La solidarité d’une Chine infra-étatique : l’aide chinoise accordée au Japon après le tremblement de terre du 11 mars 2011

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Le 11 mars 2011, le Japon a connu un tremblement de terre d’une magnitude 9 sur l’échelle de Richter dont l’épicentre se situait dans l’océan pacifique. Ces secousses ont immédiatement déclenché un tsunami qui a ravagé la côte est de l’archipel, région où se concentrent les centrales atomiques du pays. À cette crise humanitaire s’ajoute donc une catastrophe nucléaire qui concerne le monde entier.

L’État chinois, proche voisin du Japon, a rapidement réagi à la tragédie nippone. Il a envoyé des équipes de secouristes, du matériel d’urgence pour les rescapés et même du carburant, alors que s’organisaient des collectes de dons dans ses universités et sur certaines places publiques. Enfin, son gouvernement a évacué 3000 ressortissants des zones sinistrées. Mais cette situation conduit surtout la Chine à s’interroger sur sa propre gestion de l’énergie atomique.

Rappel historique

En 1281, le typhon Kamikaz (vent divin) a détruit la flotte mongole de Kubilai Khan qui tentait d’envahir l’archipel japonais. Cet élément naturel a garanti l’indépendance du pays à l’égard de l’Empire du milieu, situation préservée jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.

À l’inverse, la Chine a connu deux défaites majeures face au Japon, en 1895 et en 1931. La dernière s’est soldée par l’occupation nippone de la Mandchourie jusqu’en 1945, date à laquelle les bombes atomiques de Nagasaki et d’Hiroshima ont contraint Tokyo à capituler. Ces épisodes historiques suscitent toujours des tensions diplomatiques, comme en témoignent la visite du Premier ministre japonais Koizumi du sanctuaire shinto de Yasukini (Tokyo) ou encore les revendications territoriales de la Chine sur les îles Diaoyu.

Néanmoins, le séisme qui est intervenu dans la province chinoise du Sichuan, le 12 mai 2008, a permis un rapprochement sino-japonais. En effet, Pékin a accepté l’aide humanitaire offerte par des équipes japonaises.

S’agissant du dossier nucléaire dans sa globalité, rappelons que la RPC fait partie des puissances nucléaires ; son premier essai ayant été réalisé le 16 octobre 1964 à Lop Nor, dans la province du Xinjiang. En 1984, elle est devenue membre de l’AIEA (Agence Internationale de l’Energie Atomique) et le 9 mars 1992, après des années de refus, Pékin a finalement ratifié le TNP (Traité de Non Proliférationdes armes nucléaires).

Cadrage théorique

Aide d’urgence. Lors de catastrophes naturelles, des États mais aussi des ONG – en particulier celles qui détiennent une dimension internationale – fournissent une aide financière et matérielle aux régions sinistrées. Outre le témoignage de compassion, cette assistance accroît la visibilité du donateur et lui permet de mettre en scène ses valeurs éthiques sur la scène mondiale.

Réappropriation de l’action diplomatique par des moyens informels. Les acteurs de la société civile contournent les institutions traditionnelles pour mettre en œuvre une politique étrangère qui se distingue de celle des États. Ce phénomène illustre la révolution des aptitudes, évoquée par le politiste américain, James Rosenau, lorsqu’il invite à réévaluer leur rôle et à prendre en considération le mixing micro-macro.


Analyse

Les relations sino-japonaises se trouvent actuellement dans une phase difficile, qu’il s’agisse des crispations militaires dans la Mer de Chine ou de la crise économique lourdement ressentie au Japon. Souvent paralysées, les institutions diplomatiques traditionnelles empêchent un réel dialogue entre Pékin et Tokyo. Or, le tremblement de terre du Sichuan et celui qui a largement ravagé l’île d’Honshu, ont été l’occasion d’une plus grande solidarité entre ces deux peuples.

En effet, les Chinois se souviennent de l’aide offerte par leurs voisins et se mobilisent à présent pour venir à leur secours. Une interaction microsociale, à l’échelle individuelle, s’établit qui rend manifeste l’érosion du cadre stato-national. Dans ce contexte de crise et d’urgence, les administrations centrales de l’État et du PCC sont contournées au profit des échelons locaux – les villes jumelées avec des municipalités japonaises sont actuellement mises à contribution – ou encore de la société civile avec l’intervention d’associations et d’ONG nationales, comme la Croix Rouge chinoise par exemple. On voit donc que la nécessité d’une action rapide favorise une redistribution de l’autorité au profit des entités subnationales et transnationales.

