Henry Dunant, de la Croix-Rouge à la paix

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Tentant de rencontrer Napoléon III pour obtenir une concession foncière en Algérie, le Genevois Henry Dunant arrive au soir de la bataille de Solférino, le 24 juin 1859, à Castiglione où sont entassés près de 9 000 blessés de la bataille. Bouleversé, Dunant se dépense sans compter pour organiser des secours. Il envoie un message à sa compatriote, la comtesse Valérie de Gasparin, pour qu’elle le publie dans la presse. Et c’est à la suite de sa parution dans l’Illustration et le Journal de Genève que deux étudiants genevois partent rejoindre Dunant à Castiglione.

Restant obsédé par la terrible vision des conséquences de la guerre, il publie en 1862, à Genève, son livre-phare, Un souvenir de Solférino, qui a un grand retentissement en Europe. Dunant y décrit l’horreur du visage caché de la guerre, toute la souffrance des blessés et des mourants abandonnés à leur sort.

Il y dénonce l’insuffisance criante des secours et préconise, pour y remédier, la création de sociétés de secours, composées de volontaires donnant leurs soins aux militaires blessés sans opérer de distinctions de nationalités. Ce livre, et surtout les idées qu’il y exprime, sont à la source de la création de la Croix-Rouge et du droit humanitaire en 1863 et 1864.

Dunant et la création de la Croix-Rouge

Dans Souvenir de Solférino, habilement, Henry Dunant n’écrit pas un mot contre la guerre. Il veut être entendu et compris. Il ne condamne donc ni les militaires, ni la guerre. Avant lui, bien d’autres personnes ont écrit en faveur de la neutralisation des hôpitaux militaires. Mais aucun n’a été écouté.

Dunant a plusieurs atouts avec lui : le souvenir de la guerre de Crimée, qui avait tant ému l’opinion – notamment grâce à des articles et des photos parus dans la presse anglaise, à propos de Florence Nightingale -, est encore dans les esprits. Dunant a rencontré un autre Genevois, Gustave Moynier, qui va fortement contribuer à donner réalité à ses idées. Dunant a su obtenir ses entrées dans de nombreuses Cours européennes. Le Genevois est très écouté à Berlin, quant à l’empereur Napoléon III, il approuve ses idées et les défend contre son ministre de la Guerre, le maréchal Randon.

Henry Dunant a également su profiter de l’intérêt de la presse pour ses idées. Un article sur son livre est publié par le Journal de Genève. En décembre 1862, Dunant demande si son ouvrage pourrait être mentionné dans les Annales catholiques de Genève. En France, un article est remis à la Revue Catholique.

Le rédacteur du Courrier des Alpes est également contacté. Le quotidien bruxellois Indépendance Belge reçoit un papier de Gonzalve Petitpierre, alors ancien député. Deux autres sont rédigés pour La Gazette de Cologne, et le journal de Dickens All the Year Round. A Milan, La Lombardia et Patria e Famiglia font part de leur intérêt pour le livre. En février 1863, un article démontrant les talents de narrateur de Dunant est publié dans Le Journal des Débats qui reproduit, peu après, des passages d’Un Souvenir de Solférino, accompagnés d’un papier de Saint-Marc de Girardin.

Cet article a été vu par de très nombreux lecteurs, notamment Frédéric Passy qui n’avait pas trouvé l’ouvrage en librairie. D’ailleurs, Le Journal des Débats déplore que le Souvenir.. ne soit pas en vente pour être connu du grand public. Le 5 août 1863, le même journal reprend un article de La Gazette de Neuchâtel, faisant état avec fierté des réactions positives françaises, et mentionnant que les grands journaux, dont le Spectateur militaire, en font l’éloge. Le Luyer-Morvan approuve le projet de création de sociétés de secours, en émettant cependant une réserve traduisant le sentiment des autorités françaises, à savoir : le refus d’accepter la venue de civils sur les champs de bataille.

Les 21 septembre et 22 novembre 1863, Le Moniteur de l’Armée publie des papiers sur les sociétés de secours, dont les résolutions relatives à leur création ont été adoptées entre temps à Genève. Un peu plus tard, au moment de la création par Dunant de la future Croix-Rouge française, Louise Belloc fait paraître un papier sur Un Souvenir de Solférino dans l’Economiste français.

La presse publie aussi des articles relatifs à la future Convention de 1864, qui doit poser le principe de la neutralité du personnel sanitaire et des hôpitaux militaires. Le 11 février 1864, Le Moniteur de l’Armée fait paraître un article expliquant que la neutralisation des blessés et des ambulances est une idée déjà ancienne. Aussi l’auteur se montre-t-il optimiste quant aux chances de réussite du Congrès d’août 1864 chargé de rédiger le fameux traité. Tout naturellement, la presse genevoise s’intéresse particulièrement à cette conférence internationale et à ses objectifs.

Dunant, homme de paix

Pessimiste -ou réaliste- Dunant ne croit pas que la guerre puisse être éradiquée de ce monde. Il ne partage pas les idées de l’Abbé de St Pierre. Il l’écrit d’ailleurs dans Un Souvenir de Solférino. Aussi, son ambition est-elle autre : porter secours aux militaires, blessés ou malades. Et au XIXème siècle, celle-ci ne concerne encore pratiquement que les militaires.

En 1867, à la suite d’une liquidation judiciaire, Dunant doit quitter le Comité international qu’il a fortement contribué à créer. Commence alors une vie d’errance et de misère. Déconsidéré à Genève, Dunant doit quitter sa ville natale. Il est vite oublié de tous, non sans avoir porté secours aux Parisiens pendant la guerre franco-allemande.

