L’avenir des réfugiés palestiniens du Liban : entre exclusion et intégration

0
227

Manifestation de palestiniens autours de GazaBien souvent, les réfugiés palestiniens au Liban sont perçus comme une menace avant toute considération sociale ou politique. Cela dit, le prisme sécuritaire n’est pas faux en soi puisqu’il est indéniable que ces réfugiés ont été source de tensions et de conflits au pays des Cèdres.

Il convient dès lors d’analyser plus en détail les dimensions qui composent la question palestinienne au Liban en essayant d’abord de comprendre comment et pourquoi les réfugiés palestiniens sont soumis à des conditions de vie particulièrement discriminante au Liban et quels sont les enjeux de l’évolution de la situation de ces réfugiés, tant pour les intéressés que pour le pays hôte. L’exploration de cette question suivra trois pistes. Il y a d’abord celle de l’histoire, particulièrement longue, des réfugiés palestiniens et des situations contrastées qu’ils ont connues au Liban depuis leur arrivée en 1948.

Ensuite, il convient de revenir sur le rôle et les perceptions des Palestiniens durant la guerre civile, ce qui permet de mieux saisir ce que la problématique des réfugiés palestiniens est devenue par la suite sous la tutelle syrienne (1989-2005). Enfin, à l’époque actuelle, nous verrons quels sont les principales difficultés et blocages qui persistent mais quels sont également les processus sociaux à l’œuvre qui indiquent d’autres voies pacifiques pour les Palestiniens du Liban.

Les premières étapes de la question
palestinienne au Liban (1948-1975)

Ce sont environ 100’000 Palestiniens qui en 1948 déferlent sur la toute jeune République libanaise, indépendante depuis cinq ans et qui leur porte secours via le CICR. Il s’agissait pour l’essentiel de résidents du nord de la Palestine mandataire qui furent expulsés par les troupes juives, et qui étaient en majorité cultivateurs, petits propriétaires terriens mais aussi riches commerçants ou entrepreneurs, parfois d’origine libanaise. Tous avaient en tête le souhait du retour rapide une fois les combats terminés.

Or la création de l’Etat d’Israël le 14 mai 1948 avait agrandi le territoire accordé par le projet de partage du 24 novembre 1947 entériné à l’ONU. Cette conquête territoriale rendit beaucoup plus intransigeant les gouvernements arabes et bloqua toute possibilité d’entente et donc de retour pour les réfugiés palestiniens alors au nombre total de 800’000 environ.

En ce temps, le Liban cultivait déjà une forme de neutralité politique dans la région, en raison notamment de ses liens privilégiés avec la France qui venait de mettre un terme à un Mandat alloué par la Société des Nations, l’ancêtre de l’ONU, entre 1920 et 1943. Son système politique, fait d’un équilibre subtil entre les différentes communautés composant le tissu social libanais, rendait tout engagement politique potentiellement déstabilisateur pour cette «formule» consensuelle intercommunautaire du politique.

Dans ce cadre, la question palestinienne ne fut pas immédiatement constituée comme problème. Au contraire, dans un premier temps (1948-1958), les réfugiés palestiniens servirent les autorités libanaises de plusieurs façons, suivant leur profil.

Les plus pauvres d’entre-eux, c’est-à-dire la majorité des réfugiés, furent aidés directement par l’Office des Nations Unies mis sur pied pour leur venir en aide et leur fournir du travail (UNRWA – United Nations Relief and Works Agency). Ce fardeau n’incombant pas à l’Etat libanais, ce dernier n’intervint que dans la répartition géographique de ceux-ci, via des terrains en grande partie alloués par les autorités religieuses chrétiennes. C’est ainsi que le pouvoir politique, souhaitant profiter de cette main d’œuvre bon marché, facilita l’établissement des réfugiés palestiniens dans des camps aux abords des principales villes du Liban : Beyrouth, Saida, Tyr, Tripoli, Baalbek se virent attribué au minimum deux camps de réfugiés chacune.

Ces réfugiés furent relativement providentiels pour un Liban en plein décollage économique et facilitèrent l’enrichissement de nombreux entrepreneurs des secteurs primaires (agriculture) et secondaire (construction). Les plus aisés parmi les réfugiés s’installèrent dans les grandes villes, principalement la capitale, et y prospérèrent.

