Élections législatives du 25 novembre 2011 au Maroc : les vrais enjeux

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Les élections législatives du 25 Novembre 2011 se sont tenues au Maroc dans le sillage d’une réforme constitutionnelle en deçà des aspirations des masses populaires telles qu’elles ont été exprimées, clairement et ouvertement, par le mouvement contestataire du 20 février. Rappelons encore que les deux partis archaïques conservateurs, le PJD et son allié naturel l’Istiqlal, avaient été mobilisés par le pouvoir, aux dernières heures de la rédaction de la constitution, pour contrer les revendications démocratiques des forces vives du pays et contribuer à miner tous les réels acquis de la dite constitution. Ces élections anticipées organisées pour occulter la dynamique populaire croissante que connaît notre pays, ont été imposées par un contexte national et international où les mouvements de rue allaient en crescendo, menaçant les pouvoirs en place ici et là.             

En réalité, l’enjeu principal des élections au Maroc, n’est pas d’abord le résultat mais le taux de participation. Car le taux de participation évalue l’approbation, le refus ou la condamnation du système et décide de sa crédibilité au niveau national et international. Un taux élevé contribuera à redorer l’image du « pays ». Néanmoins il est aussi facile d’estimer la fréquentation approximative juste en visitant quelques bureaux de vote. Conduire quelques observateurs étrangers vers des bureaux minutieusement choisis ne les a nullement empêché d’enregistrer l’absence de files d’attente et le peu d’enthousiasme qui régnait sur tout le territoire. En gonflant le chiffre du taux de participation à ses élections et en taisant celui des abstentions, le « Makhzen » n’a fait que perpétuer la mascarade cocasse déjà vécue lors du référendum de Juillet 2011. Du reste, le taux annoncé par le ministère de l’Intérieur ne reflète aucunement, l’atmosphère des élections qui fut bien tiède malgré les fonds attribués aux partis politiques (220 millions de dirhams). Signalons aussi le climat révélateur des campagnes électorales qui se sont souvent déroulées dans un climat de violence, de corruption, de diffamation, de harcèlements et d’arrestations ; sans oublier la privation des opposants de leur droit dans les médias publics avec le silence complice opposé par les autorités à ces pratiques illégales. Cela démontre encore une fois, l’absence de volonté politique au sein de l’Etat et des partis politiques en faveur du développement d’une conscience démocratique citoyenne. Quelques temps avant les élections, le patron du PJD s’était lancé dans une stratégie de surenchère électorale, mettant en garde contre d’éventuelles « méthodes du passé », menaçant ainsi de ne pas se plier aux résultats des urnes s’il venait à être battu.  Aujourd’hui, propulsé en tête avec la bénédiction du pouvoir et ses alliés occidentaux, il savoure sa victoire et fait l’éloge du déroulement des élections au Maroc.

Un scénario concocté à l’avance avec les uns (gagnants) et les autres (perdants) et qui a donné ce score déjà attendu. Ni d’un côté ni de l’autre, le déroulement ou les résultats n’ont étonné ni n’ont été contestés, et plus même, tous les chefs de partis sans exception se réjouissent du déroulement des élections et de la « démocratie » marocaine.

D’un côté on crie victoire et on se fait de grandes accolades, de l’autre, on se dit « Fair Play » et on passe dans l’opposition avec un grand sourire. Tout ce piètre spectacle orchestré confirme cette hypothèse d’un scénario prévu et arrangé par les décideurs et leurs alliés occidentaux. Benkirane, chef du parti du PJD,  a même assuré en parlant de l’occident : « On n’a pas besoin de le rassurer, il l’est déjà » (AFP). Quant au mouvement du 20 février que ce dernier a dénigré et méprisé, il se permet à présent avec une indécence triomphante de l’interpeller pour daigner « écouter » ses revendications. Les marches et les mouvements de rue porteurs de vraies aspirations populaires au changement, à la dignité et à la justice, s’étant faits sans son parti PJD, il a vite fait de rebondir pour exploiter le contexte et « confisquer » le mécontentement grandissant de la rue, comme cela s’est passé dans d’autres contrées.

