchadiens qui assuraient sa protection face aux multiples mutineries, regagner le Tchad.

Le premier coup d’état raté contre Patassé est celui du 28 Mai 2001 revendiqué par André Kolingba. Les premiers crimes de guerre à cette époque ont commencé par les exactions des « banyamulenge », les hommes de Jean Pierre Bémba Gombo Chef rebelle Congolais appelé à la rescousse par le pouvoir de Bangui.

Patassé se tourna aussi vers Muhamar Kadhafi, et ce sont les forces libyennes qui ont fait échouer le premier Coup-d’état de Bozizé, alors ancien chef d’état major de Patassé en fuite au Tchad,  le 25 Octobre 2012.

Sous la pression  internationale, Patassé demande à Kadhafi le retrait de ses  troupes de Bangui. François Bozizé réussit alors son coup-d’état le 15 Mars 2003 avec l’appui du Tchad.

Bozizé, qui bénéficie de nombreux soutiens et qualifie son coup-état de « sursaut patriotique », forme alors  un gouvernement d’union nationale.  Il fait asseoir tous les politiciens à sa table,  et organise une première élection qu’il gagne en 2005, deux ans après son coup-état .

Il crée son parti politique le KNK et se représente une seconde fois aux élections en Janvier 2011. Malgré son incapacité à conduire le pays à bon port, il gagne la deuxième élection le 23 Janvier 2011.

Il est alors élu Président de la République mais aussi député ; ses deux femmes (Monique Bozizé et Madeleine Bafatoro) élues Députés ; deux de ses fils (Francis Bozizé le Ministre délégué à la Défense, et Socrate Bozizé) élus Députés, son grand-frère Elie Ouefio( Maire de leur village Benzambé), sa petite sœur Josephine Kélefio, son ami et Ministre de la Sécurité Jules Bernard Ouandet sans oublier leurs concubines ! Tous députés à l’Assemblée nationale. A la question de savoir pourquoi, Bozizé répond que c’est une famille engagée !

Pour prendre le pouvoir, Bozizé a fait appel aux mercenaires Zakawa, tchadiens en Centrafrique. Au lieu de les payer et débarrasser le pays de ces desperados à la gâchette facile, il les garde avec lui et en incorpore un bon nombre dans l’armée nationale.

Sa garde rapprochée était ainsi constituée de ces éléments qui ont longtemps guerroyé au Tchad voisin. Ces derniers étaient alors plus proches des commerçants Tchadiens et autres centrafricains d’origine tchadiennes, l’autre partie de la population subissait leurs fréquentes exactions. La frustration cédait la place à plusieurs petites tensions entre les deux communautés.

En dix ans de pouvoir, Bozizé qui s’est contenté de faire protéger son fauteuil par des forces étrangères n’a jamais tenu sa promesse de  restructuration de l’armée ans et n’a jamais réussi à former une armée républicaine,  fermant les yeux  sur les exactions de sa garde prétorienne sur la population civile.

Bozizé, qui  accuse aujourd’hui la Seleka d’être constituée d’étrangers ayant l’ambition d’annexer la RCA, fut le premier amener des « étrangers » en Centrafrique. Le premier à défendre et officialiser leur présence sur le sol centrafricain. La RCA a reçu huit milliards pour le programme « Désarmement, Démobilisation et Réinsertion ». Bozizé et ses proches ont dépensé cet argent sans désarmer aucune faction rebelle. Ces dernières ont fini par se réunir au sein d’une coalition qu’ils appellent Seleka pour le destituer.

Puis est venue la Seleka ! Michel Djotodja, Nourradine Ahmat, Daffane et les autres seigneurs de guerre de la Seleka voulaient leur part du gâteau. L’on se souvient encore des propos d’Abakar Sabone lors du dialogue politique inclusif organisé par François Bozizé « Depuis 50 ans que les chrétiens dirigent ce pays les résultats sont catastrophiques, ils ont échoué, il faut à présent donner l’occasion à un musulman de tenir les rênes du pays. »

Ils ont trouvé leur cheval de bataille : la minorité musulmane est marginalisée. Djotodja n’arrive pas à démontrer que la lettre adressée au Quatar pour soutenir la Seleka aux fins d’instaurer la charia une fois qu’il prendrait le pouvoir en RCA ne vient pas de lui.. Pour accéder au trône, ils avaient besoin du soutien des islamistes, coupeurs de route, bandits de grand chemin venus du Soudan et du Tchad tels les éléments de Baba-ladé. Mais il va se laisser déborder et perdra le contrôle de ces desperados. Ce sera le début du chaos… Le gouvernement de Djotodja comme tous les précédents gouvernements en Centrafrique constitués de gens qu’on veut remercier, satisfaire, a largement démontré son incapacité à instaurer un Etat de droit. En prenant les armes pour arriver au pouvoir ils n’ont résolu aucun problème, au contraire..