Dans les années 1950, les autorités en mal de soutien électoral facilitèrent leur naturalisation ainsi que celle de nombreux palestiniens chrétiens. Venant appuyer un pouvoir hégémonique aux mains des élites chrétienne maronites, ils purent également profiter de la forte croissance que la capitale libanaise connut, notamment dans le secteur tertiaire (import-export, services, finances) en raison de la fermeture du port de Haïfa pour les bateaux livrant des marchandises à destination de l’hinterland arabe.

Après la mini guerre civile de 1958 et l’arrivée au pouvoir du Général Fouad Chehab, il y eut un resserrement sécuritaire doublé d’un développement de l’arsenal juridique à l’encontre des réfugiés palestiniens. A la limitation des mouvements à l’intérieur du pays des limitations d’accès au marché du travail ou au droit au logement, répondirent des méthodes policières diligentées par le puissant service du renseignement militaire. Cette ghettoïsation des réfugiés palestiniens entérinait le fait de les traiter comme des étrangers et non comme des réfugiés – le Liban n’ayant pas ratifié la convention de Genève sur ce sujet – et s’accompagna d’un processus de politisation de leur identité, phénomène qui ne se limitait évidemment pas au Liban mais qui finit par l’affecter de façon importante.

C’est ainsi que la lutte palestinienne trouva un terreau fertile parmi les réfugiés au Liban, qui plus est un pays voisin de «l’Etat sioniste», une entité que la toute nouvelle Organisation de Libération de la Palestine (OLP) se refusait à reconnaître alors. Des opérations militaires d’infiltrations par la «ligne bleue» entre le Liban et Israël, accrut la circulation des armes parmi les réfugiés. Ce phénomène connut un fort accroissement après la défaite arabe lors de la guerre des Six-Jours (juin 1967) face à Israël,  et conduisit à des affrontements parfois très violents entre l’armée libanaise et les combattants palestiniens.

C’est sur pression de Gamal Abdel Nasser, le Président égyptien, que le Liban dût accepter de signer des accords avec l’OLP en novembre 1969, dit «Accords du Caire», lesquels avaient pour contenu principal le droits des Palestiniens à la résistance armée contre Israël et plus largement, un accès à des droits civils étendus, contrecarrant les limitations juridiques qui les avaient jusque là cantonnés dans un rôle d’étrangers marginaux. Cette nouvelle puissance officialisée, la centrale palestinienne de Yasser Arafat, défaite en Jordanie en septembre 1970 trouva au Liban un havre de paix inespéré.

Malheureusement, la présence palestinienne militante au Liban eut des effets sur le tissu social libanais qui se divisa politiquement et socialement autour de la question de savoir s’il fallait ou non appuyer l’action de l’OLP contre Israël, au péril de la paix militaire et civile. Parmi les partis libanais, les plus radicaux à gauche virent dans la figure des fédayins les précurseurs d’une révolution à l’échelle du Liban contre le pouvoir de l’hégémon maronite. A l’opposé du spectre politique, la frange conservatrice chrétienne voyait dans les réfugiés palestiniens des étrangers fauteurs de troubles qui ne faisaient que profiter de l’hospitalité qui leur était accordée.

Les Palestiniens dans la guerre civile
et sous la tutelle syrienne (1975-2005)

L’âge d’or que la centrale palestinienne connut au Liban eut pour ressort les premiers temps de la guerre civile, sorte de montée aux extrêmes qui faisait espérer la réussite du projet révolutionnaire au côté duquel l’OLP s’était rangé, là où elle avait trouvé ses alliés naturels, parmi les mouvements de gauche, des déshérités (chiites) ou des minorités (druzes). Ces forces communes furent stoppées dans leur progression contre le Front Libanais – regroupement de milices chrétiennes dominées par les Phalanges – en raison de l’entrée des troupes syriennes au Liban le 1er juin 1976.

En effet, Damas ne pouvait accepter de voir émerger un Liban révolutionnaire de gauche ayant un mouvement palestinien armé dans ses rangs et risquant de créer un effet de contagion en Syrie. En outre, le Président syrien Hafez el-Assad voyait dans ce secours qu’il portait aux chrétiens libanais une manière de s’ingérer dans les affaires libanaises en devenant une force incontournable de toute solution militaro-politique libanaise à venir.