Ce faisant, le « Makhzen » a ouvert la voie au PJD, ce parti fondamentaliste, qui a officiellement remporté les élections législatives organisées vendredi au Maroc, en obtenant 107 des 395 sièges profitant ainsi de la faiblesse des autres partis, usés par la politique récupératrice du pouvoir. Un parti qui n’a jamais caché son hostilité à la modernité et aux démocrates et dont le projet sociétal porte en lui les germes du ralentissement du progrès social, est une menace pour les acquis arrachés ces dernières années en matière de libertés et de droits notamment, les droits de la femme et les droits linguistiques et culturels amazighs.

Porteur d’une vision conservatrice de la société, il est très en retrait de parti qu’il cite en modèle tel que l’AKP en Turquie, sur toutes les questions relatives aux libertés individuelles.

Ainsi, nous dit-on, une grande part des électeurs qui a pris part au vote, a choisi de donner une chance à ce parti politique au discours moralisateur teinté de religiosité qui n’a jamais exercé de responsabilités gouvernementales, afin qu’ils réussissent là où ses prédécesseurs ont échoué. Pour cette formation vierge et encore inexpérimentée, fini le confort de l’opposition. Elle devra apprendre à travailler sous le feu des projecteurs, à respecter les lois, à rendre des comptes aussi face à une population vigilante, à une opposition virulente et à un mouvement de rue qui l’avait déjà catalogué comme laquais du « Makhzen », dans un climat social tendu où les attentes sont grandes (chômage, déficit budgétaire, inégalités sociales, discrimination…). Néanmoins pour faire ses premiers pas, le PJD sera guidé par ceux qui ont depuis fort longtemps tissé leur toile autour du « Makhzen », le parti de l’Istiqlal « tentaculaire ». Ensemble, dans une coalition gouvernementale avec son allié chauvin et conservateur dont M. Benkirane est le plus proche culturellement, ils tireront profit de leur pouvoir pour asseoir et perpétuer leur emprise sur la société.

Conscient du danger que représente cette alliance, une campagne sanction avait été menée par le mouvement amazigh contre le PJD et l’Istiqlal pour mettre en garde contre le complot qui se tramait (bien que la majorité des militants amazighs avait choisi de boycotter les élections du 25 Novembre).

Le mouvement amazigh va devoir affronter d’autres moments difficiles et décisifs de son étape pendant lesquels il devra se mobiliser assidûment et rester  uni, face aux ennemis beaucoup plus sournois et subtils qu’auparavant qui tenteront d’accélérer le linguicide amazighe en renforçant l’apartheid linguistique et culturelle mis en place depuis l’indépendance.

L’alliance du PJD avec l’Istiqlal, opposants farouches à l’officialisation de la langue amazighe dans la constitution, inquiète le mouvement amazigh et ses alliés politiques et civils, qui sont appelés à s’organiser pour défendre les acquis amazighs de cette dernière décennie et à adopter les stratégies qui s’imposent après ces nouveaux défis qui s’en dégagent. Ce contexte sournois impose également à tout moderniste, à tout démocrate, de se défaire de l’immobilisme et de l’indifférence, de s’organiser en véritable opposition ; de mener une réflexion stratégique sur les actions futures. Elle exige aussi de se dresser contre toute tentative d’utiliser la victoire grâce à la « démocratie » contre cette même démocratie.

La société civile, les partis politiques progressistes et le Mouvement du 20 février opposés à l’autoritarisme, à l’injustice et aux inégalités sociales, se doivent de continuer leur combat pour la construction d’une véritable société démocratique et moderne, basée sur les principes de liberté, d’égalité, de justice et de dignité et sur un contrat social consacrant la souveraineté populaire.

 

Meryam Demnati

Meryam Demnati

Meryam Demnati, Observatoire Amazigh des Droits et Libertés (OADL), une ONG marocaine de défense des droits et des libertés, notamment les droits linguistique et culturels des Amazighs. observatoiramazigh@yahoo.fr

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