L’Union africaine survivra-t-elle à la crise libyenne ?

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Le vent de la révolution qui a soufflé sur la Libye a fini par emporter le régime du colonel Mouammar Kadhafi. Quelques mois après le soulèvement de Benghazi qui s’est par la suite mué en une rébellion armée, la crise libyenne et son dénouement continuent de faire couler beaucoup d’encre. Si le mode de résolution de ce conflit a fait l’objet d’une position quasi-unanime dans les pays occidentaux, il n’en demeure pas moins utile de faire remarquer qu’il a constitué un tournant pour l’Union africaine (UA). Et c’est seulement lors de l’Assemblée générale des Nations en septembre que l’UA a fini par reconnaître, du bout des lèvres, les nouvelles autorités libyennes incarnées par le Conseil national de transition (CNT).

Le soulèvement libyen a révélé au grand jour l’incapacité de l’organisation continentale à prendre les mesures idoines en vue d’une gestion efficace des conflits qui éclatent sur le continent africain. Pis, elle a mis en exergue les discordes entre les Etats membres par rapport à la posture à adopter dans le cadre du traitement du dossier libyen. A travers cette analyse, nous tenterons de comprendre les dessous des difficultés rencontrées par cette organisation régionale sur la question libyenne.

 L’UA, une organisation marginalisée
dans la résolution de la crise libyenne

La crise libyenne apparaît comme un conflit au cœur de l’actualité politique internationale. Et pourtant, le rôle joué par l’Union africaine dans la gestion de ce conflit apparaît assez marginal. Cela s’explique certainement par le mutisme qu’elle a observé dès le début des hostilités. En effet, ce n’est que trois semaines après le début des combats entre les insurgés et les forces fidèles au Colonel Mouammar Kadhafi que l’organisation continentale a daigné se prononcer sur la situation libyenne. Sans doute, était-elle préoccupée par une issue pacifique de la crise post-électorale ivoirienne. Mais cette réaction pour le moins « tardive » sur la Libye a jeté un certain discrédit sur l’organisation panafricaine et remis en cause ses compétences en matière de gestion de crise. Le manque de réaction spontanée de l’UA a d’ailleurs conduit le reste de la communauté internationale, plus particulièrement les pays occidentaux, l’ONU, l’Union européenne et la Ligue arabe à prendre des décisions sans qu’elle y soit associée.

Le sommet international à Paris sur la Libye qui s’est tenu le 19 mars 2011, sans la participation d’aucun leader africain ni d’aucun représentant de l’UA, en est une parfaite illustration. Cette réunion décisive sur la Libye qui faisait suite à l’adoption de la résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations Unies, a permis à la communauté internationale d’adopter une position commune sur la crise Libyenne. Plusieurs rencontres sur ce dossier se sont tenues par la suite. Mais à aucun moment, l’UA n’a voulu associer sa voix à ces différentes initiatives. Selon Antoine Glaser, ex-directeur du bimensuel La Lettre du Continent, « Depuis le début de la crise libyenne, l’Afrique a fait bande à part. Dès la première réunion à l’Elysée pour mettre en place la coalition internationale contre le régime de Kadhafi, l’UA a refusé d’y participer ».

Face à ces allégations, l’institution africaine estime avoir réagi au moment opportun sans que ses préoccupations soient prises en compte par le reste de la communauté internationale. A l’occasion d’une conférence de presse à Paris, Jean Ping, président en exercice de la commission de l’UA, a rappelé que son Organisation a été la première à se prononcer sur la question libyenne bien avant les autres organisations, c’est-à-dire « un jour avant l’Union européenne, un jour avant la ligue arabe et sept jours avant que le Conseil de sécurité adopte la résolution 1973 ». Pour ce diplomate gabonais, la proposition de l’Union africaine se déclinait en cinq points importants : « la cessation immédiate des hostilités, la mise en place d’un gouvernement d’union nationale destiné à préparer une constitution et les instruments nécessaires en vue de rendre la parole aux Libyens pour la stabilisation de la situation, la promotion de la démocratie, l’Etat de droit et la justice ». Et au président de la commission de l’UA de poursuivre : « A l’UA, nous avons précédé tout le monde en disant que le système politique en Libye doit changer, car le pays n’est doté ni d’une Constitution, ni de partis politiques, ni de syndicats, seul le Livre Vert fait office de Constitution. Nous avons pensé qu’il faudrait une autorité de transition qui préparerait la nouvelle Constitution et toutes les dispositions nécessaires pour aller aux élections. […] Seule la Turquie avait proposé une feuille de route proche de celle de l’UA, au moment où les pays hors UA, ne proposaient rien d’autre que des bombardements. […] Nous travaillons avec tout le monde pour arriver à une sortie de crise. Ce que craignait le plus l’UA en Libye, c’est la partition et la guerre civile ».

Ramtane Lamamra, commissaire à la Paix et à la Sécurité de l’Union africaine estime pour sa part que la poursuite d’autres agendas que celui des pays africains a empêché la bonne mise en place de la feuille de route de l’Union. Des propos qui sont corroborés par ceux de Jacob Zuma selon qui, ceux qui ont beaucoup de capacités, même la capacité de bombarder des pays (en faisant allusion à l’OTAN), ont vraiment sapé les initiatives de l’UA et les efforts pour régler le problème libyen. Ainsi, si l’UA prétend avoir pris des initiatives en vue d’une résolution de crise libyenne, quelle a donc été sa position tout a long de cette crise?

