Iran : les relations entre ONG et médias

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Sous le signe d’une grande méfiance…

Les organisations non gouvernementales et les médias en Iran entretiennent des relations complexes de méfiance. « Dans le contexte politique iranien, cette méfiance est inévitable » explique Reza Moini de RSF… Propos recueillis et traduits du persan par Darya Kianpour.

 

Darya Kianpour : Les médias et les ONG semblent constituer en Iran deux sujets, exagérément, sensibles. Comment expliquez-vous cette situation ?

Reza Moini : La République islamique d’Iran était, dès sa création en 1979, la plus grande prison des journalistes dans tout le Moyen-Orient. Elle en est devenue la plus grande dans le monde depuis la réélection de Mahmoud Ahmadinejad en juin 2009, et les contestations qui s’en sont suivies. Il existe de la part des autorités iraniennes une très grande méfiance  à l’égard des journalistes en général et vis-à-vis des journalistes qui collaborent avec des médias étrangers en particuliers.

Croire que seuls les journalistes politiques sont menacés est une grave erreur. Je peux citer le cas de Monsieur Ali Farahbaksh, journaliste traitant des questions économiques, qui a participé à une conférence internationale consacrée à l’économie mondiale. Il y a prononcé un discours repris par la presse. A son retour en Iran, il a été arrêté et condamné à cinq ans de prison sous prétexte que les frais de son voyage étaient payés par les organisateurs de la conférence, ce qui, en réalité, est  une pratique courante dans le monde surtout lorsque des participants viennent de loin. C’est ce que fait le gouvernement iranien ainsi que les différents organismes liés au pouvoir lorsqu’ils organisent ce genre de réunion en Iran.

Le cas de Monsieur Farahbaksh est un exemple parmi tant d’autres. Beaucoup de journalistes ont été arrêtés et emprisonnés, parce que leurs écrits dérogeaient à la ligne de propagande imposée par les autorités ou tout simplement en raison de leur relation avec des ONG dont des associations humanitaires.

Le problème est que les ONG et les journalistes posent des questions qui dérangent et mécontentent  les autorités. Dans la République islamique, lorsque les responsables sont critiqués et mécontents, soit vous allez en prison, soit vous êtes forcé de prendre le chemin de l’exil.

D.K : De leur côté, les dirigeants et militants d’associations humanitaires semblent ne pas avoir de bonnes relations avec la presse et montrent une grande méfiance vis-à-vis des journalistes.

Reza Moini : Il faut distinguer les médias officiels de la presse indépendante qui, en principe, n’a pas de relation directe avec l’Etat et bien souvent se trouve dans le collimateur des autorités. Les médias d’Etat constituent l’instrument de propagande du pouvoir et ne s’intéressent jamais aux questions sociétales et aux organisations humanitaires.

Au contraire, ils tentent de discréditer les militants des causes humanitaires et font l’éloge de la charité islamique et des organisations qui en sont chargées. Par exemple certains responsables du quotidien Ressalat, journal religieux conservateur proche du pouvoir, font parties de ceux qui dirigent entre autres le « Comité Emdad de l’imam Khomeini », une soit disant ONG humanitaire reconnue par le ministère de l’Intérieur et soutenue par le régime. Aussi ce quotidien ne traite pas objectivement les activités des autres ONG ou associations indépendantes qui ne font pas de propagande islamique et se consacrent uniquement aux activités humanitaires.

Les organisations caritatives qui dépendent du pouvoir sont en réalité des organes chargés de stipendier les bénéficiaires de leurs aides au service du régime.

D.K : Mais les sujets relatifs à l’action humanitaire sont également relayés au second rang dans la presse dite indépendante.

Reza Moini : Vu la situation politique en Iran, il me semble compréhensible que les activités et la vie des associations et ONG humanitaires ne constituent pas la première préoccupation des médias dits indépendants.  Dans un contexte où le pouvoir tente, tous les jours, de les isoler, ces médias sont attirés avant tout par des questions politiques.

A titre d’exemple on peut évoquer le séisme à Bam, survenu le 26 décembre 2003, qui a constitué un test pour mesurer la capacité de réaction et de mobilisation des autorités. D’après les rapports que j’ai reçus et les témoignages des collègues journalistes alors sur place, pendant les quatre premiers jours qui ont suivi la catastrophe, les opérations de secours et d’aide étaient essentiellement assurées par la société civile et la population.

