La Sierra Leone, loin des caméras…

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Par Tara Osmane, envoyée spéciale… La guerre civile en Sierra Leone a duré de 1991 à 2002. Pour nombre d’observateurs, ce conflit fut l’un des plus cruel, sanglant depuis la seconde guerre mondiale. Une barbarie largement couverte par les médias internationaux. Plusieurs envoyés spéciaux y ont même perdu la vie. La paix revenue, la Sierra Leone a disparu des Unes des journaux occidentaux. Pourtant c’est aujourd’hui qu’il faudrait «parler» de ce pays. Crise oubliée, crise larvée… La Sierra Leone va mal aujourd’hui.

La paix est très fragile. Mais pour l’instant ce pays n’intéresse pas les médias internationaux. Les financements pour les ONG se sont raréfiés. A l’abri des regards, les mêmes facteurs qui avaient conduit une première fois au conflit se remettent en place… 52 ans, 40 ans, 25 ans, les sentences sont tombées le 8 avril dans le procès du Front Révolutionnaire Uni, le RUF. Les principaux commandants de la rébellion sierra-leonaise, Issa Sesay, Morris Kallon et Augustine Gbao purgeront de lourdes peines de prison.

Il y a une dizaine d’années, ces noms défrayaient la chronique, sur fond de barbarie. L’alernative sadique offerte par les factions combattantes aux civils– bras coupés au niveau des biceps ou des poignets-, le recrutement massif d’enfants soldats, la mise en esclavage de milliers de gens contraints d’extraire les tristement célèbres «diamants du sang», les viols collectifs, autant d’atrocités qui ont fait de la Sierra Leone, petit pays de 5 millions d’habitants, un candidat éligible aux Unes des médias du monde entier.

C’est pourtant dans une relative discrétion et miné par des problèmes de financement que le tribunal spécial pour la Sierra Leone achève un travail, à bien des égards historique. Pour la première fois dans l’histoire du continent africain, la justice internationale a en effet siégé dans le pays où les crimes ont été commis. Grâce à des tournées explicatives dans les provinces, la population a pu suivre l’avancée de procédures qui ont duré des années. Les 8 chefs de trois factions – RUF, Kamajors et AFRC- ont été jugés et condamnés.

Reste l’ancien président du Liberia Charles Taylor, accusé d’être l’instigateur de la rébellion, toujours en procès à la Haye. Selon le porte parole du Tribunal, Peter Andersen, la Sierra Leone hérite d’une culture juridique auparavant inexistante dans le pays et des jurisprudences inédites. Pour la première fois, le recrutement et l’utilisation d’enfants ont donné lieu à des condamnations, ainsi que les mariages forcés avec les rebelles des «femmes de brousse», victimes de viols.

De l’avis général, la justice a détruit la notion d’impunité, une importante leçon pour l’avenir. Mais Peter Andersen s’interroge aussi sur ses limites. «Plusieurs personnes nous ont confié que pour eux justice avait été faite. Mais pouvez-vous jamais compenser quelqu’un pour l’amputation d’un membre, pour la perte d’un être aimé ?» Dans le village de Grafton, aux environs de la capitale, des amputés ont été relogés. Chaque vendredi, certains d’entre eux se rendent à Freetown pour mendier.

En mars, l’enregistrement des ayant droits aux réparations a commencé, sur fond d’amertume et de frustration. Sur son fauteuil roulant, Kadija Fofanah s’active à la préparation d’une soupe aux feuilles de manioc. Elle a été agressée par les rebelles lors de l’attaque de Freetown en 1999 et ses deux jambes entaillées à coups de machette ont du être coupées au dessus du genou. Pour elle, la justice ne signifie rien sans réparation. «Je n’ai pas à pardonner parce que le gouvernement n’a rien fait pour moi, dit-elle. Si ma situation s’améliore un peu alors je pardonnerai peut être, mais jamais je n’oublierai».

Pour certains défenseurs des droits des victimes, l’argent du tribunal aurait été mieux employé à payer des réparations. Les ex-combattants, jaloux de la manne financière, revendiquent aussi leur part. A Croobay, le principal bidonville de Freetown, beaucoup vivent en bonne intelligence avec des soldats démobilisés.

