Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, 24 Heures Chrono – Le choix du mal

0
141

 Il y a de cela quelques années paraissait dans les colonnes de 24 Heures Chrono, le Choix du mal aux éditions PufGrotius International, un article concernant la série 24 heures chrono, dans lequel la télévision était explicitement accusée de banaliser la torture [1]…

Sans reprendre les termes – sans doute mal posés – de cette question, un récent ouvrage de Jean-Baptiste Jeangène Vilmer [2] entreprend une analyse approfondie de la série et montre que, si l’on peut en effectuer une lecture sur un plan moral, les choses ne sont pas aussi simples qu’elles peuvent paraître…

Se demandant au terme de son livre si la série 24 Heures Chrono penche du côté de la propagande ou du divertissement, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer nous prévient de tout jugement porté à la hâte, et affirme – contre nombre d’opinions qui se sont, semble-t-il, exprimées en ce sens – que la série est « politiquement plus équilibrée qu’on ne le dit, et certainement pas pro-Bush » (p.153) et qu’« elle n’est probablement pas responsable de l’acceptation croissante de la torture dans l’opinion publique américaine » (p.155). Pour nous offrir ce jugement raisonné, l’auteur a passé, sérieusement et méticuleusement, l’ensemble des huit saisons qui composent la série au crible d’une lecture morale et d’une réflexion sur le choix du mal.

Un récit audiovisuel fictionnel, lorsqu’il est interprété sur un plan moral, nous aide à nous livrer à des « expériences de pensée » [3], à nous demander ce qu’il en serait de nos propres décisions si nous nous trouvions à la place des personnages que nous voyons à l’écran.

Jack Bauer, qui est donc un personnage de fiction, appelle à être considéré sous l’angle d’une éthique de la vertu (p.95), et ses actes jugés à l’aune du monde d’apparences – largement invraisemblable, et fort répétitif au fil des saisons – dans lequel ce personnage tourmenté et charismatique évolue. Il s’apparente à la figure d’un père soucieux de protéger sa famille et, par extension étymologique, sa patrie. Il s’apparente également à une figure christique (chap. 3), parfois à un super-héros infaillible, mais ses actions portent à conséquences : « Il ne s’en tire pas indemne. » (p.40). Le monde, fictif, dans lequel se meut ce personnage est un univers où les crises doivent nécessairement se résoudre en vingt-quatre heures, où l’on vit perpétuellement dans l’imminence d’une menace, le suspense et l’urgence.

Si l’unité de lieu et d’action semblent voler en éclats par l’usage esthétique récurrent du procédé du split-screen, l’unité de temps, qui structure idéalement le déroulement du théâtre classique, est scrupuleusement respectée (incluant même le temps dédié aux publicités !). Ces raisons expliquent sans doute le fait que, dans la série, les questions de géopolitique ou de droit ne sont jamais traitées sérieusement, tout au plus effleurées (p.155).

La diffusion des huit saisons de 24 Heures Chrono a débuté sur la Fox au mois de novembre 2001 [4], dans une Amérique traumatisée par les récents attentats du 11 septembre… Ce contexte est semble-t-il propice à ce qu’« implicitement et sans que l’on s’en aperçoive, l’exception qu’on accorde à Jack se transfère sur les Etats-Unis » (p.97). Bien que ce transfert subreptice soit bien plus présupposé que démontré, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer aborde de front les liens qu’il peut y avoir entre l’univers diégétique de la série, et celui – bien réel – d’une nation qui a décrété, à la suite des attentats, un état d’exception (chap.5), notant qu’il n’est parfois pas toujours aisé de faire la part entre barbarie et civilisation.

La question de la représentation de la torture dans les médias, et en particulier dans la série 24 heures chrono fait elle-aussi l’objet d’un développement (chap.6). On apprend par exemple que, sous le nom d’« effet 24 », certaines dérives dans les rangs de l’armée américaine ont été imputées à la série et que le doyen de l’académie militaire de Westpoint aurait rencontré les producteurs de 24 heures chrono afin de canaliser l’effet défavorable que la vision de telles scènes pourrait avoir sur le comportement des soldats américains (p.120).

Plutôt que de faire de la télévision la cause de certains phénomènes, peut-être serait- il judicieux d’apprendre à en examiner les contenus comme des symptômes [5] de fonctionnements ou disfonctionnements sociétaux. En ce sens, mettant l’accent sur l’exposition raisonnée de problèmes complexes, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer contribue à l’élaboration d’une analyse de la forme audiovisuelle sérielle et du monde sur lequel – en employant les ressorts d’intelligibilité de la fiction – elle dispense son point de vue.

Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, 24 Heures Chrono – Le choix du mal, Paris, PUF, 2012

[1] Michel Terestchenko, « La télévision banalise la torture », Grotius.international,  1er août 2009.

[2] Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, 24 heures chrono Le choix du mal, Paris, PUF, 2012.

[3] Laurent Jullier, Interdit aux moins de 18 ans – Morale, sexe et violence au cinéma, Armand Colin, 2008, p.6 ; Martin Wincler, Petit éloge des séries télé, Gallimard, Folio, 2012,p. 99.

[4] Sources : IMDb.fr et data.bnf.fr, sites consultés le 22 septembre 2009.

[5] François Jost, De quoi les séries américaines sont-elles le symptôme ?, CNRS éditions, 2011.

Philippe Lavat

Philippe Lavat

Philippe Lavat, CEISME (Centre d’Etude des Images et des Sons Médiatiques), Paris 3.