Islam et action humanitaire : le Secours Islamique France (SIF) célèbre ses 20 ans

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Sur toute l’année 2012, le Secours Islamique France va célébrer ses 20 ans : l’occasion de revenir sur le chemin accompli mais aussi, de nous faire mieux connaître d’un public plus large. Nous voulons mettre l’accent sur nos réalisations et notre approche dans le domaine humanitaire, mais aussi valoriser nos donateurs, qui, en France, apportent plus de 90% de nos ressources et dont le nombre et la générosité n’ont cessé de croître au long de notre histoire. Aujourd’hui, le SIF intervient directement ou indirectement dans une trentaine de pays, notamment en Territoire Palestinien, Haïti, Tchad, Madagascar, Sénégal, Pakistan… et en France. Avec ses 350 bénévoles et sa centaine de salariés, le SIF a fait sa place parmi les principales ONG françaises. J’aimerais saisir l’occasion qui m’est offerte ici par Grotius International pour revenir sur ce parcours et sur la façon dont le SIF a voulu miser sur l’ouverture et le dialogue, tout en préservant la spécificité liée à son identité.

Pour moi, la grande aventure du SIF a débuté un jour de 1991, par un coup de fil de Hany El Banna, médecin britannique, égyptien d’origine et fondateur bien connu du réseau Islamic Relief Worldwide. Si de nombreuses organisations caritatives musulmanes sont issues des états du Golfe, portées par la richesse liée à la manne pétrolière à la fin des années 70, l’organisation Islamic Relief, née en Grande Bretagne, était en quelque sorte l’incarnation d’un humanitaire musulman occidental. C’est au moment de la sécheresse au Sahel et en particulier au Soudan, que l’organisation a mené ses premières actions d’assistance.

Hany El Banna me proposait d’ouvrir un bureau en France. J’ai voulu relever le défi et cet instant a marqué un bouleversement incroyable dans ma vie. Nous ne comptions pas les heures dans notre local de 30m2 à Saint-Denis. Ce fut un choix  qui a impliqué beaucoup de sacrifices… Mes enfants ont pris leur biberon au SIF ! Après les quelques 300 000 francs récoltés à nos débuts, l’élan de mobilisation pour la Bosnie a lancé un développement exponentiel de notre collecte et notre activité.

Deux ambitions majeures ont présidé à la création de l’association : montrer le vrai visage de l’Islam à travers l’action humanitaire et créer une structure qui compte parmi les grandes organisations humanitaires. Nous avons fondé notre mission dès le départ sur les valeurs de solidarité et de respect de la dignité humaine qui sont essentielles dans l’Islam, avec pour principe d’apporter notre aide dans le respect de la diversité culturelle et sans distinction d’origine, d’affiliation politique, de genre ou de croyance.

Les années 90 ont pourtant été très dures. Avec les évènements en Algérie, l’attentat à la station Saint-Michel en 1996, le climat était très hostile à tout ce qui touchait de près ou de loin à l’Islam et nous étions rejetés par l’opinion. Porter notre nom était un fardeau. On nous accusait volontiers d’être proches d’organisations extrémistes, à coup de préjugés, de raccourcis,  d’amalgames faciles, de contre-vérités. Nous avons même envisagé de changer notre nom, mais nous nous sommes rendu compte qu’il faisait partie de notre identité, que c’était par lui que nos donateurs nous connaissaient et que finalement, ne pas l’assumer était le pire choix que nous pouvions faire.

L’action des ministres Pierre Joxe, puis Jean-Pierre Chevènement pour rendre possible un dialogue institutionnalisé avec la communauté musulmane, a aidé à améliorer la piteuse image de l’Islam en France. Le volontarisme politique des années 2000 a permis la reconnaissance de l’Islam comme religion de France.

Les attentats du 11 septembre 2011 ont été un tournant majeur pour les organisations de solidarité musulmanes. Aux Etats-Unis, c’est la suspicion à priori qui a joué immédiatement et la plupart des structures ont été fermées ou suspendues. Le réseau Islamic Relief, à travers son entité aux Etats-Unis, a joué la transparence totale avec l’administration américaine et a ainsi échappé à la censure et à la fermeture. En France, pour couper court à toute polémique, notre association a condamné sans équivoque les attentats dans un courrier à tous nos donateurs. Ces évènements ont marqué pour Islamic Relief le début d’efforts constants de dialogue avec l’ensemble des ONG humanitaires, notamment à travers la création du Forum Humanitaire, efforts qui ont peu à peu porté leurs fruits et permis un changement dans les mentalités.

Parallèlement, notre attitude d’ouverture, de transparence, l’impact de notre action à l’international et en France ont permis d’améliorer nos rapports avec les pouvoirs publics.