Ils ont créé une situation qu’ils ont été incapables de contrôler, et le pays a sombré dans les affrontements inter-religieux à cause de leur soif de pouvoir

Michel Djotodja fut contraint à la démission. Sont arrivés les antibalaka.
A la base ce sont des villageois qui se sont constitués en groupe d’auto-défense pour protéger leur maigre bien des pillages des coupeurs de route appelés Zaraguinaset cela bien avant l’avènement de la Seleka. Puis face aux multiples exactions de la Seleka qui brûlait leur villages, violait leurs filles… ils se sont radicalisés pour s’attaquer à leur bourreaux à l’arme blanche. Finalement ce groupe d’auto-défense a été récupéré par l’ancien régime Bozize et transformé en massacreur systématique de musulmans.

De la même manière que Bozizé a chassé Patassé avec le soutien des combattants venus du Tchad, de la même façon Djotodja l’a chassé vers le Cameroun voisin. Aujourd’hui, Bozizé   joue son va-tout pour revenir au pouvoir par tous les moyens. Il fait le jeu des seigneurs de guerre : faire croire aux non-musulmans que les islamistes veulent prendre leur pays de force et qu’ils doivent se battre pour les chasser.

En réalité il n’y a que deux choses qui intéressent Bozizé : reprendre le pouvoir et assouvir la haine qu’il voue aux gens qui l’ont chassé de son trône. Pour cela il est prêt à tout : cautionner un génocide, une guerre de religion, n’importe quoi pourvu qu’il redevienne président. Bozizé et la Seleka trompent les Centrafricains. Ils ne se battent ni pour les musulmans ni pour les chrétiens mais pour le pouvoir…Et les athées dans tout cela ? Les animistes ? Il n’y a pas de guerre de religion en RCA, mais des calculs pour avoir le soutien nécessaire en vue de reprendre ou garder le pouvoir.

Il y a eu le rôle du Tchad voisin d’où sont parties toutes les rebellions de ces deux dernières décennies. Il y a également l’ensemble de la classe politique centrafricaine.

Les accords de Libreville

L’opposition démocratique, le gouvernement Bozizé et la Seleka rentrent de Libreville avec une feuille de route. Ce sont les fameux accords de Libreville qui prévoient :

– le maintien de François Bozizé au pouvoir jusqu’à la fin de son mandat en 2016,
– la formation d’un gouvernement d’Union nationale avec un Premier ministre issus de l’Opposition démocratique,
– des postes ministériels stratégiques à la Coalition Seleka (dont celui du ministre de la Défense jusqu’alors poste de Bozizé et de son fils Francis).
– l’organisation d’élections législatives dans un délai de 12 mois pour pallier le problème de cette Assemblée nationale monocolore…
– Le retrait de toutes les forces militaires étrangères de la Centrafrique à l’exception des forces de la Fomac (Force multinationale de l’Afrique centrale). (Référence faite aux forces sud-africaines qui protègent le pouvoir de Bozizé).
La force de maintien de la paix en Centrafrique sera par ailleurs reconfigurée, et appuiera l’application de ces accords.
– Enfin l’interdiction aux membres du gouvernement de la transition de se présenter aux futures élections.

Le 17 janvier 2013, Bozizé organise une réunion au palais de la Renaissance avec toutes les entités ayant pris part aux pourparlers de Libreville ainsi qu’avec la societé civile.  A la suite de
la réunion, Nicolas Tchangaï est nommé Premier ministre.

15 mars 2013 : Bozizé célèbre en grandes pompes au stade de Bangui, les festivités marquant
sa prise de pouvoir par les armes en mars 2003. A cette occasion, des représentants de la
jeunesse, des musiciens, des associations prononcent des discours de soutien à l’homme fort de Bangui. Il réaffirme sa volonté à se representer aux prochaines elections.

Le 17 mars 2013, la Seleka lance un ultimatum de 72 heures au président Bozizé pour la mise en application complète des accords de Libreville qui prévoient entre autres le départ des forces sud-africaines, la libération de tous les prisonniers politiques, et la levée de toutes les barrières dans la ville de Bangui.