Le premier acte du régime était de « sécuriser » la région, non pas dans le sens de défendre et de protéger la population et le peu de biens qui leur restait, mais pour isoler les organisations humanitaires indépendantes. Le pouvoir, souhaitant tout contrôler, ne leur a apporté aucune facilité ou aide pour travailler.

En ce qui concerne les médias, un journaliste indépendant qui voulait se rendre sur place a été évacué de l’avion militaire qui transportait des journalistes d’Etat, alors qu’il avait obtenu l’accord préalable du préfet de la région pour prendre cet avion. Vous imaginez bien qu’il n’était absolument pas possible pour la presse indépendante de rapporter librement ces événements.

Plus tard lorsque la cohue médiatique est tombée et que les responsables et délégués officiels dépêchés sur place ont quitté la ville, ne restaient que des petites organisations humanitaires indépendantes. Certaines d’entre elles y sont d’ailleurs toujours présentes. Elles ont créé différents ateliers destinés aux femmes, ou l’apprentissage d’un métier et la reprise d’une activité…

Je peux vous citer l’exemple d’un collègue journaliste qui faisait parti de l’une de ces associations et qui me racontait que leur organisation n’avait même pas un sous mais disposait de beaucoup de volontaires. Alors  comme dit le dicton : « au lieu d’offrir le poisson,  il vaut mieux enseigner la pêche », ils ont tout fait pour enseigner aux survivants un métier et un savoir-faire.

Mais à ce moment -là, les priorités avaient changé et la presse avait d’autres préoccupations. La société civile a entrepris beaucoup d’initiatives dont un nombre important a échoué sous la pression des tracasseries administratives. Par exemple le célèbre chanteur iranien Mohammad Reza Shajarian a voulu fonder une maison de musique dans la ville, il a même donné un concert et réuni les fonds. Plusieurs associations et ONG étaient des partenaires de cette initiative qui avait un but éducatif, mais les autorités ont tout fait pour arrêter ce projet.

D.K : Mais rien de ce que vous dites, sur les activités et projets des ONG  et sur les « tracasseries » des autorités, n’ont  été suffisamment relatés dans la presse…

Reza Moini : Ce qui est dans le contexte iranien tout à fait compréhensible ! Car le puissant « Comité Emdad de l’imam Khomeini » s’est mis en avant en déclarant que tout ce qui se passait à Bam était placé sous son autorité.  Il devenait alors très difficile sinon impossible de parler des activités d’une ONG ou d’une association indépendante qui oeuvrait dans l’unique but de venir en aide à la population.

En réalité la plupart des écoles et d’autres infrastructures qui ont été construites après le tremblement de terre l’ont été grâce à la société civile, mais, officiellement, tous devait être présentés comme étant l’œuvre de ce Comité. Les actions non-gouvernementales ne plaisent pas aux autorités :  elles n’existent pas officiellement, et c’est pour ça que l’on en parle très peu.

D.K : Pensez-vous qu’une plus grande attention des médias à la société civile, aux ONG et associations et à leurs activités constituerait une menace pour le régime islamique ?

Reza Moini : L’existence même de la société civile est une menace pour le régime. Il est contraint à tolérer certaines activités de la société civile, non pas par souci humanitaire mais parce que, tout simplement, il ne peut pas les interdire ouvertement.

La société iranienne est une société dynamique et solidaire. La société civile y existe depuis longtemps. L’histoire de la presse en Iran remonte à plus de 170 ans. Le combat de la société civile n’est peut-être pas assez connu en Occident.

Mais le fait que de simples militants des droits les plus élémentaires sont réprimés, emprisonnés et même exécutés montre la fragilité du régime. L’exemple le plus flagrant c’est la situation des femmes : depuis 30 ans, le régime n’a pas réussi à les voiler comme il le voulait, elles ont toujours résisté et tenu tête aux autorités.

