Humanitaire empêché? Humanité menacée !

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guerre humanitaire
© JF Mattei

Née à la modernité sur le champ de bataille de Solferino (1859) pour porter secours aux blessés militaires, l’identité de l’action humanitaire s’est forgée sur les principes fondateurs d’humanité, neutralité, impartialité et indépendance. Dans tous les conflits, sa règle est de rester disponible pour les uns comme pour les autres, sans prendre parti. Pour cette raison, les relations entre humanitaires et militaires ont toujours fait l’objet d’une attention particulière pour éviter les critiques éventuelles, d’autant que les Etats engagés désormais dans des actions humanitaires pour leur propre compte utilisent parfois des termes ambigus comme celui d’opération « militaro-humanitaire ».

D’une façon générale, la coopération des humanitaires avec les militaires est jugée utile, sinon indispensable, lors des catastrophes en raison notamment de la logistique dont ils disposent en matière de soins urgents, de maintien de la sécurité et d’acheminement des secours. On l’a constaté lors du tsunami en Asie du Sud-Est (2004) ou du tremblement de terre en Haïti (2010).

Il en va différemment lors de situations de conflits où la confusion des genres entre humanitaire et militaire fait l’objet de mises en garde, voire de critiques, comme en Afghanistan où les mêmes soldats procédaient depuis les mêmes avions, selon les jours, à des largages d’aide de secours ou de bombes. En pareil cas, les conséquences sont dramatiques pour les humanitaires engagés sur le terrain qui se trouvent dès lors confondus avec les militaires. Si ce cas d’école mérite toujours considération, il faut admettre qu’en peu de temps, les repères ont encore évolué.

S’agissant de conflits internes, loin d’accepter le droit d’ingérence, l’autorité politique, au nom de la souveraineté des Etats, contrôle l’aide humanitaire en accordant ou refusant l’accès sur le territoire et les zones de combats. En conséquence, les humanitaires peuvent être considérés par les opposants comme des acteurs partiaux. Ils deviennent des cibles privilégiées et font l’objet d’enlèvements à des fins de rançons ou de pression politique (248 attaques d’humanitaires recensées en 2013 d’après The Aid Worker Security Database (AWSD), de sorte que les actions humanitaires qui persistent sont souvent entreprises dans des conditions banalisées. On reconnaîtra la gravité d’un tel paradoxe illustré un peu partout, notamment dans les zones subsahariennes.

Depuis quelques mois, cette question des rapports entre humanitaire et militaire est à nouveau posée avec gravité. Comment porter secours aux populations victimes de combats violents inscrits dans la durée ? Syrie, conflit israélo-palestinien, nord du Mali, Centrafrique, Irak, Ukraine, Afghanistan et d’autres encore… Toutes ces situations offrent leurs propres caractéristiques, mais elles ont en commun la souffrance des populations civiles qui sont les plus durement touchées, femmes et enfants au premier rang.

Certes, le monde humanitaire se mobilise, mais il faut bien reconnaître que les règles du Droit international établies au fil des décennies ne répondent plus aux nouvelles exigences de ces nouveaux conflits. Quand un fanatisme qui n’a rien de religieux s’impose comme le repère suprême d’un combat sanguinaire, que valent les règles civiles adoubées dans des enceintes politiques ? Quand la quête d’une identité revendiquée depuis des lustres devient une exigence vitale, que vaut le prix de la vie humaine qui fait obstacle ? Quand les enjeux politiques, religieux et mafieux s’entremêlent, comment faire valoir les droits des plus faibles ? Quand l’intervention armée devient l’ultime recours, y compris dans l’esprit d’autorités religieuses par essence pacifiques, pour protéger des fidèles contre un intégrisme meurtrier, c’est bien que les combattants ont jeté aux orties toutes les valeurs d’humanité qui s’imposaient.

La barbarie n’en finit pas de revenir à l’assaut. Assistant avec horreur et révolte au spectacle médiatique innommable de la mise à mort d’un homme, pourtant non combattant, on se prend à penser que le combat ne doit jamais cesser pour que l’humanité garde ses droits. Et l’humanitaire dans tout ça ? Malgré le travail considérable accompli par le Mouvement Croix-Rouge et Croissant-Rouge et nombre d’ONG, au regard de l’immensité de la tâche, il est urgent que tous les Etats se liguent pour que les acteurs humanitaires puissent agir. Nous sommes loin des guerres où seuls périssaient les combattants. Il s’agit désormais d’un enjeu de civilisation qui justifie la mobilisation générale de ceux qui croient en l’homme. Quand les civils paient le prix de la guerre et que les humanitaires ne peuvent remplir leur mission, c’est le cœur de notre humanité qui se trouve menacée.

 

Jean-François Mattei

Jean-François Mattei

Jean-François Mattei est Président honoraire de la Croix-Rouge française, Président du Fonds Croix-Rouge française. Ancien ministre.

Jean-François Mattei

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