Ce calcul syrien prit la gauche de court en la divisant car une partie de ses forces entra dans l’orbite syrienne – nommément la milice chiite Amal – contre les Palestiniens, perçus par ce groupe comme responsables de la destruction de leur région, le Sud-Liban, au vu des bombardements de rétorsions qu’Israël infligeait aux territoires d’où les fédayins lançaient leurs attaques. Si le jeu syrien consistait à affaiblir toutes les parties de la scène libanaise afin d’asseoir sa domination, ce sont les Palestiniens qui en souffrirent le plus : ils furent bientôt entourés de suspicion, en raison des profits qu’ils semblaient retirer du chaos produit par la guerre, d’ennemis plus ou moins déclarés tant à gauche qu’à droite du spectre politico-militaire et finalement devinrent des cibles prioritaires de l’opération qu’Israël lança en juin 1982 sous le nom de «Paix en Galilée».

Celle-ci marqua la fin d’une époque, les troupes palestiniennes, défaites au Sud, devant se replier dans Beyrouth puis accepter un plan de retrait du Liban sous supervision internationale.

Ni les massacres de Sabra et Chatila en septembre 1982, commis à peine quelques jours après le départ des combattants palestiniens, ni la tentative de réimplantation au Nord-Liban à Tripoli où Damas pilonna ses bases, ne permirent à l’OLP de maintenir son héritage de puissance au pays des Cèdres. Parmi les premières mesures prises par Amine Gemayel, le nouveau Président libanais, à l’automne 1982, on doit relever la réinstauration de limitations strictes affectant les réfugiés palestiniens dans le domaine professionnel.

Quelques années plus tard, les Accords du Caire furent abrogés, et d’autres mesures datant d’avant 1969 et affectant leur droits au logement et leurs déplacements dans le pays furent réactivées. Sur le terrain militaire, le pays continua son acharnement sur les réfugiés, sur ordre de Damas, via la milice Amal qui bombarda à diverses périodes et durant trois années consécutives (1985-1988) les camps de réfugiés de Beyrouth et du Sud-Liban où subsistaient encore des fédayins fidèles à Arafat. Damas n’eut de cesse de réduire ces poches de résistance ou de faire entrer certains acteurs palestiniens dans son orbite afin de phagocyter cette «carte palestinienne» appelée à avoir un bel avenir en matière de négociation avec Israël.

Dans les accords de Taëf (1989) qui mirent fin à la guerre civile du Liban, Damas s’octroyait la part du lion en faisant ratifier sa présence au Liban sans date de retrait, pavant la voie à une tutelle politique du pays. Pour leur part, les réfugiés palestiniens n’étaient même pas évoqués dans ce qui constituait un nouveau Pacte national, bien que représentant toujours un volume d’environ 10% de la population totale du pays. Mais surtout, Damas fit de la question palestinienne au Liban une carte spécifique de son agenda stratégique avec Israël.

Cela prit la forme d’un dispositif idéologique à deux volets : d’un côté les acteurs politiques libanais furent invités par Damas à faire chorus autour du refus de toute implantation des Palestiniens au Liban au détriment de leur droit au retour. De l’autre, politiques et médias prirent l’habitude de traiter le problème palestinien sous l’angle sécuritaire, en raison notamment du refuge que les camps semblaient offrir aux djihadistes en fuite.

Ce double traitement contribua fortement à renforcer une dynamique de marginalisation de tous les réfugiés palestiniens, toutes mesures discriminatoires à leur encontre étant dès lors justifié et par l’aspect sécuritaire et par la nécessité de préserver leur droit au retour (en leur accordant le moins de droits possibles).

Le tournant de 2005 : vers l’intégration des réfugiés palestiniens ?

L’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri en février 2005 a enclenché le processus qui a conduit à une mobilisation sociopolitique d’une envergure inédite dans l’histoire libanaise et désormais connue sous le nom de «Révolution du Cèdre». Le premier effet de ce processus a été le retrait militaire syrien sous pression nationale et internationale. Le second effet fut le changement politique issu des élections législatives de l’été 2005 lesquelles portèrent au pouvoir une majorité dite «pro-occidentale» ou «anti-syrienne».

Ajoutons toutefois que les acteurs politiques qui se firent les chantres de l’Indépendance du pays étaient pour partie ceux-là même qui avaient par le passé chanté les louanges du parrain syrien lors de sa tutelle libanaise. Enfin, l’entrée en politique (au niveau de l’exécutif) du Hezbollah a également été un aspect important de ce changement. Sur cette nouvelle toile de fond, les acteurs palestiniens devinrent à nouveau intéressants à courtiser, tant par l’opposition (Amal, Hezbollah) que par les forces gouvernementales dominantes (Hariri, Forces Libanaises, Parti Socialiste Progressiste de Joumblatt). Pour sa part, le premier ministre Fouad Siniora entreprit de réinstaurer des relations libano-palestiniennes, lesquelles avaient été stoppées par l’occupant syrien dès 1991, et organisa de nombreuses rencontres et même l’ouverture d’une ambassade palestinienne à Beyrouth.