Au chômage, ils partagent la même rancœur envers le gouvernement, accusé d’être ingrat à l’égard des rebelles «faiseurs de paix» et à l’égard de ceux qui l’ont défendu, même s’ils ont parfois été obligés de changer de camp en cours de route. Dans une petite pièce à l’abri des regards, des jeunes, anciens des factions RUF, AFRC et Kamajors, se regroupent en maugréant contre les journalistes qui veulent des informations gratuitement. Le ton monte. C’est alors qu’un ex-commandant du RUF fait son apparition. Les journalistes, les onusiens, le gouvernement, tous sont venus le voir à Makeni, quand il avait encore des dizaines de milliers d’hommes sous ses ordres. «Des types comme lui et les commandants jugés par le tribunal ont apporté la paix au pays, définitivement» martèle-t-il. Mais voilà, les ex-combattants ont l’impression de s’être fait rouler dans la farine.

Aujourd’hui, assure l’ex-commandant, même ceux qui ont suivi une formation ne trouvent pas de travail. On les traite de rebelles. A ses côtés, un ancien enfant soldat s’agite. Il explique qu’au cours des deux années qui ont suivi la guerre, une association lui a appris le métier de tailleur. Puis cette ONG est partie. «On m’a planté là, sans rien. Si Dieu entend mes prières et que l’occasion se présente, je retournerai me battre».

«Il n’y a pas d’animosité entre les groupes» assure Edward Nahim, le seul psychiatre qualifié du pays, responsable du département psychiatrie au ministère de la Santé. «Aujourd’hui, le plus grand problème est économique, les gens n’ont pas de travail et pas assez d’argent pour survivre. Chez les 20-30 ans, le taux de chômage atteint 60%. « Ce qui m’inquiète le plus, ce sont les jeunes, âgés de 20 à 30 ans, qui ont fini leurs études et sont au chômage. Ils souffrent sans comprendre pourquoi, ce qui les amènent à la drogue». Pour le psychiatre, l’usage de ces substances explique l’ampleur des atrocités commises lors de la guerre civile. La Sierra Leone vivote de subsides internationales.

La contribution de l’industrie minière au PIB est insignifiante. La hausse des prix du pétrole et des produits alimentaires a frappé durement le pays, dans la capitale, le prix du riz, base de l’alimentation, a augmenté l’année dernière de 80%. «Nous sommes un pays qui dépend très largement de l’aide extérieure, et nous allons probablement être affectés par la crise mondiale et la raréfaction des crédits» souligne le ministre sortant du commerce et de l’industrie, Alimamy Koroma. «Les gens sont déjà touchés car les transferts en provenance de la diaspora ont beaucoup baissé». En situation précaire, les déplacés de l’intérieur, qui avaient fui leur village à l’époque de la guerre, sont particulièrement affectés.

Habitants de la capitale ou des zones minières en désherence à cause de la baisse des cours du diamant, «ils pourraient être des dizaines de milliers, perdus dans leur propre pays, à vouloir regagner leur village d’origine» explique Joan Baxter, porte parole d’un projet de réinstallation de la coopération allemande, la GTZ. Les campagnes desertées par les jeunes manquent de bras pour l’agriculture, les anciens ont tout à gagner à accueillir cette main d’œuvre, mais pas question de revenir dans la communauté les mains vides. La GTZ fournit le transport, et quelques bassines, couvertures et marmites, de la nourriture, une maison sur place, au total, 500 dollars par famille réinstallée.

Près de 700 personnes ont bénéficié du programme entre 2006 et 2008. il pourrait être étendu à 15 000 autres d’ici à la fin de l’année, à condition de trouver les fonds. Congestionnées, les villes se transforment en bombe à retardement. «La situation risque de redevenir celle de l’avant-guerre» s’inquiète Emmanuel Saffa Abdoulai, directeur de l’association Society for Democratic Initiatives. «Politiquement la société est de plus en plus polarisée, il faut encourager les minorités et faire en sorte que les nominations dépendent du mérite et non de critères tribaux. Sinon, vous approndissez des blessures qui ne sont pas encore guéries et les élections de 2012 risquent de tourner au bain de sang».

En mars, des affrontements entre partisans de partis rivaux ont fait une vingtaine de blessés. Déploiement massif de soldats de la paix, opération désarmement-démobilisation-réintégration, la paix en Sierra Leone a coûté cher, mais pas assez peut être pour assurer l’avenir.

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La rédaction de Grotius International.

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