Guerre au Mali : de l’information monochrome à la stupide rhétorique bushienne

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Alors que l’offensive des armées françaises et maliennes se poursuit dans la région d’Aguelhok, au nord de Kidal, les informations disponibles sur le déroulement des combats et leurs conséquences, pour les populations civiles comme pour les parties au conflit, manquent singulièrement de pluralité et de diversité.

En effet, les grands médias écrits et audiovisuels se reposent quasi-exclusivement sur les interviews accordées par les représentants du Ministère de la Défense(généralement le porte-parole de l’état-major ou le ministre lui-même) et les reportages envoyés par les journalistes « embedded » (embarqués). Entre des soldats français qui ne souhaitent pas renseigner le camp adverse, des soldats maliens qui n’apprécient pas que leurs dérapages violents envers la population soient dévoilés par certains médias, et le Quai d’Orsay qui appelle la presse à « respecter les consignes de sécurité », le travail d’information indépendante des journalistes dans le conflit malien parait pour le moins menacé. Comme le rappelle le chercheur du CERIUM, D. Larramendy, les journalistes couvrant les conflits se trouvent à « un point de collision entre deux concepts historiquement construits comme incompatibles : sécurité nationale et droit à l’information »[1].

La transformation des conflits, de plus en plus asymétriques et fragmentés, sans lignes de front clairement établies, accentue cette collision qui peut devenir une collusion, sous la pression combinée d’une recherche de scoop et de rentabilité financière de l’information. Pour toutes les parties au conflit, maîtriser l’image et gagner la guerre de l’information revêtent une importance stratégique. L’invocation par les militaires des « devoirs » des journalistes en contexte de conflit tels que respect des mesures de sécurité, responsabilité éthique, et nécessaire couverture médiatique des armées nationales au combat, semble être, à la lumière des expériences afghane et irakienne, des invariants de la médiatisation des conflits armés. Et la marque d’une volonté de la part des autorités militaires de considérer le travail journalistique comme un relai, un « trait d’union entre combattants et opinion publique nationale »[2], soutien essentiel pour tout  gouvernement s’engageant dans une guerre.

Au lieu de relayer les discours guerriers de l’ « Opération Serval », les journalistes devraient favoriser, avec un regard indépendant et critique, la compréhension  des enjeux et des acteurs, sans tomber dans la propagande idéologique de la guerre « juste ». Les risques objectifs de la criminalité transnationale au Sahel, de déstabilisation politique régionale, ou le jeu parfois clair-obscur des monarchies du Golfe mériteraient de vrais arrêts sur image. D’autre part, le discours inopérant des autorités françaises sur  la « guerre contre le terrorisme » – renié ouvertement par le Président américain Obama en raison de son inefficacité conceptuelle et opérationnelle -, tout comme les exactions de plus en plus visibles[3] de l’encombrante alliée militaire malienne, risquent de brouiller durablement les objectifs réels de l’intervention française au Mali.

Au-delà d’une nécessaire information polychrome et pluraliste que les journalistes doivent défendre, l’Etat français serait bien inspiré de reconsidérer – en le faisant savoir – ses objectifs militaires (et son effet final recherché), de complexifier sa lecture de l’océan sahélien (en gommant les aphorismes bushiens de ses éléments de langage), et de montrer sa volonté pour trouver une solution politique aux revendications Touaregs (instrumentalisés en partie aujourd’hui par les groupes salafistes). Les déclarations récentes du Président Hollande proposant un désengagement progressif des forces françaises ont valeur symbolique, même si aujourd’hui, le degré d’impréparation et d’absence de cohésion des forces africaines envisagées empêche de façon réaliste tout déploiement militaire régional. Quels que soient les succès militaires actuels, le temps jouera inexorablement contre toute présence militaire étrangère. Seuls un désengagement rapide et la prise en compte des facteurs structurels ayant permis l’essor de cette criminalité transnationale mafieuse et terroriste, permettront d’éviter  un bourbier sahélien.

[1]D. Larramendy  « Le conflit couvert par les médias : retour sur les expériences de journalistes canadiens », Grotius, avril 2011

[2]« Place et rôle des médias dans les conflits armés : vers une transformation ? » http://thinking-about-the-world.over-blog.com/article-place-et-role-des-medias-dans-les-conflits-armes-vers-une-transformation-67843929.html

[3]www.hrw.org/fr>/africa/mali

Jérôme Larché

Jérôme Larché

Jérôme Larché est médecin hospitalier, Directeur délégué de Grotius et Enseignant à l’IEP de Lille.