La chasse aux terroristes du Nord Mali : le nouvel Afghanistan français ?

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Très récemment, les Ministres de la Défense et des Affaires Etrangères, Jean-Yves Le Drian et Laurent Fabius, ont annoncé que l’armée française fournirait un soutien logistique aux opérations anti-terroristes dans le Nord Mali, essentiellement dirigées contre la branche d’Al Qaida au Maghreb Islamique (AQMI), mais aussi contre les groupes Ansar al-Din (« Défenseur de la religion ») et Mujao (Mouvement pour l’unicité du djihad en Afrique de l’Ouest). Malgré les otages français détenus depuis 2010, et qu’AQMI menace d’exécuter, le gouvernement français entend donc aider Bamako à « reconquérir »[1] cette région, aux mains des islamistes depuis 6 mois.

Considéré comme une zone tampon entre le Maghreb et le bilad as sudan, l’« Afrique Noire », l’arc sahélien constitue un espace propice à la mobilité des personnes et à la dilution des frontières, et représente un « condensé des dynamiques qui façonnent l’Afrique »[2].

L’intérêt stratégique et politique de la France pour cette région n’est pas nouveau et tient autant à des facteurs historiques (ancienne zone d’influence), économiques (tourisme, exploitation de ressources naturelles) que sécuritaires (otages français détenus, expansion potentielle de cette zone grise aux mains des islamistes radicaux).

La posture hexagonale actuelle, comportant notamment une prise de distance significative avec le MLNA (Mouvement National de Libération de l’Azawad – mouvement indépendantiste touareg), vise peut-être aussi à rassurer le gouvernement et de nombreux citoyens maliens sur la « bienveillance » supposée de la France à l’égard des indépendantistes, renforcés depuis le coup d’Etat perpétré le 22 mars dernier contre le Président Amani Toumani Touré. Ainsi, le respect de l’intégrité territoriale du Mali, et notamment des régions de Tombouctou, Gao et Kidal, cesserait d’être un sujet d’achoppement diplomatique entre les deux pays.

L’inquiétude des spécialistes du renseignement français

L’intervention en Libye n’a pas seulement fait chuter le régime du colonel Kadhafi, mais doit être considérée comme un des facteurs explicatifs de la crise malienne. En effet, une déstabilisation globale de la région sahélienne s’est opérée, accompagnant le retour  – avec des compétences et des appétits idéologiques renforcés – de ceux que l’on appelait les « mercenaires », et qui se traduit aujourd’hui par la mise en circulation de  nombreuses armes provenant de l’arsenal libyen (et notamment des missiles sol-air)[3].

D’autre part, plusieurs attentats terroristes auraient ainsi été déjoués sur le sol français depuis 2009, ainsi que, plus récemment, un attentat visant l’Ambassade de France en Mauritanie à Nouakchott. Les services de renseignements français s’inquiètent tout particulièrement des séjours effectués dans des camps au Nord-Mali par des ressortissants français ou européens, et revenant avec des projets et des contacts pour fomenter des attentats.  Passant par des pays de transit comme l’Algérie, la Tunisie, ou le Sénégal, ils sont difficilement détectables, et confirment que le Nord Mali constitue aujourd’hui une base arrière terroriste problématique.

La difficile mise en œuvre d’une action militaire

Même si les propos du ministre de la Défense français n’ont rien d’une déclaration publique de guerre aux groupes sahéliens liés à Al Qaida,  insistant sur l’aspect uniquement logistique  du soutien, la perception de cet affichage opérationnel risque de ne pas être aussi bien comprise par tous. En effet, ne fournir que du matériel et du soutien indirect constitue en soi une participation active pour « empêcher la constitution d’une espèce de sanctuaire terroriste par des bandes organisées se réclamant d’Al Qaida au Mali »[4].

Sur un plan tactique, la place du renseignement est en effet primordiale dans ce type d’opération militaire, l’action elle-même étant par nature brève, ponctuelle, ciblée et dictée par la quantité et la fiabilité de l’ «intelligence » obtenue. Le rôle de la France, qui ne souhaite pas engager de troupes, aura donc un impact stratégique significatif sur la nature des rapports de force qui seront instaurés.