Pour le SIF, cette histoire est jalonnée de rencontres avec des interlocuteurs qui ont eu l’intelligence de percevoir la plus-value qu’une organisation comme le SIF pouvait apporter au monde de la solidarité non gouvernementale, et qui nous ont ouvert des portes à des moments charnières. Cette reconnaissance s’est également fondée sur la capacité opérationnelle de l’organisation, la réactivité, la marge de manœuvre que nous octroient nos fonds propres lors de crises humanitaires ou pour l’action sociale en France.

De ce parcours, découlent des rapports particuliers à nos différents interlocuteurs institutionnels en France. L’indépendance par rapport aux pouvoirs publics que nous confère notre modèle économique est tempérée par une attente de reconnaissance et un besoin de légitimation qui place parfois l’association en décalage avec la posture portée par beaucoup de nos pairs, issus du mouvement sans frontières, rétifs à priori à tout ce qui pourrait s’apparenter de près ou de loin à une forme de connivence avec les pouvoirs publics et prompts à fustiger et à dénoncer.

En même temps, le SIF fournit des efforts particuliers pour inscrire son action dans le collectif, participer aux réseaux inter-associatifs, se coordonner, dialoguer. Nombreuses sont aujourd’hui les instances de dialogue formelles ou informelles, d’espace de concertation ou d’échange au sein desquels le SIF est bienvenu, reconnu et accepté.

Dans le domaine des médias, la bataille est loin d’être gagnée. Excellent avec la presse dite communautaire, le lien avec les grands médias généralistes reste chaotique et encore décevant. Le SIF demeure largement ignoré des grandes chaines de télévision. Nos actions en France suscitent cependant un vrai intérêt et une envie d’aller plus loin. Mais encore trop souvent, on se souvient de nous à l’occasion de traitements caricaturaux voire polémiques de la solidarité des organisations musulmanes, pour interroger nos allégeances, nous enfermer par facilité dans une nébuleuse, procédé qui évite de chercher à préciser, clarifier et distinguer entre les acteurs.

Le rapport à la religion tel qu’il se vit dans une laïcité à la française nous a certainement poussés à développer une approche un peu différente de celle de nos amis britanniques. En outre, au fil des années, le dynamisme de la collecte en France a poussé le SIF à prendre son autonomie par rapport au réseau international Islamic Relief Worldwide, en devenant acteur opérationnel à part entière. Une chose est certaine, gérer la double identité musulmane et humanitaire de la structure ne va pas toujours de soi. Elle fait l’objet de questionnements et de débats constants. C’est en organisant le dialogue et en promouvant la réflexion en interne que nous travaillons à renforcer la cohérence de l’ensemble. Nous voulons valoriser la force et l’engagement dont est porteuse la conjugaison entre les valeurs religieuses musulmanes et la mission universelle de solidarité humaine que s’est donnée le SIF.

La réponse a été une promotion active de la diversité en interne, au sein du staff et la mise en place d’un comité d’éthique. Présidé par le théologien Tareq Oubrou, ce comité se veut porteur d’une réflexion constante sur la façon dont nos valeurs se déclinent dans une action terrain pertinente, respectueuse des principes de l’Islam, et aussi de la spécificité culturelle des communautés auprès desquelles nous agissons. Nous avons en outre décidé de promouvoir nos principes d’action par une campagne de communication grand public.

A l’heure où de nombreuses organisations se questionnent sur le danger de la perte de sens qui peut accompagner la professionnalisation ou la complexité technique croissante attachée aux métiers de l’humanitaire, l’engagement issu de nos fondements religieux est pour nous un patrimoine à préserver précieusement, car porteur de notre spécificité et de notre plus value.

Les grands rendez-vous des 20 ans du Secours Islamique France en 2012

  • Le 14 janvier : Un lancement en plein cœur de Paris

Le coup d’envoi sera lancé le 14 janvier par une manifestation à Paris. Mobilisatrice, symbolique, elle sera l’occasion de communiquer sur nos 20 ans auprès du grand public, de nos partenaires et de nos sympathisants

  • Le 26 avril : un colloque réunissant partenaires, professionnels et chercheurs

Pendant une journée, nous réfléchirons ensemble aux grands enjeux qui influeront sur l’action humanitaire dans les 20 années à venir.

  • De mai à septembre : les escales de l’humanitaire

Pendant l’année, le SIF ira à la rencontre du public dans plusieurs villes de France : Paris, Lyon, Marseille, Bordeaux, Strasbourg, Lille, Saint-Denis de la Réunion… à travers des espaces de sensibilisation, centrés autour d’une exposition photo et d’activités ludiques consacrées à l’action humanitaire.

  • Le 6 décembre : une grande soirée de solidarité avec nos donateurs et sympathisants

Ce dîner, qui se tiendra à l’espace Wagram, sera ponctué d’animations artistiques et de témoignages. Il sera l’occasion de collecter des fonds et viendra clôturer l’année de célébration.
 

Rachid Lahlou

Rachid Lahlou

Rachid Lahlou est président du Secours islamique France (SIF).