La justice pénale et la violence sexiste au Pakistan : un système partial et inefficace…

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L’inefficacité  du système judiciaire pénal pakistanais a des répercussions non seulement sur la sécurité nationale et internationale mais c’est aussi un facteur de participation voire d’incitation à la violence sexiste au Pakistan.

Ce système judiciaire caractérisé par des enquêtes de faible qualité, par la corruption, l’intimidation, des ingérences dans les procès, de faibles poursuites, d’un manque d’outils permettant l’apport de preuves médico-légales et surtout le droit pour le plaignant de faire des compromis à n’importe quelle étape du procès, a pour conséquence un taux de condamnation très bas, se situant à environ 5%.

Les faibles résultats du système judiciaire pénal ont été mis en évidence par une décision récente de la Cour Suprême concernant Mukhtaran Mai, une femme qui a subi un viol collectif sur les ordres du conseil tribal local (Jirga). Le procès a été ouvert le 30 juin 2002, mettant en accusation 14 personnes avec des charges de viol collectif et en vertu des lois sur l’antiterrorisme. La Cour a finalement relaxé 13 des 14 accusés, après une procédure de plus de 9 ans. La décision a stupéfié la société civile au Pakistan, allant à l’encontre de la volonté d’éliminer la violence sexiste.

En dépit du fait que le Pakistan ait été frappé par des milliers d’attaques terroristes ces 6 dernières années et que des centaines d’activistes aient été arrêtés, beaucoup d’entre eux,  même en ayant été jugés, n’ont pas eu une seule condamnation pour acte de terrorisme. Bien que la politique judiciaire nationale ait été élaborée et mise en application en 2009, celle-ci n’a pas répondu aux besoins des citoyens.

La présence de systèmes parallèles légaux au Pakistan est aussi un facteur favorable à l’injustice, l’inégalité et la violation des droits fondamentaux. Les différents tribunaux et forums établis sous le régime du Common Law, de la loi de la charia et de la loi tribale et tous ceux parallèles à chacun d’entre eux ont établi un système pénal légal inégal et injuste. De plus, la présence d’un système judiciaire informel, connu sous le nom de « conseil tribal » a abouti à un certain nombre de décisions inhumaines, comprenant celle exposée précédemment, lorsque le conseil tribal au sud du Pendjab a ordonné de violer une femme, en réparation du préjudice causé par son frère qui a été accusé, par des allégations d’avoir entretenu une liaison avec une jeune femme d’une tribu rivale en 2002…

Selon les données de la Fondation Aurat, issues de plusieurs sources, environ 8500 cas de violences sexistes ont été enregistrés en 2010. Encore une fois, ces chiffres ne sont que la partie visible de l’iceberg concernant la situation des femmes au Pakistan, leur réticence à porter plainte s’expliquant principalement par les tabous qui entourent les sévices sexuels et par une perte de  confiance en leur système judiciaire pénal qui peut ainsi ajouter une seconde expérience traumatisante à la première. De plus, certaines formes de violence ne sont même pas reconnues comme un crime par la loi. La violence subie par les femmes dans la sphère domestique est encore considérée comme une affaire privée et non recevable devant la justice. Le Pakistan, en dépit du fait qu’il soit le pays avec le plus grand nombre de crimes d’honneur au monde, continue à soutenir de telles législations, qui permettent aux héritiers légaux de pardonner aux auteurs de tels crimes. Des sources officieuses ont estimé ce nombre à 3000 par an.

La décision récente de la Cour suprême concernant l’affaire de Mukhtaran Mai a largement déçu les femmes du Pakistan qui résistent à la barbarie et aux crimes commis envers les femmes par la société et l’Etat.

Mukhtaran Mai fait partie de ces femmes courageuses qui pensent que le silence face à la cruauté est une complicité à celle-ci et qui s’est élevée face à ces actes atroces qu’elle a subi. L’affaire a été une combinaison de deux différents systèmes légaux, d’une part les charges de viol retenues par la loi de la charia et d’autre part, celles d’antiterrorisme et de complicité sous la loi anglo saxonne. Le tribunal de première instance a annoncé son jugement le 31 août 2002, condamnant 6 des 14 accusés à la peine de mort.

Au même moment, Mme Mai, qui fait partie de la classe socio-culturelle inférieure, a décidé de créer son organisation ( Mukhtar Mai Women Welfare Organization) pour élever le niveau d’éducation des filles de sa région et a ouvert 2 écoles. En Mars 2005, la Haute Cour de Lahore a contré l’ordre du tribunal de première instance et a acquitté 5 des 6 condamnés tout en modifiant la condamnation à mort du sixième en une peine de prison à perpétuité. A la même période, la plus haute cour islamique est intervenue et a suspendu l’ordre de la Haute Cour de Lahore, arguant que cette dernière n’est pas compétente pour juger les infractions commises sous la loi de la charia.

Un conflit ayant éclaté entre les 2 juridictions les plus hautes, la Cour suprême (la Cour la plus haute) est intervenue et a annoncé qu’elle prendra en compte les appels et qu’elle suspendra temporairement la décision de la Haute cour d’acquitter les 5 personnes accusées. La décision finale de la Cour suprême a été annoncée il y a une semaine lorsqu’elle a confirmé la décision de la Haute cour et a acquitté les 5 personnes accusées. Choquée, Mukhtaran mai, a déclaré, lors d’une interview après le jugement : « Pourquoi les tribunaux pakistanais m’ont fait patienter pour une décision aussi injuste ? »

La décision a suscité de nombreuses critiques aussi bien du public que des réseaux et des organisations de la société civile. Les réseaux tels que Mumkin EVAW Alliance et Insani Haqooq Ittehad ont montré un grand désarroi face à cette décision et l’ont  dénoncé comme étant le reflet d’un système judiciaire pénal inefficace et sexuellement discriminatoire.

Le système judiciaire au Pakistan est à la source d’un grand manque de confiance de certaines populations en marge de la société incluant les femmes, les minorités religieuses et les organisations syndicales. La violence sexiste ne peut être éliminée pleinement qu’à condition que la justice pénale au Pakistan devienne uniforme, impartiale et efficace.

 

Traduction : Morgane Chatel