La dynamique coopérative qui s’instaure oblige les pouvoirs politiques à infléchir leur stratégie ; le jeu diplomatique de ces nouveaux acteurs les contraignant à modifier leurs positions initiales. Souvent critiquées pour leur manque d’autonomie, les ONG chinoises utilisent à présent leurs liens privilégiés avec le gouvernement pour infléchir les décisions de ce dernier. Ces organisations s’imposent aux institutions politiques, grâce à leur répertoire d’actions plus approprié et leur source de légitimité venue d’en bas. Au fil du temps, elles deviennent des interlocuteurs indispensables alors même que l’État chinois tente de maintenir ses monopoles malgré les contestations.

Cette opération se révèle d’autant plus aisée que l’assistance offerte aux habitants de l’archipel s’accorde avec la conception chinoise des droits de l’Homme, orientée vers une dimension plus économique et sociale que politique. Soulignons par ailleurs que la crise affectant le Japon profite également aux relations sino-taiwanaises avec la mise en place d’une coopération accrue en matière de prévention des risques sanitaires et d’aide d’urgence.

L’impact sur les politiques pékinoises transparaît aussi à travers la mise en avant de l’Administration d’État pour la Sécurité Nucléaire et le rôle accru accordé au Ministère de l’Environnement. Maintenu auparavant au rang de simple agence, celui-ci détient désormais un budget plus important.

Toutefois, le poids croissant des experts dans la prise de décision de Zhongnanhai constitue l’élément le plus notable car le savoir est devenu un outil légitimant susceptible de modifier la hiérarchie des priorités sur l’agenda gouvernemental. Pékin, qui gère actuellement la construction de 25 centrales atomiques alors que 13 sont déjà en activité, vient de geler la décision d’ériger de nouvelles infrastructures et de substantiellement renforcer les normes de sécurité, les systèmes d’alerte/mesure de la radioactivité.

Les éléments naturels et la technologie de l’atome pèsent autant sur les rapports sino-japonais que sur les questions de sécurité nationale et de santé publique. Ils imposent aux dirigeants chinois plus de transparence mais aussi une plus grande prise en compte de l’opinion publique. Néanmoins, les besoins énergétiques de la Chine rappellent au gouvernement des priorités d’un autre ordre.

En effet, en 2007, Pékin a signé avec la firme française Areva le plus gros contrat jamais conclu dans le domaine nucléaire – d’une valeur de 8 milliards d’euros – afin d’accroître sa production énergétique et d’acquérir une nouvelle technologie : les fameux réacteurs de génération EPR. L’exploitation de l’énergie atomique demeure – comme dans de nombreux pays –soumise au secret défense et par conséquent difficile à livrer au débat démocratique. Cependant, les partenariats qui s’établissent entre les sphères publique et privée dans ce secteur stratégique révèlent un certain affaiblissement de l’État au profit des entités économiques.

(Publication Chaos international)

Chaos international : http://www.chaos-international.org/
Chaos international, Centre d’Études et de Recherches Transnationalistes, est dirigé par Josepha Laroche, Docteur d’État et professeur agrégée des Universités en science politique.

Références

– Areva, « Dossier de presse. Areva en Chine », nov. 2007.
– Fossier Astrid, « Présentation générale de la société civile en Chine », Monde chinois, (19), aut. 2009, pp.9-14.
– Niquet Valérie, « Du Tremblement de terre du Sichuan aux Jeux olympiques : la Chine face aux défis politique de l’année 2008 », Asie Vision, (8), sept. 2008, en ligne, www.ifri.org/downloads/Asie_Visions_8_Niquet.pdf, consulté le 10 juillet 2010.
– Xinhuawang, « La Chine accorde avantage d’aide au Japon », 17 mars 2011, En ligne, http://french.news.cn/chine/ 2011-03/17/c_13782500.htm, consulté le 25 mars 2011.
– Xinhuanet, « 山西省红十字会开展日本地震后寻人工作 », [La Croix Rouge de la province du Shanxi déploie ses activités de recherche des rescapés japonais après le séisme], le 17 mars 2011, En ligne, http://www.sx.xinhuanet.com/jryw/2011-03/17/content_22301497.htm, consulté le 25 mars 2011.
– The Central People’s Government of the People’s Republic of China, « 日本发生特大地震后中国多部委表示向日 提供援助 » [Après le séisme, les différents ministères chinois offrent leur assistance au Japon], le 16 mars 2011, En ligne, http://www.gov.cn/jrzg/2011-03/16/content_1825560.htm, consulté le 25 mars 2011.

Jenna Rimasson

Jenna Rimasson

Jenna Rimasson est Docteure en Science Politique, diplômée de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.