Coopération internationale : la stratégie de la France dans le domaine de la santé

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I. Les engagements de la France pour la coopération sanitaire internationale

La santé est appréhendée par le Ministère des Affaires Étrangères et Européennes (MAEE) sous le sigle « BPM » (Bien Public Mondial), appelant à une mobilisation globale et coordonnée dans laquelle la France s’est très fortement engagée financièrement afin d’atteindre les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) 4 à 6 relatifs à la santé maternelle et infantile, à la lutte contre le VIH/sida, le paludisme, la tuberculose et d’autres maladies.

Lors du sommet G8 de Muskoka en juin 2010, la France a annoncé une contribution complémentaire de 500 millions d’euros pour la période 2011-2015, en plus de son engagement annuel de 300 millions d’euros. La stratégie française pour la santé des femmes et des enfants encourage l’amélioration de la qualité des soins, la prévention de la transmission mère-enfant du VIH et la lutte contre la malnutrition. Elle soutient la parité, à travers la promotion de la santé des femmes dans tout le continuum de leur vie (de l’enfance à la maternité), des droits sexuels, la lutte contre l’iniquité en défaveur des femmes, l’accès aux différents moyens de contraception et à la planification familiale, le soutient à la recherche de moyens de contraception nouveaux pour prévenir les grossesses non désirées. Ces engagements de la France se concrétisent par un canal bilatéral de 48 millions d’euros par an, permettant notamment à l’Agence française de développement (AFD) de financer des interventions pour l’amélioration de la santé maternelle, infantile et génésique.

La France est le deuxième financeur mondial parmi les contributeurs au Fonds mondial de lutte contre le VIH/sida, la tuberculose et le paludisme (FMLSPT). La stratégie française en matière de maladies transmissibles promeut la protection des personnes séropositives de la discrimination, la protection ciblée des  populations à risque et la lutte contre toutes formes de sévices et violences sexuelles, l’amélioration des diagnostics et le financement de recherches pour des nouveaux vaccins. Son engagement financier privilégie le canal multilatéral, en attribuant 360 millions d’euros par an pour le FMLSPT, 110 millions d’euros par an au profit de la facilité internationale d’achat de médicaments Unitaid et plusieurs millions d’euros via des contributions au Programme commun des Nations unies sur le VIH/sida (Onusida) et ses co-sponsors.

La France s’est mobilisée pour combler les lacunes des systèmes de santé de nombreux pays en développement, à travers le soutient d’actions pour améliorer l’accès aux médicaments, le financement de la santé, l’amélioration de la gestion des ressources humaines, des systèmes d’information sanitaire et de l’amélioration de la coordination des acteurs de la gouvernance sanitaire.

La mise en place d’agences spécialisées dans la sécurité sanitaire, telles que l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), compétente en matière d’octroi des autorisations de mise sur le marché, ainsi que des dispositifs publics de niveau international tels que l’Institut national de Veille Sanitaire (InVS), l’Institut Pasteur et l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) a vocation à intervenir au plan international à la demande des États ou de l’OMS.

 

II. Les défauts la coopération sanitaire française dans les pays en développement (PED)

Néanmoins, les limites de la coopération internationale de la France en matière de santé apparaissent à travers la diminution de la présence française pour l’amélioration des systèmes de santé des PED, la réduction du nombre d’intervenants sur le terrain et de leurs moyens matériels et humains, alors que les endémies transmissibles traditionnelles s’étendent  (le paludisme, la tuberculose et le sida tuent 6 millions de personnes chaque année dont 90% dans les PED ) et les maladies jusque-là spécifiques de l’hémisphère nord (cardiovasculaires, diabète), s’y développent, aggravant la crise sanitaire mondiale et l’accès aux soins.

Force est de constater que les besoins de santé des pays récipiendaires ne sont pas satisfaits. En effet, les progrès scientifiques ne profitent pas suffisamment aux populations pauvres vivant dans ces pays, qui n’ont que très peu de ressources à consacrer à la santé. Certains pays du Sud entament leur transition démographique et présentent aujourd’hui un taux de natalité élevé, une santé maternelle et infantile précaire et un vieillissement accéléré de la population avec leur corollaire de maladies chroniques. La nécessité de  mutations rapides dans de nombreux domaines, notamment celui de la santé, en créant de nouvelles dynamiques positives telles que l’accélération des progrès scientifiques et technologiques, contribue à creuser les écarts entre pays les plus riches et pays les plus pauvres, laissant ces derniers de plus en plus démunis.

