Géopolitique des ouragans : quand Barack dit merci à Sandy

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Le défi lancé par les Républicains à la présidence de Barack Obama a bien failli coûter l’élection du 6 novembre à ce dernier. Toutefois, et de façon significative, les américains l’ont réélu à nouveau président des Etats-Unis. On peut s’interroger sur le rôle joué par l’ouragan Sandy dans cette élection très serrée, où le premier débat télévisé raté d’Obama et le recentrage progressif du candidat Romney ont, à juste titre, donné des sueurs froides aux démocrates et à bon nombre de personnes dans le monde entier.

Cette catastrophe naturelle a-t-elle vraiment participé à la prise de conscience d’une partie des Américains sur ce que signifiait réellement « moins d’Etat », le leitmotiv de Mitt Romney et de son colistier, le très néolibéral Paul Ryan ? Une capacité diminuée de réaction dans l’urgence, laissée au bon vouloir des lois du marché, comme le préconisaient ces derniers ?

 Sandy, tornade électorale

Plusieurs éléments d’analyse semblent confirmer que Sandy ait pu réveiller les consciences des  américains et des grands électeurs, un peu déçus par les promesses démocrates non tenues de 2008 ainsi que par une campagne médiatique très clivante de la part des deux candidats.

De par son intensité et son ampleur, cet ouragan a perturbé de façon très importante les infrastructures de la ville New York, stoppant l’activité de Wall Street, et entrainant plusieurs dizaines de morts malgré les précautions et les plans d’urgence mis en place par les autorités fédérales et municipales.  Les deux candidats à la présidence des Etats-Unis ont alors mis leur campagne électorale en veilleuse pour soutenir et agir auprès des populations touchées. Mais Barack Obama, bien plus que Mitt Romney, a pu y mettre son crédit présidentiel, s’assurant qu’aucun motif partisan ne viendrait troubler l’impartialité des secours.

Cette absence d’instrumentalisation excessive couplée à une efficacité réelle des secours dela FEMA(Federal Emergency Agency), agence fédérale chargée des urgences et des catastrophes,  lui a valu un hommage inattendu et très médiatisé du gouverneur républicain de l’Etat du New Jersey, à quelques jours seulement du scrutin. Les démocrates n’ont toutefois pas hésité à ressortir la déclaration télévisée de Mitt Romney déclarant, six mois plus tôt, qu’il fallait couper les crédits dela FEMAet laisser le secteur privé gérer les crises. Sur un plan financier, Sandy est également arrivé au plus mauvais moment pour le candidat républicain, qui avait encore plusieurs millions de dollars à dépenser, pensant le faire la semaine précédant le 6 novembre. Au vu des évènements, il n’a pu le faire comme il le souhaitait, n’osant pas rompre la concorde nationale qui s’était imposée les jours suivant le passage de l’ouragan, et la stratégie est devenue précipitation. Obama a également bénéficié du choix de privilégier le vote anticipé qui, ajouté au regain de voix après Sandy, a fait basculer le vote en sa faveur. Ainsi que son destin.

 Obama, surfer électoral

L’ouragan Sandy n’était pas un élément  prévisible dans cette campagne électorale, et ses vents violents ont pourtant transformé Mitt Romney en girouette et Barack Obama en capitaine de navire. Le démocrate a parfaitement su profiter des opportunités qu’offrait cette catastrophe naturelle, en alliant tactique politicienne et poursuite de l’intérêt général.

A l’inverse de Katrina, ouragan qui avait abouti à encore plus d’inégalités sociales et de désinvestissement de l’Etat fédéral, Sandy a remis en valeur la place nécessaire des fonctions régaliennes de ce même Etat fédéral auprès des citoyens américains. La notion solidarité a détrôné l’individualisme forcené prôné par des républicains tentés par l’extrémisme du Tea Party. La solidarité a repris du sens, un sens humain et politique, à quelques jours du scrutin. Et le vent mauvais a tourné. Après une campagne électorale essentiellement tournée vers les enjeux de politique intérieure, économiques et sociétaux, le monde entier s’interroge aujourd’hui – au-delà des félicitations d’usage – sur la façon dont les  Républicains, majoritaires àla Chambredes Représentants, agiront pour une opposition constructive. Ou non. Le président Obama sera attendu sur des sujets majeurs de politique intérieure et étrangère qui, dans quatre ans, détermineront si son empreinte électorale s’est transformée en empreinte historique.