Comme l’a rappelé le Premier Ministre malien, Cheikh Modibo Diarra, le manque d’armes, de logistique, et de capacité du renseignement sont les principales carences actuelles pour mener à bien ce type d’intervention. Même si la nature précise de cette intervention est encore en cours de négociation au sein de la CEDEAO (Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest), les quelques 3000 soldats de l’armée malienne ne pourront être suffisants.

Le 23 septembre dernier, le Président intérimaire malien Dioncouda Traoré à écrit à Ban Ki-moon pour lui signifier qu’ « au regard de l’intensification des activités criminelles et terroristes dans le Nord du Mali et des risques qu’elles font peser dans l’immédiat et sur le reste du monde à terme », il a « demandé, le 1er septembre l’aide de la Cédéao dans le cadre de la libération des territoires du nord et de la lutte contre le terrorisme et autres activités illicites ». Sous très probable pression de la France, Dioncouda Traoré a élargi sa requête en sollicitant « l’adoption d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations unis [CSNU] autorisant, sous le chapitre 7 de la chartre des Nations unies, l’intervention d’une force militaire internationale afin d’aider l’armée malienne à reconquérir les régions du nord occupées ». Dans cette optique, la France a convoqué le 26 septembre, pendant l’Assemblée Générale des Nations Unies, une conférence internationale sur la Sahel, prélude à une possible et rapide  résolution du Conseil de Sécurité des Nations Unies. Il semble donc que l’on se dirige plus, au Nord-Mali, vers une intervention militaire internationale qu’africaine.

Le rôle discret mais primordial de l’Algérie 

Historiquement, les trois pays se disputant le leadership régional de la zone sahélienne sont le Maroc, la Libye et l’Algérie. La chute du régime de Mouammar Kadhafi et les remous du printemps arabe dans le pays dirigé par Mohammed VI ont crée une vacance qui bénéficie sans nul doute à l’Algérie. Directement concerné au Sahel avec le Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat – GSPC devenu AQMI -, partenaire actif dans la lutte globale contre le terrorisme aux côtés des Etats-Unis, ce pays pivot peut être considéré comme à la fois partie de la solution…mais aussi du problème.

Jouant un jeu obscur, pour ne pas dire un double jeu, l’Algérie aurait ainsi largement contribué, à l’instar de certains pays du Golfe, au financement d’Ansar al-Din, mais aussi à l’acheminement de son carburant et aux rapatriements de ses blessés. Ce faisant, elle se rend indispensable sur le terrain – visible – de la médiation politique, et sur celui, plus discret, de la concertation opérationnelle (avec par exemple, une réunion récente des services de renseignements occidentaux comme la DGSE et la CIA). L’Algérie bénéficie aussi d’un fort soutien diplomatique américain qui, dans le cadre de l’AFRICOM, fournit une formation à la lutte anti-terroriste aux forces armées mauritaniennes, nigérianes et algériennes.

La France, dont les relations avec l’Algérie n’ont jamais été simples, semble avoir la volonté de jouer la carte algérienne, à la fois pour préserver sa marge de manœuvre dans les négociations pour les otages français, mais aussi pour préserver ses intérêts économiques dans la région, notamment les réserves d’uranium au Niger.

Toutes proportions gardées, la posture algérienne dans la crise malienne n’est pas sans rappeler celle du Pakistan dans le conflit afghan : un voisin géographiquement proche,  un régime autocratique avec un service de  renseignement militaire politiquement très autonome, instrumentalisant le terrorisme islamiste tout en en étant aussi victime, et cherchant avant tout à consolider sa profondeur stratégique sur un terrain réputé hostile. En faisant partie à la fois du problème et de la solution, l’Algérie, tout comme le Pakistan, restent incontournables pour les négociations en cours car, à défaut de pouvoir aider, ils peuvent efficacement compromettre la résolution de ces conflits.

