Cuba : les droits humains ne profitent pas du vent de libéralisme économique

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Les vents du mois de novembre sur La Havane ont apporté avec eux un souffle de liberté économique. Conformément aux mesures impulsées lors du congrès du Parti communiste pour réformer un système qui étrangle la population, le gouvernement a signé une série de décrets favorisant l’initiative privée.

Très attendue par les économistes qui pointent le manque de liquidités dans l’île, la libéralisation du crédit aux micro-entrepreneurs, à compter du 20 décembre 2011, devrait aider les 330 000 Cubains qui ont choisi la voie de l’auto entreprise (appelée localement “cuentapropismo”).

Il y a plus d’un an, le gouvernement de Raúl Castro, face aux pénuries liées à l’embargo américain, avait élargi la liste des petits métiers ouverts à la libre entreprise. Ont ainsi fleuri les vendeurs de DVD gravés, les cafétérias ou les restaurants familiaux, en nombre autrefois limité. L’objectif : intégrer à un secteur privé balbutiant 500 000 fonctionnaires progressivement mis à la porte. Cette ouverture au crédit s’accompagne d’un droit d’hypothèque, une mini-révolution dans un pays bien loin des pratiques capitalistes. Toutefois, pour éviter une éventuelle spéculation sur les biens immobiliers, les seules hypothèques sur les résidences secondaires seront autorisées.

Cuba demeure néanmoins à l’écart de la marche effrénée de la mondialisation. Les réformes économiques paraissent dérisoires tant qu’elles ne s’accompagnent pas d’une arrivée massive de crédit ni d’une levée de l’embargo commercial américain toujours en vigueur depuis 1962. L’économie cubaine débride certes son moteur, mais attend encore son carburant. Près de 25% des Cubains qui ont lancé leur micro entreprise ont jeté l’éponge faute de moyens ou de formation.

Dans le même esprit, le gouvernement cubain a autorisé les paysans à vendre leurs produits directement aux hôtels, sans passer par les circuits de commercialisation officiels. Les agriculteurs cubains pourront donc bénéficier davantage de la manne financière que représente le tourisme à Cuba, principale source de devises en plus des envois d’argents des exilés (“remesas”) et des exportations de nickel.

Par ailleurs, il désormais possible de vendre et d’acheter librement des voitures et des maisons dans l’île, un droit suspendu depuis un demi-siècle. Jusqu’à présent, les Cubains qui souhaitaient déménager devaient consentir à un échange d’habitat. Mais avec la crise du logement et le délabrement de nombreuses habitations, il n’est pas rare de voir des familles entières s’entasser dans le salon d’un hôtel particulier havanais en ruine.

Enfin, la loi sur les déplacements vers la capitale a été flexibilisée. Tout Cubain ayant de la famille résidant à La Havane pourra s’y rendre librement. Le gouvernement allège ici une loi restrictive instaurée dans les années 1990 lors de l’effondrement du bloc soviétique. Avec les difficultés économiques entraînées par la chute du Mur et du “grand frère”, nombreux ont été les citoyens de l’île à vouloir gagner la capitale, à la recherche d’une meilleure situation. Pour limiter l’afflux de population, le gouvernement avait conditionné cette “migration intérieure” à l’obtention d’un permis. Encore aujourd’hui, des Cubains non domiciliés à La Havane subissent des expulsions vers leur région d’origine. Ainsi Calixto Ramón Martínez, journaliste de l’agence indépendante Hablemos Press, renvoyé au mois de septembre 2011 de La Havane vers Camagüey, sa ville d’origine. Rencontré au début du mois de novembre dans la capitale, Calixto Ramón Martínez explique qu’il a déjà a été expulsé “un nombre incalculable de fois”, mais qu’il compte bien poursuivre son activité – illégale – de journaliste indépendant.

Les blogueurs, artistes, journalistes et militants qui ne se reconnaissent pas dans la ligne du parti unique sont régulièrement arrêtés par la Sécurité de l’Etat (police politique). Le régime cubain lâche un lest tout relatif. D’un côté, une ouverture économique se fait jour et même une détente politique, avec la libération en avril dernier, des deux derniers journalistes emprisonnées lors du “Printemps noir” de mars 2003. De l’autre, les arrestations éclair se poursuivent et parfois s’amplifient. Selon la Commission cubaine des droits de l’homme et de la réconciliation nationale (CCDHRN), le nombre d’arrestations pour raisons politiques s’élève à 563 pour le mois de septembre, tandis que 286 ont été recensées au mois d’octobre.

Arrestations par des agents en civils, détentions allant de quelques heures à quelques jours, interrogatoires… le gouvernement cubain maintient la pression sur ceux qu’il tient pour de dangereux “contre-révolutionnaires”. Les épouses, compagnes, filles ou sœurs des prisonniers du “Printemps noir”, réunies au sein du collectif des Dames en Blanc font toujours l’objet d’une étroite surveillance. En témoignent les arrestations en marge des manifestations menées par ce collectif suite au décès de la tête de pont du mouvement, Laura Pollán, le 15 octobre dernier.