Je me souviens d’une anecdote personnelle… Au début des années 80, suite à la  « Révolution culturelle » et à « l’épuration des universités », les professeurs expulsés avaient fondé une association, non déclarée bien sûr, et enseignaient clandestinement aux jeunes certaines matières dont le journalisme. Je venais de sortir de  prison et avec quelques amis ex-codétenus j’assistais à ces cours. On nous appelait « la rédaction sans journal », mais je peux vous dire que beaucoup d’entre nous sommes actuellement membres, très actifs d’ailleurs, des ONG ou associations humanitaires ou de défense des droits de l’Homme mais aussi journalistes professionnels.

Je ne risque pas de me tromper en disant que la liberté d’expression constitue une très grande menace pour ce régime. Si cette liberté existait, des journalistes pourraient sans crainte enquêter, par exemple, sur l’utilisation des fonds démesurés attribués au « Comité Emdad de l’imam »… Ou réaliser des reportages sur les actions des ONG indépendantes présentes à Bam…

D.K : Mais certaines ONG et organisations sont reconnues par l’Etat et semblent être libres de travailler…

 

Reza Moini : Un grand nombre d’organisations et d’associations légalement enregistrées comme ONG ne sont en réalité que des organisations gouvernementales et elles travaillent sous l’égide des autorités et servent de couverture à certaines activités de propagande et d’infiltration. Ces organisations travaillent librement.

D.K : Cette liberté ne leur donne pas plus de visibilité dans la presse indépendante…

 

Reza Moini : Il est normal que les journalistes indépendants ne veuillent pas ou ne puissent pas s’intéresser aux activités de ces organisations. Ils ont  une certaine appréhension. Mais l’inverse est aussi vrai : c’est-à-dire, hélas, des informateurs et agents des services qui travaillent sous couverture de journalistes. Or, lorsque les ONG indépendantes sont contactées par les médias, elles restent sur leurs gardes et manifestent une grande méfiance. Ainsi, il y a un climat de doute et de défiance réciproques qui règne sur les relations entre médias et ONG.

Je peux vous donner un autre exemple qui concerne le séisme à Bam. A cette occasion la société Siemens, offre deux équipements de radiologie à une association humanitaire iranienne. Quelques temps plus tard, les responsables de la société annoncent, par voie de presse, avoir aidé l’association pour venir en aide aux victimes du tremblement de terre. L’association en question dément l’information et déclare n’avoir jamais reçu d’aide de la part de cette société. Le groupe Siemens envoie alors des documents pour prouver qu’il avait bien envoyé les deux équipements. Mais ces deux machines n’ont jamais été livrées à la ville de Bam ni à l’association en question. Les recherches montrent qu’elles sont aux mains des Pasdarans. Un des responsables de l’association fait part de cet épisode à un journaliste. Ils sont tous les deux arrêtés.

Ainsi, il semble normal que la méfiance soit omniprésente : la méfiance des ONG vis-à-vis des journalistes, celle des journalistes à l’égard des ONG, et la méfiance de tous face au pouvoir et même celle du pouvoir, conscient de son illégitimité, vis-à-vis de tout citoyen.

D.K : Même les journalistes militants associatifs  restent très réservés quant au traitement de ces sujets.

 

Reza Moini : Parce que le pouvoir n’apprécie pas. Les exemples sont nombreux : les deux frères Alaï, tous deux médecins et habitants à l’étranger ont décidé de rentrer en Iran et ont fondé une ONG pour venir en aide aux malades du sida. Ils avaient même des relations avec certains responsables politiques. Mais à l’heure actuelle ils sont en prison. Un autre exemple : Monsieur Kian Tajbakhsh, sociologue et urbaniste irano-américain qui travaillait avec plusieurs municipalités et ONG sur des projets de développement urbain, a été arrêté et emprisonné le 9 juillet 2009 suite aux contestations post-électorales.

Les défenseurs des droits humains, à l’origine de l’initiative « un million de signatures » en faveur des réformes pour la promotion des droits des femmes, pour la plupart journalistes et militants associatifs, ont été arrêtés, menacés, emprisonnés et contraints à signer un engagement écrit à ne plus participer à ce genre de campagne.

C’est dire que toute initiative, toute activités, toute organisation venant de la société civile et souhaitant une autonomie vis-à-vis du pouvoir politique est combattue avec force. Dans ce climat et ces conditions, il est évidemment difficile d’instaurer une relation de confiance et de coopération entre médias et ONG.

Darya Kianpour est journaliste à RFI.

 


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