Haïti : des antennes surgies des ruines…

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Cette fois, le calvaire a duré dix minutes. Le 24 septembre, une tornade tropicale partie de République Dominicaine traverse Port-au-Prince. Le bilan humain s’élève à cinq morts et à une cinquantaine de blessés, mais l’état général de la capitale haïtienne nourrit des spéculations moins optimistes. Huit mois après le séisme du 12 janvier – ces “35 secondes” photographiées dans un supplément spécial du quotidien Le Nouvelliste -, au cours desquelles 230.000 personnes ont perdu la vie, l’année zéro est promise à durer au pays de Toussaint-Louverture.

Echo du cataclysme, la tempête du 24 septembre a particulièrement frappé la douzaine de camps de déplacés du séisme – parmi 1 200 disséminés sur l’ensemble du territoire – situés dans la capitale. Près de 2 000 tentes emportées par le vent selon le constat des humanitaires et de la presse, et des quartiers entiers sans électricité ni moyens de communication. “La reconstruction ? Elle reste à l’état de promesse malgré l’affluence de l’aide internationale après le 12 janvier. La menace d’une nouvelle catastrophe bloque la remise en état.

Même les ingénieurs dépêchés dans l’enceinte du Palais National ont préféré geler les travaux de démolition”, nous confiait Gotson Pierre de façon prémonitoire quelques jours avant la tempête. Fondateur et directeur du groupe Médialternatif, en pointe d’une presse en ligne participative et citoyenne encore trop marginale en Haïti, Gotson Pierre est à l’initiative d’un Télécentre mobile à destination des déplacés. Ce cybercafé et mini-studio monté sur roues tourne au sein des camps de fortune depuis le mois de juin. Il s’agit de répercuter l’information mais aussi de la recueillir auprès de ces populations trop longtemps privées de moyens de communiquer.

Le Télécentre cadre de près avec l’un des objectifs mis en avant par les instances internationales et organisations humanitaires depuis le tsunami asiatique de décembre 2004 : soutenir l’effort humanitaire à sa source, grâce aux populations touchées, rapidement mobilisées dans l’estimation des dégâts et l’évaluation des besoins. Et les besoins risquent encore de grossir au sein des quartiers en toile de Port-au-Prince, où quelque 1 200 personnes venues des campagnes et de la périphérie s’établissent chaque jour, d’après les autorités haïtiennes, dans l’attente d’un meilleur logement. La reconstruction des médias devrait accompagner celle du pays. Dans le cas haïtien, la première précède largement la seconde.

Média roi ou patrimoine national, la radio aura tenu comme jamais son rôle de liant d’une population meurtrie et sans boussole. Parmi la cinquantaine de stations que compte Port-au-Prince, seule Signal FM était parvenue à maintenir sa programmation au cours des “35 secondes”. Un mois plus tard, la capitale avait vu restaurer plus de la moitié de son parc d’antenne, souvent à même la rue, grâce en particulier au concours technique de Radio France.

Sous une tente, déployée devant l’immeuble qui l’abritait jusqu’alors, le studio de Caraïbes FM n’avait jamais connu tant d’affluence. “Les auditeurs viennent. Passent leur message dans l’espoir de retrouver un parent, ou pour alerter sur une zone touchée et où les secours tardent à venir”, nous expliquait Patrick Moussignac, son directeur, un mois après le tremblement de terre. Le processus reste d’actualité tant la vie sociale au milieu des décombres a repris corps autour des micros et des tables de mixage.

Dans la province dévastée du Sud-Est, quelque 17 stations animent la ville de Petit-Goâve. Il leur aura fallu quarante-huit heures pour se constituer en réseau, et fédérer l’ensemble des rédactions autour d’un programme quotidien de trois heures spécialement consacré au séisme. Sur les ondes de Radio Men Kontre (“Mains jointes” en créole, la station étant d’obédience catholique) – “antenne-mère du dispositif”-, les deux premières heures d’émission prodiguent conseils pratiques et sensibilisation : accès aux soins, précautions d’hygiène, dangers des reconstructions hâtives… La dernière heure donne la parole aux acteurs de la reconstruction.

Le Réseau s’enorgueillit d’avoir notamment reçu les représentants des grandes ONG et de la MINUSTAH (Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti, en place depuis juin 2004). La coalition des 17 stations s’est donnée un an d’existence. Si le défi de la reconstruction plaide pour un délai supérieur, les moyens techniques précaires des radios leur permettront-elles de tenir l’échéance impartie ? La question se pose en fait à tous les journalistes. Notamment ceux de la presse écrite et en ligne. Faute de pouvoir réinvestir leur journal, ils ont trouvé avec le Centre des médias du quartier Bourdon de Port-au-Prince une “rédaction hors média” où ils disposent d’une vingtaine de postes de travail.

Mis en place par Reporters sans frontières et le groupe canadien Quebecor, le Centre, dont la gestion a été confiée au journaliste du Nouvelliste Claude Gilles, est devenu un lieu de convergence entre presse haïtienne, médias internationaux et ONG. Au programme des futures rencontres : la couverture du scrutin du 28 novembre qui doit désigner le successeur de René Préval. Mais cette fois, le pays tout entier est-il en mesure de tenir l’échéance ?

Benoît Hervieu

Benoît Hervieu

Benoît Hervieu est Directeur du Bureau Amériques – RSF…………………………………………………………………………….
Benoît Hervieu, Reporteros sin Fronteras, Despacho Américas .