 Après la tempête, d’autres tempêtes

Sur le plan économique, il est en passe de réussir son pari, après un plan énorme plan de relance, qui devrait inspirer la frileuse et jusqu’à présent bien peu solidaire Union Européenne. L’accueil glacial au Portugal à la chancelière allemande – désormais surnommée « Merckiavel » – et les nouveaux plans d’austérité votés en Grèce, montrent l’accentuation, socialement dangereuse, du gouffre qui sépare de plus en plus les peuples de leurs élites dirigeantes. Gageons que cette élection permette à Obama d’intensifier les processus de régulation bancaire dont l’absence, pendant deux décennies, a précipité la crise économique mondiale dans laquelle nous nous trouvons.

Sur les enjeux sociétaux, la non-élection d’un républicain mormon va éviter d’aggraver la situation déjà compliquée des femmes pour l’accès à l’avortement, même en cas de viol. En dix ans, sous l’influence d’organisations militantes  pro-life comme « Operation Rescue », le nombre de cliniques où pouvait se pratiquer l’avortement est passé de 1800 à 800 sur le territoire américain, certains médecins l’ayant même payé de leur de leur vie. Sur le plan sanitaire, la loi Obama Care, va pouvoir être implémentée à partir de 2013-2014, et ce malgré l’opposition farouche des Républicains[1]. La place de la peine de mort, sujet très sensible aux Etats-Unis, pourrait être aussi un enjeu de taille pour le premier président noir élu.

En politique étrangère, Obama a défendu une ligne de prudence, voire de réserve, dans l’engagement des forces armées américaines et dans ses combats diplomatiques. A juste titre comme en Libye, avec plus de critiques lorsqu’il s’agit des engagements internationaux pour lutter contre le réchauffement climatique ou pour défendre un règlement pacifique et équitable de l’interminable conflit israélo-palestinien. Le retrait d’Afghanistan, bien que nécessaire, risque également de laisser un vide politico-militaire que les Talibans s’efforcent déjà de combler. Régulièrement dénoncés, les abus de Guantanamo pourraient trouver une issue par la fermeture définitive de ce site « hors la loi », qui n’a fourni aucune solution pérenne aux délicats enjeux du terrorisme islamiste. Bien plus que la mort de Ben Laden au Pakistan, il en a été un carburant idéologique majeur, instrumentalisé par tous les radicaux islamistes de la planète. Promesse non tenue de sa première campagne électorale, Barack Obama tient là aussi l’occasion de clore définitivement l’ère de G.W. Bush. Enfin, une décision historique que pourrait prendre le président réélu serait de renouer des liens diplomatiques avecLa Havane, maintenant que le régime cubain commence à s’ouvrir.

Si de nombreuses personnes ont été déçues par le premier mandat de Barack Obama, c’est que les espérances étaient peut-être aussi trop ambitieuses. Ce deuxième mandat, son dernier pour lui, reste l’occasion offerte de tracer des sillons qui marqueront les esprits et les lois de ce pays. Ce deuxième mandat nous enseigne aussi à quel point les tournants politique d’un pays, et en conséquence sa géopolitique, sont difficilement prévisibles. Ils ne tiennent parfois qu’à un gros coup de vent.

[1] https://grotius.fr/la-%C2%AB-barack-care-%C2%BB-adoptee-une-chance-historique-pour-les-americains/

Jérôme Larché

Jérôme Larché

Jérôme Larché est médecin hospitalier, Directeur délégué de Grotius et Enseignant à l’IEP de Lille.