La «diplomatie du charter» de Mr Besson…

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Albert Camus écrivait dans L’Homme révolté qu’ « […] Il faut une part de réalisme à toute morale: la vertu toute pure est meurtrière ; et […] une part de morale à tout réalisme : le cynisme est meurtrier. » Outre l’absolu cynisme politique du ministre de l’Immigration Eric Besson, sa décision démontre l’absence de réalisme et d’anticipation politiques en amont de l’expulsion des clandestins afghans. Retour sur une expulsion qui a « ému » une partie de la classe politique et fait couler de l’encre pendant 72 heures.

Cela fait déjà plusieurs années que la France n’est plus la patrie des Droits de l’homme, mais aujourd’hui marque une vraie rupture avec le passé. La situation difficile de ces afghans en France a été mise en lumière ces dernières semaines avec la destruction de la Jungle de Calais, nom qui porte en lui les germes d’inhumanité que l’on souhaite attribuer à toutes ces personnes et qui justifie, a priori comme a posteriori, les décisions dégradantes (centres de rétention, expulsions par charter) que le gouvernement a pris à leur encontre.

Sur un plan humain et humanitaire, leur départ forcé par charter, dans un climat de dissimulation rappelant les trajets aériens clandestins des avions de la CIA à destination de centres de tortures délocalisés, et dénoncés par la justice européenne, doit être considéré comme inacceptable et fermement combattu.

Sur un plan politique, il est important d’essayer de décrypter les logiques qui ont amené à cette décision moralement condamnable et politiquement inefficace. Dans une perspective nationale et européenne, l’argument avancé sera celui de la dissuasion pour tous ceux qui essaieraient de venir en France, ou tout au moins de franchir les murs de la désormais fameuse « Forteresse Europe ».

Outre le fait que jamais les expulsions n’ont eu un quelconque effet sur la motivation de ceux qui veulent s’extraire de situations bien plus dures qu’une reconduction aux frontières, ni sur la dynamique des réseaux de trafiquants, l’impact quantitatif est aussi peu efficient  que l’impact symbolique en termes de dissuasion.

Des flux Sud-Sud…

De récentes études sur les flux migratoires montrent que ceux-ci sont essentiellement Sud-Sud, et la posture gouvernementale sur le sujet semble plus reposer sur une volonté d’altérer une perception positive des migrants que de régler sur le fond la délicate question migratoire.

Sur le plan international, l’expulsion par charter de clandestins afghans soulève des questions d’ordre juridique mais aussi stratégique et constitue une contradiction d’ordre quasi-schizophrénique avec l’évaluation qui est faite par le ministère des Affaires Etrangères français sur la situation actuelle en Afghanistan.

En effet, le site internet du ministère des Affaires étrangères écrit explicitement que «la situation de sécurité en Afghanistan s’est beaucoup dégradée depuis un an. La rébellion a étendu ses actions en province dans de nombreux districts du sud et de l’est du pays ainsi que dans ceux limitrophes de Kaboul. L’imminence des élections présidentielles et provinciales (20 août 2009) exacerbe les tensions. Les attentats se multiplient à l’approche du scrutin notamment à Kaboul (attentat contre le quartier général de l’OTAN le 15 août, tirs de roquette sur la présidence et attentat-suicide le 18 août). Dans ces conditions, il est plus que jamais impérativement recommandé de différer tout projet de voyage en Afghanistan, et, pour les personnes présentes sur place, de proscrire tout déplacement non indispensable et de rester en contact étroit avec les services de l’Ambassade. Au-delà du risque sécuritaire immédiat, le risque d’enlèvement (politique ou crapuleux) demeure important, y compris dans la capitale. A partir de Kaboul, toutes les routes sont devenues très dangereuses et les déplacements en voiture ou en transports collectifs doivent être absolument proscrits».

La perspective du second tour des élections présidentielles fait que cette analyse conserve toute sa validité. Mieux encore sur le plan sanitaire, le site précise en outre que «l’hygiène est préoccupante compte tenu de la destruction d’une partie des réseaux d’assainissement.

Les conditions sanitaires sont précaires, le système hospitalier étant sinistré. Des antennes médicales existent au sein des forces de l’ISAF mais ne traiteraient également que les urgences avérées. L’eau n’est potable pratiquement nulle part…».

Sur le plan juridique, la Cour Européenne des Droits de l’homme a déjà condamné des expulsions de personnes sans-papiers (être sans-papiers constituant une irrégularité administration et non une infraction pénale), et il est fort probable que la France risque à nouveau de se faire reprocher l’irrégularité même de la procédure, et de s’exposer aux critiques de la Communauté internationale.

Quel est le message envoyé ?

En termes stratégiques, dans une période où l’implication de la France en Afghanistan se renforce (notamment à travers sa réintégration dans l’OTAN), où les attaques dirigées contre les forces occidentales mais aussi contre les ONG perçues comme alliées par les groupes insurgés se multiplient, cette décision d’expulsion « charterisée » d’afghans sera perçue par l’ensemble de leurs concitoyens comme un signe supplémentaire de l’hypocrisie des bonnes intentions affichées, et du mépris de facto des pays occidentaux, et notamment de la France, à leur égard.

Que cela se passe le lendemain où le ministre des Affaires Etrangères français soit allé faire pression sur le Président Karzaï pour qu’il se conforme aux règles de droits lors des élections présidentielles, est d’autant plus regrettable…

Il est étonnant que la «diplomatie du charter» soit maintenant celle préconisée car elle décrédibilise  toute la  «diplomatie des Droits de l’homme» que Mr Kouchner a défendu depuis toujours même si elle fait plus fonction d’affichage que de réalité.

La stratégie retenue met aussi en péril la «diplomatie  réaliste», censée répondre aux questions politiques par des réponses politiques,  et pour laquelle une certaine éthique de la responsabilité doit être maintenue.

La décision réitérée de Mr Besson d’expulser des afghans dans leur pays en guerre est donc politiquement nuisible, juridiquement condamnable, inefficace dans l’exemplarité, et constitue en soi une régression inédite dans la manière de considérer des êtres humains face à leur histoire.

Grâce à Mr Besson, les Droits de l’homme sont définitivement de l’histoire ancienne dans notre pays.

Jérôme Larché

Jérôme Larché

Jérôme Larché est médecin hospitalier, Directeur délégué de Grotius et Enseignant à l’IEP de Lille.