En 1887, Henry Dunant s’installe définitivement à Heiden, en Suisse, et commence à écrire ses Mémoires, ainsi qu’un ouvrage retraçant Les origines de la Croix-Rouge. Six ans plus tard, il sort de l’oubli grâce à un journaliste, Georg Baumberger. En 1895, celui-ci rédige un article sur Dunant dans l’Ostschweiz du 26 juin. Le vieil homme remercie chaleureusement le journaliste qui le rencontre à Heiden le 7 août 1895.

De cet entretien, il tire un deuxième article sur Dunant, qu’il publie dans un hebdomadaire allemand très diffusé : Uber Land und Meer. Ses propos sont repris par des journaux du sud de l’Allemagne et de Suisse alémanique. Emue, l’opinion publique s’aperçoit que Dunant est toujours vivant. Il est de nouveau admiré dans toute l’Europe. Il reçoit de très nombreuses marques de sympathie et des souscriptions sont ouvertes en sa faveur.

Disposant de trop peu de moyens financiers pour publier seul son ouvrage sur Les origines de la Croix-Rouge, Dunant s’adresse à Bertha von Suttner, afin qu’elle parle en sa faveur à la Croix-Rouge autrichienne. Dunant connaît son roman paru en 1889, intitulé Bas les Armes, dans lequel la militante de la paix cite l’auteur du Souvenir de Solférino comme étant le fondateur de la Croix-Rouge. En 1896, Bertha von Suttner voit Henry Dunant à Heiden et obtient qu’il s’engage en faveur de la paix, notamment en écrivant dans sa revue Die Waffen nieder !

Dans un courrier adressé à Bertha von Suttner en 1896, Dunant explique qu’en montrant, comme il l’a fait, les réalités de la guerre dans Le souvenir de Solférino, il a engendré le sentiment de l’horreur de la guerre à ses lecteurs et qu’il a été inspiré par elle. D’ailleurs en 1871 à Paris, et deux ans plus tard à Londres, Dunant a fondé l’Alliance universelle de l’ordre et de la civilisation, dont un des objectifs est le maintien de l’harmonie, et donc de la paix, entre les nations et entre les personnes.

En 1872, à Plymouth, Dunant a développé son idée de la nécessité de prévoir une procédure d’arbitrage entre les Etats afin d’éviter le déclenchement des guerres. Au même moment, avait lieu à Genève l’arbitrage de  » l’affaire de l’Alabama  » entre la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, à propos de ce croiseur construit par l’Angleterre qui, lors de la guerre de Sécession a détruit, ou pris, soixante-dix navires marchands nordistes. Or, cette affaire avait failli entraîner un conflit entre les deux pays, qui avaient, heureusement, préféré confier leur différend à un tribunal international.

Beaucoup plus tard, Dunant a écrit L’Avenir sanglant, qui tranche avec l’optimisme affiché des Pacifistes lié à la proposition russe de réunir un congrès, chargé d’adopter des moyens pour assurer « une paix réelle et durable ». A la veille de la conférence, répondant à l’attente de Bertha von Suttner, Dunant lui rédige une lettre pour qu’elle la publie dans la presse.

Il y écrit -en tant que « promoteur » de la Croix-Rouge et de la Convention de Genève de 1864- toutes ses sympathies pour le projet présenté par l’article 8 de la circulaire russe en faveur de « l’éloignement de la guerre et de ses horreurs », objectif qui d’ailleurs l’a « toujours guidé ». A l’époque en effet, les pacifistes craignent que les négociateurs du Congrès de La Haye de 1899 ne privilégient d’autres points du programme tsariste, comme celui de la règlementation des lois et coutumes de la guerre.

Henry Dunant affirme à la baronne von Suttner qu’il faut insister sur l’importance de l’arbitrage international, de manière à ce que le sujet fasse l’objet d’une  » résolution spéciale  » distincte des autres sujets. De bon conseil, Dunant voit juste.

Le 10 décembre 1901, Henry Dunant partage le premier prix Nobel de la Paix, avec le Français Frédéric Passy défendu par Bertha von Suttner. Le nom de Dunant était, quant à lui, appuyé par le médecin-inspecteur Danois Hans Daae. En février de la même année, les membres du Comité international de la Croix-Rouge avaient appris la candidature de Dunant et présenté celle du Comité. Celui-ci recevra le prix en 1917 puis en 1945, et en 1963 avec la Ligue des Sociétés de la Croix-Rouge.

Bibliographie

M. Descombes, Dunant, Genève, éd. René Coeckelberghs.

H. Dunant, Un souvenir de Solférino suivi de L’Avenir sanglant, Genève, L’Age d’homme, 1986.

A. Durand, « La Conférence de Genève d’août 1864 vue par la presse genevoise », Revue internationale de la Croix-Rouge (RICR), n°778, 1989, p. 294-317.

A. Durand, « L’idée de paix dans la pensée d’Henry Dunant », dans De l’utopie à la réalité, Actes du colloque Henry Dunant, Genève,  Société Henry Dunant, 1988, p. 353-395.

V. Harouel, « Frédéric Passy, la Croix-Rouge et la paix », dans Genève et la paix, Acteurs et enjeux, Trois siècles d’histoire, Actes du colloque historique tenu au Palais de l’Athénée les 1-2-3 novembre 2001, Genève, Genève : un lieu pour la paix,  2005, p. 123-139.

V. Harouel, Genève-Paris, 1863-1918, Le droit humanitaire en construction, Genève, Société Henry Dunant, Comité international de la Croix-Rouge (CICR), CRF, 2003.

J. de Senarclens, Gustave Moynier, le bâtisseur, Genève, Slatkine, 2000.

Véronique Harouel-Bureloup

Véronique Harouel-Bureloup

Véronique Harouel-Bureloup est Maître de Conférences à l’Université de Paris 8.

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