Une mission de médiation conduite à Sibut pour calmer le jeu tourne à la séquestration. Les éléments de la Seleka retiennent cinq ministres de la délégation à Sibut. Il s’agit de : Christophe Gazam-Betty, ministre de la Communication, Michel Djotodjia, vice Premier-ministre, ministre de la Défense, Mohamed Daffahne, ministre des Eaux et forêts, Amalas Amias Aroune, ministre du Commerce et Herbert Djono Ahaba, ministre de la Recherche minière. Une simple stratégie pour ne pas les exposer aux représailles qui vont suivre. Car ce sont tous des Ministres representants la Seleka au gouvernement.

Le 20 Mars la Seleka annonce reprendre les hostilités suite à l’expiration de l’ultimatum et le 24 Mars ils prennent Bangui suite à un assaut éclair.

Le 31 Mars Formation d’un nouveau gouvernement, Nicolas Tchangai est maintenu au poste de Premier Ministre.

Au lendemain de la prise du pouvoir par la Seleka, Martin Ziguele Chef de file de l’Opposition démocratique a déclaré : « Un coup d’Etat n’est jamais une bonne nouvelle pour la démocratie, mais pour ce cas si (… ) Pour un coup de force qui a causé si peu de pertes en vies humaines, on ne peut que s’en féliciter…» En disant ces mots Ziguelé se voyait déjà président dans les 18 prochains mois. C’était sans compter avec les 20 000 hors la loi qui avaient éjecté Bozizé.

Si l’éviction de Bozizé n’a pas résolu le problème centrafricain, quelle peut-être l’issue de secours ? Aucun politicien centrafricain n’a de solution à proposer pour sortir le pays du bourbier. « Un vrai leader disait Henry Miller, n’a pas besoin de conduire. Il suffit qu’il montre le chemin. »

Peut-on encore parler de conflit religieux en RCA ? Oui, les gens sont massacrés sur la base de leur appartenance religieuse. Mais il y a des milliers de personnes réfugiées à la mosquée centrale, plus de cent mille à l’aéroport, des milliers au Monastère, et d’autres fuyant les hostilités vivent cachées dans la brousse. Tous aspire à la paix et n’attendent que la sécurité pour pouvoir rentrer chez eux.

La population est prise en otage par une minorité d’individus qui manipule des groupuscules de bandits de grands chemins en vue d’accéder au pouvoir politique.

Nous avons d’un côté les nostalgiques du régime de Bozizé. J’exagère ?  Des milliers de morts en Centrafrique et chaque jour des massacres, mais après avoir perdu les élections pour être Président de la transition, Edouard Ngaissona un des parents de Bozizé et Coordonnateur des anti-balaka déclarait ingrate la Présidente nouvellement élue parce que le nombre « d’anti-balaka » nommé au gouvernement n’était pas suffisant…

Ces gens entretiennent un climat d’insécurité, de terreur et tuent systématiquement tous les civils musulmans qu’ils croisent espérant de cette façon être associés ou reprendre carrément le pouvoir.

D’un autre côté, nous avons la Seleka, et sa horde de mercenaires Tchado-soudanais qui en se repliant vers le nord s’attaquent à tout ce qui est non-musulman après avoir huit mois durant commis des exactions sur la population civile à Bangui.

Pour sortir la RCA de cette crise, la priorité numéro un, c’est de désarmer et cantonner toutes les milices armées sans exception. Ensuite Renforcer la présence militaire dans les quartiers et sur toute l’étendue du territoire centrafricain. Ceci permettra aux réfugiés chrétiens comme musulmans de regagner leurs domiciles. Une forte présence militaire dissuadera les gens qui voudront s’adonner aux lynchages.

La paix ne sera consolidée que quand les principaux auteurs instigateurs du drame centrafricain, ceux qui continuent de souffler sur la braise et inciter leurs éléments à commettre des massacres seront arrêtés et traduits en justice. Et ils sont connus.

 

 

Johnny Bissakonou

Johnny Bissakonou

Johnny Bissakonou est journaliste. Après avoir travaillé pour plusieurs radios communautaires en RCA, il est refugié à Paris depuis Décembre 2013. Il a été classé parmi « les 100 héros de l’information » publié par RSF à l’occasion de la journée Mondiale de la liberté de la presse 2014. Il travaille actuellement pour l’Atelier des Médias (RFI).

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