Pour autant, au delà des déclarations d’intentions, l’amélioration réelle des conditions de vie des réfugiés palestiniens est restée faible en raison de l’inertie du système politique lui-même et de la persistance des représentations problématiques attachées aux Palestiniens du Liban. Ainsi, la question de l’implantation n’a pas tardé à être reprise par le nouveau pouvoir comme credo garantissant à l’opposition le maintien d’une des constantes de l’entente nationale.

Le retour à ce vocabulaire eut pour effet de ralentir tous processus de décloisonnement de la logique d’exclusion des réfugiés palestiniens puisqu’elle s’en trouvait relégitimée. En outre, facteur aggravant de ce processus, la guerre que l’armée a lancée contre les djihadistes du mouvement Fatah al-Islam entre mai et septembre 2007 au camp de Nahr el-Bared au nord de Tripoli n’a fait que confirmer le traitement sécuritaire de tout problème lié aux Palestiniens du Liban.

Nombreuses furent les persécutions et violences de la part de l’armée libanaise auxquelles furent soumis les réfugiés civils fuyant leur maison de Nahr el-Bared. Si ce conflit a été largement exploité par le courant au pouvoir aux fins d’une union nationale derrière l’armée nationale, il a également contribué à aggraver le ressentiment à l’égard des réfugiés palestiniens au vu des nombreuses victimes libanaises qu’il causa. Enfin, l’invraisemblable lenteur de la reconstruction du camp de Nahr el-Bared a fait naître les soupçons les plus intenses de marchandages entre courants politiques opposés voire même d’affairisme foncier le plus répugnant.

Néanmoins, dans ce sombre tableau de recomposition de nouveaux équilibres issus de l’entrée en politique de Hezbollah notamment – les accords de Doha de mai 2008 qui fixent le cadre d’un modus vivendi post-syrien ont été obtenus à la suite d’un coup de force de cette milice – les réfugiés palestiniens  possèdent une carte inéluctable à leur actif, celle de la longévité de leur séjour au Liban. Plusieurs travaux récents de chercheurs ont mis en lumière l’existence de liens profonds et durables (mariages, entreprises, cohabitations) qui lient chaque année davantage le sort des Palestiniens à celui des Libanais. Cette réalité sociale, peu visible à l’œil nu, n’a pas échappé aux politiques qui cultivent souvent une forme d’amnésie sélective à l’égard de ces liens, refusant de voir, au nom d’une idéologie politique, les implications de telles relations.

C’est dans ces conditions qu’il convient de parler d’intégration sociale en prenant garde de circonscrire le phénomène aux marges inférieures de la société là où l’exclusion sociale est partagée avec une part significative de la population libanaise paupérisée, à Beyrouth et dans la partie Sud du pays. Signes parmi d’autres de la réalité de ce phénomène, la perception des réfugiés palestiniens par les Libanais y évolue vers une plus grande horizontalité où les différences entre les deux groupes nationaux s’estompent. Enfin, il convient de rester attentif aux implications d’une stabilisation politique à venir qui pourrait permettre de reprendre l’examen des demandes palestiniennes, notamment l’octroi des droits civils, autorisant ainsi une meilleure insertion professionnelle.

(Partenariat CCMO – Grotius.fr)

Suggestions bibliographiques :
–        DORAI (Mohamed Kamel), 2005, Les réfugiés palestiniens du Liban. Une géographie de l’exil, Paris : CNRS.
–        KASSIR (Samir), 1994, La guerre du Liban, Paris-Beyrouth : Karthala-CERMOC.
–        MEIER (Daniel), 2008, Mariages et identité nationale. Les relations libano-palestiniennes dans le Liban de Taëf (1989-2005), Paris : Karthala-IHEID.
–        PICARD (Elizabeth), 1988, Liban, Etat de discorde. Des fondations aux guerres fratricides, Paris : Flammarion.
–        VERDEIL (Eric), FAOUR (Ghaleb), VELUT (Sébastien), 2007, Atlas du Liban. Territoires et société, Paris/Beyrouth : CNRS/IFPO.

Daniel Meier

Daniel Meier

Daniel Meier est docteur en sociologie politique, Institut de Hautes Etudes Internationales et du Développement, Genève.