En Guinée, les médias au coeur d’une fragile transition démocratique…

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Neuf mois après l’élection d’Alpha Condé à la tête de la Guinée le processus de transition censé aboutir à l’instauration d’un régime démocratique n’est pas encore achevé. Les Guinéens devront retourner aux urnes pour élire une Assemblée nationale qui remplacera l’actuel Conseil National de Transition (CNT). Les élections législatives, annoncées pour la fin de l’année par le pouvoir, seront un nouveau test pour un pays qui n’a connu que la dictature de Sékou Touré, l’autoritarisme de Lansana Conté et la parenthèse tragi-comique de Moussa Dadis Camara depuis son indépendance en 1958.

Le test vaudra notamment pour les médias. Comme les dirigeants et l’opposition ils devront prouver leur maturité démocratique en professionnalisant et en apaisant un débat public jusqu’à présent conflictuel. Difficile quand les médias privés, mal formés, tiennent des lignes éditoriales partisanes, agressives et teintées d’ethnocentrisme, comme un reflet de la politique actuelle.

Cet enjeu a été posé le 25 juillet lorsque le Conseil National de la Communication (CNC, équivalent du CSA) décida de censurer toute évocation de l’attaque contre la résidence privée d’Alpha Condé survenue le 19 juillet. Les associations de médias, qui ont nié avoir été associées à la décision comme le prétend le CNC, ont dénoncé une violation de la Constitution. La France a réprouvé une « atteinte grave à la liberté d’expression ». « Le président Alpha Condé est il un démocrate sincère ou alors un autocrate en puissance ? », interrogea Le Monde le jour même où le CNC revenait sur sa décision.

« C’est un signe de durcissement », commente Amadou Tham Camara, chef de bureau pour le pays de Guinéenews.com et président de l’Association guinéenne de la presse en ligne (Aguipel). « Même si le CNC s’est rétracté on n’avait jamais connu pareille censure, même sous Lansana Conté.»

A l’image de sa présidente Martine Condé, nommée à la tête du CNC par Alpha Condé dont elle dirigea la communication au cours de la campagne présidentielle, l’institution est controversée. Ses neuf membres sont capables de déplorer « l’absence de couverture par les médias d’Etat des activités des Partis politiques d’opposition » et de rappeler aux forces de sécurité qu’elles n’ont aucun droit d’intervenir dans les rédactions sans autorisation, comme de prendre des décisions favorables au pouvoir.

Le 9 mai, l’hebdomadaire Le Défi publie un article dans lequel Facinet Touré, ancien compagnon d’arme de Lansana Conté nommé Médiateur de la République mais pas encore entré en fonction à cette date, est qualifié de « pyromane récidiviste » pour avoir tenu publiquement des propos discriminant à l’égard des Peuls. Le 8 juin, le Conseil National des Organisations de la Société Civile Guinéenne demande sa destitution. Après une plainte de ce dernier, la sanction du CNC tombe le 11 juin : Le Défi est suspendu deux mois « pour manquement à l’Ethique et à la Déontologie ».  Un mois après Facinet Touré devient officiellement Médiateur de la République.

Martine Condé refuse d’être assimilée à une Anastasie guinéenne. « On n’a pas voulu museler la presse », se défend-elle à propos de la censure du 25 juillet. « Plusieurs médias ont commencé à mettre en doute la réalité de l’attaque. Cela risquait de mettre le feu aux poudres. Nous ne voulons pas que nos radios deviennent des Radio Mille Collines. » Début juin le CNC avait avertit les médias en dénonçant le « foisonnement du non recoupement de l’information, de l’incitation à la haine, à la division ethnique ou régionale…».

En suscitant un tollé général le CNC a répondu par une mauvaise solution à un vrai problème : l’ethnicisation des médias guinéens et leur manque de professionnalisme.

De Labé à Kankan les Guinéens affichent ostensiblement leur candidat de prédilection sur leurs pagnes, leurs commerces et leurs taxis. Les médias ne sont pas beaucoup plus discrets. Aminata.com est l’un des sites d’information les plus lus. Comme son fondateur Amadou Diallo la plupart des membres de l’équipe ont des patronymes peuls. La ligne éditoriale est largement favorable à l’Union des Forces Démocratiques de Guinée de Cellou Dallein Diallo, qui a obtenu lors de la présidentielle des scores staliniens en Moyenne-Guinée, région majoritairement peuplée de Peuls. « Du courage et a bientôt », avait envoyé Amadou Diallo à Cellou Dallein Diallo le 1er juillet sur réseau social Twitter.

Comme le fondateur d’Aminata le directeur de publication de Guinée58.com London Camara n’est pas un professionnel des médias et se montre très critique à l’égard du pouvoir en place. « On dit clairement à nos interlocuteurs qu’on est dans l’opposition, mais nous n’avons aucune connexion avec les partis politiques », affirme-il depuis le Val-de-Marne où il est attaché de recherche clinique.

En novembre 2010 il n’a pas craint d’écrire après des violences contre les Peuls ayant causé la mort de plusieurs d’entre-deux qu’« il y a eu un véritable génocide des Peulhs en Haute Guinée ». Le même mois, Guinée58 persiste en publiant l’opinion d’un contributeur titré : « Le génocide peulh est en cours en Guinée ». « Aucun peuple ou entité ethnique ne se laissera mourir sans se défendre », conclu l’auteur sur un ton va-t-en guerre.

« Je consens que c’est un peu exagéré », admet London Camara qui considère paradoxalement que « ce n’est pas le rôle de la presse de faire de l’opposition politique ». « Mais les populations ont le sentiment d’être abandonnées par l’opposition alors l’opposition est assurée par les médias. »

Sur les forums, des sympathisants de l’opposition publient des commentaires qui appellent à la guerre et à la révolte. Les auditeurs des radios écoutent des dérapages similaires venant des deux camps dans les émissions interactives.

Face à cette situation les moyens d’action du CNC sont limités. « Nous n’avons pas de service de monitoring équipé pour les radios, nous réclamons plus de moyens », explique Martine Condé. La presse en ligne n’est par ailleurs pas reconnue dans l’ancienne loi actuellement appliquée. Le CNC est donc dans l’incapacité d’agir en cas de dérapage en ligne d’autant plus que la plupart des sites ont été fondés à l’étranger par des « diaspos ». « Le fond du problème c’est que le CNC n’a pas les moyens de surveiller tous les médias donc pour se prémunir il prend la décision la plus extrême qui est la censure », analyse Amadou Tham Camara.

Les médias guinéens ont bien fait quelques tentatives d’autocontrôle. L’Aguipel a créé entre les deux tours de l’élection présidentielle un observatoire pour la moralisation et la sensibilisation des sites. Des veilles plus ou moins régulières sont censées faire remonter les articles jugés dangereux à l’association, qui peut décider de publier un avertissement sur tous les sites membres. Après le premier tour en juin 2010 l’Aguipel a également suspendu un site pour un article « tendancieux et séditieux ». Des mesures forcement polémiques et subjectives dans un paysage médiatique aussi clivé et peu professionnalisé.

« Nous n’avons rien contre la presse mais elle est mal formée et mal informée », dit Martine Condé. « Ce n’est pas forcement à l’école de journalisme qu’on ne forme pas bien, c’est tout le système éducatif qui est défaillant. ». Correspondant de RFI en Guinée depuis 14 ans Mouctar Bah pense que « le jour où les dirigeants arrêteront de tenir des discours haineux les médias suivront ».

Fabien Offner

Fabien Offner

Fabien Offner est journaliste. Spécialiste de l’Afrique de l’ouest.

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