Une étroite marge de manœuvre

Comme souvent, le premier mouvement tactique des mouvements terroristes liés à Al Qaida est d’ordre médiatique et rhétorique. Le gouvernement français est accusé par AQMI de vouloir « envahir le pays des musulmans maliens », d’avoir « fermé la porte aux négociations »[5], mettant en danger la vie des otages – qui seraient désormais détenus dans le massif de Tigharghar – et accroissant l’insécurité. A  ce contexte local incertain, se surajoute désormais la colère globale du monde musulman – et ses morts, que ce soit au Pakistan ou en Tunisie – face à l’exécrable film américain anti-islam « L’innocence des musulmans » et aux caricatures du prophète Mahomet, dont la publication récente dans Charlie Hebdo risque bien d’avoir l’effet contraire aux intentions affichées par le journal français.

Au-delà des analyses géopolitiques et des décisions prises par chaque pays en fonction de ses intérêts nationaux sécuritaires et économiques, les seules réalités tangibles dans le Nord Mali, et plus largement dans la bande sahélienne, sont de deux ordres. Tout d’abord, le renforcement de réseaux criminels transnationaux (drogue, trafics d’armes et d’humains) à partir de bases contrôlées par des groupes terroristes et d’extrémistes violents nationaux et internationaux. Deuxièmement, des conséquences humanitaires préoccupantes pour les populations civiles qui, en plus de la sécheresse et de la pénurie alimentaire, sont les premières victimes de violations majeures des droits de l’homme ainsi que de déplacements forcés.

La récente expérience afghane des forces occidentales aurait dû inciter la France à de la prudence avant de s’engager publiquement sur la crise malienne. Car à la différence de l’Afghanistan, les pertes induites par ce positionnement trop visible, risquent fort de ne pas être au Mali mais dans tous les pays où la communauté française et ses intérêts y sont significativement représentés. Toutefois, il est possible que la France cherche aussi à faire passer le message d’une inflexion moins conciliante vis-à-vis d’éventuels futurs preneurs d’otages…

Dans une période où le monde musulman ressent à nouveau une forme de défiance idéologique de la part du monde occidental, les responsables politiques français doivent adopter une stratégie plus indirecte, favorisant la perception d’un positionnement collectif, inclusif, à l’échelle européenne et internationale. Pousser à la mise en œuvre des conclusions du Conseil de l’Union Européenne[6] et s’assurer du vote rapide d’une résolution sous chapitre VII au CSNU, sont des options possibles. Un accompagnement économique adapté, à même d’éviter une explosion politique et humanitaire dans la zone sahélienne, s’avère également indispensable[7].

Malgré toutes les incertitudes liées à une action militaire au Nord mali, notamment pour le sort des otages et des populations civiles, l’Etat français ne semble pas avoir fait le choix, comme auparavant, de l’indécision politique sur le théâtre sahélien. Il prend ses responsabilités et a fait le choix parmi les maux possibles.

 

[1] J.M. Irujo, « Nouveau terrain de conquête », El Païs, in « Courrier International – L’atlas du terrorisme », mars-avril-mai 2008

[2] M. Taje, « Vulnérabilités et facteurs d’insécurité au sahel », Enjeux ouest-africains n°1, août 2010

[3] I. Lasserre et T. Oberlé, « De nouvelles filières djihadistes visent la France », Le Figaro, 23 septembre 2012

[4] Propos de J.Y. Le Drian, Dépêche AFP, « La France confirme son soutien logistique en cas d’intervention au Mali », Le Figaro, 20 septembre 2012

[5] « AQMI menace de tuer les otages français au Mali » , Le Monde et AFP, 19 septembre 2012

[6] adoptées le 22 juillet 2012

[7] ICG Policy Briefing, « Mali : pour une action résolue et concertée », Briefing Afrique n°90, 24 septembre 2012

Jérôme Larché

Jérôme Larché

Jérôme Larché est médecin hospitalier, Directeur délégué de Grotius et Enseignant à l’IEP de Lille.