Une position ambiguë

Les différents sommets extraordinaires que l’Union africaine a consacrés à la situation en Libye ont révélé la position pour le moins ambiguë de l’Organisation continentale. En effet, au lieu de prendre des mesures draconiennes et efficaces pour faire face à la situation, l’UA s’est contentée de proposer une feuille de route visant à ramener la paix par la négociation. Ainsi, au lendemain du déclenchement de la crise libyenne, elle a prôné une issue politique en mettant en place un panel de chefs d’Etats chargés de conduire la médiation entre les différents belligérants.

Le président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz a été désigné pour diriger le groupe des présidents Jacob Zuma de l’Afrique du Sud, Denis Sassou Nguesso du Congo Brazaville, Yoweri Museveni de l’Ouganda et Amadou Toumani Touré du Mali. Le CNT a toujours refusé d’adhérer aux initiatives de l’UA tout en faisant du départ de Mouammar Kadhafi du pouvoir, un préalable à toute négociation. C’est vrai que, pendant plusieurs mois, les positions de l’UA ont pesé de façon implicite en faveur du guide libyen. Par exemple, lors du 17e sommet de l’Union Africaine qui s’est tenu à Malabo (Guinée Equatoriale), les chefs d’Etats africains se sont mis d’accord pour écarter le colonel Kadhafi du processus de négociation en Libye sans exiger son départ du pouvoir.

Depuis la chute du régime du satrape libyen, l’UA a refusé de reconnaître la légitimité du CNT. Par la voix du Président sud-africain, l’Union a estimé que la situation militaire demeurait encore instable pour reconnaître le CNT comme seule autorité libyenne légitime. Pour Jacob Zuma, le CNT ne représente pas encore la Libye. Certes Jacob Zuma a adopté une position qui faisait écho à sa politique intérieure, en se démarquant volontairement des puissances occidentales. Au-delà, il faut souligner que la posture adoptée par cette organisation sur la question libyenne s’explique par les relations étroites et parfois complexes que le colonel Kadhafi entretenait avec l’UA, ainsi que certains de ses Etats membres. Rappelons que le guide libyen était à la fois le père fondateur et le plus gros contributeur de l’Union africaine (il finançait à lui seul plus de 15% du budget de l’UA). En effet, après l’échec de son projet de panarabisme et son isolement en occident, le colonel Kadhafi a fait de l’unification du continent africain l’une de ses priorités. Son rêve était de voir naître les Etats-Unis d’Afrique sur le modèle des Etats-Unis d’Amérique. Grâce aux pétrodollars, Kadhafi a réussi à fédérer ses pairs autour de son projet utopique. Antoine Glaser soutient que, « grâce à son argent, Kadhafi avait une grande capacité de nuisance auprès des autres dirigeants africains. […] Il proposait aux Etats de gros financements. Pour le pouvoir, il était difficile de dire non, par crainte de voir cette manne financière revenir aux partis d’opposition. »

Mégalomane hors pair et généreux donateur, Kadhafi était donc une figure incontournable sur le continent africain. C’est sans doute à cause de cette autorité que l’UA a toujours hésité à lâcher le guide libyen. Autrement dit, il est difficile de tourner le dos à un homme aussi lié aux dirigeants africains et à leurs économies. Cependant, depuis le déclenchement de la crise, certains pays n’ont pas hésité à faire volte-face en se désolidarisant de la position de l’UA.

Une Union africaine «désunie »
sur une question cruciale

L’éclatement d’un continent… Le véritable tournant pour l’Union Africaine sur la question libyenne vient du fait que plusieurs de ses pays membres ont clairement affiché leur désaccord en reconnaissant la légitimité du CNT. Ainsi, c’est la Gambie, petit pays enclavé à l’intérieur du Sénégal, qui a donné le ton. Dès le 22 avril, par la voix du Secrétaire du gouvernement Ebrima Camara, Banjul reconnaît complètement le Conseil National de Transition comme seule autorité légitime pour représenter les intérêts et les affaires du peuple de Libye. Le 18 mai, le Sénégal reconnaît à son tour le CNT. Après avoir reçu une délégation du Conseil libyen à Dakar, le président Abdoulaye Wade décide d’entreprendre une visite officielle à Benghazi, alors fief de l’insurrection. Cette visite qui fit de lui le premier chef d’Etat étranger à se rendre dans la capitale de la rébellion libyenne ne fut pas du tout appréciée par l’Union Africaine.

La crise libyenne a révélé le faible poids de l’UA sur l’échiquier international. Elle a par ailleurs permis de comprendre les divergences qui existent entre l’organisation africaine et nombre de ses Etats membres. Plus qu’une humiliation pour le continent et pour tout un peuple, c’est la responsabilité des leaders africains sur les questions relatives à la paix et à la sécurité qui a été pointée du doigt. Aujourd’hui, le principe de réalité qui a prévalu. Le drapeau de la « nouvelle Libye » flotte aux Nations Unies et des pays comme l’Afrique du Sud et l’Algérie ont été obligés de plier. L’UA tire-t-elle des leçons de cette expérience? Rien n’est moins sûr à moyen terme. Pourtant l’union Africaine a grand besoin de revoir sa structure de gouvernance et donc de prise décisions.

 

Jean-Jacques Konadjé

Jean-Jacques Konadjé

Jean-Jacques Konadjé est Docteur en Science Politique, consultant en géopolitique et relations internationales, expert en maintien de la paix puis spécialiste de la défense et de la sociologie militaire. Il enseigne la communication à l’Université de Rouen.