La faiblesse de la mobilisation de ses ressources humaines

La France dispose d’importantes ressources mal exploitées qui ne lui permettent de proposer qu’une offre éclatée, concurrentielle et non structurée. Les experts français en santé publique sont très demandés à l’étranger, pour leurs conseils et leurs accompagnements dans les démarches de politique sanitaire, grâce à la longue histoire de la France en coopération sur le terrain. Le système sanitaire français compte une multitude d’acteurs difficiles à catégoriser : il s’agit d’experts ou non, provenant du secteur privé ou public, intervenant dans des domaines variés (hospitalier, la prévention, la santé publique, le management, la formation clinique et administrative), dans le cadre de la coopération bilatérale ou multilatérale et au sein de structures à statuts juridiques variés (GIP, établissement de santé, cabinet de consultance, association loi 1901, fondation privée, EPCAEF…). En outre, certaines structures n’étant pas initialement destinées à entreprendre des actions de coopération sanitaire le font tout de même, ce qui rend difficile de répertorier chaque projet et chaque mission entreprise.

L’absence de communication entre les acteurs de la coopération

La foultitude d’acteurs les place davantage dans une perspective de concurrence et de compétition qu’incités à communiquer et à partager les informations, conduisant à un manque de visibilité ne permettant pas de retour d’information ni de suivi des différentes actions entreprises et freinant l’efficacité du système de coopération. Cette dispersion de l’expérience, non mise en commun, empêche la valorisation des actions menées, ainsi que la mise en valeur du secteur sanitaire qui doit redoubler d’effort pour se maintenir.

Les difficultés à exploiter l’expertise à disposition

De nombreux pays développés ont été séduits par la qualité de l’expertise française en matière de santé, ainsi que la performance de ses coopérants techniques et ses acteurs de terrain, et ont copié le modèle français de coopération sanitaire internationale, mais en l’attribuant à des acteurs administratifs et experts internationaux. Craignant de perdre sa suprématie et son identité dans le domaine, la France demeure réticente à s’impliquer dans les politiques et stratégies sanitaires internationales. Or, le canal bilatéral semble être le meilleur moyen pour la France de se positionner et de distinguer ses avantages et son savoir faire. Elle a privilégié jusqu’en 2004 l’aide bilatérale dans les pays de sa zone d’influence, lui permettant d’acquérir un savoir faire reconnu. De plus, le système de santé français et l’originalité de sa politique hospitalière qui potentialisent cette expérience du terrain permettraient à la France d’exercer son influence au sein de la communauté internationale en articulant implication bilatérale et contribution aux programmes internationaux.

L’insuffisance et le manque de prévisibilité
des financements consacrés à la santé

La France est le quatrième pays donateur mondial, en volume, à l’aide publique au développement (APD), et le deuxième des pays du G8 en termes d’effort d’aide ramené à sa richesse nationale. La France se classe ainsi aux premiers rangs de contribution de plusieurs fonds multilatéraux importants comme le Fonds européen de développement (FED) ou le FMLSPT. L’effort français en matière de santé passe principalement par les fonds multilatéraux et seulement 2,1% de l’aide bilatérale est allouée à la santé. Ce niveau, pourtant élevé, d’engagement financier, tend globalement à reculer, puisque seulement 4% de l’APD française sont actuellement affectés directement au bénéfice de la santé contre 11% en moyenne pour les autres pays de l’OCDE. De plus, en favorisant l’orientation des financements vers le canal multilatéral, la France limite la présence de l’expertise française sur le terrain, réduisant ainsi la visibilité de l’aide et de l’action. En outre, la dichotomie entre l’AFD gérant les actions de terrain, et le MAEE chargé de la formation et de la recherche, entrave la gouvernance de cette APD, alors que la frontière entre ces deux organisations est difficile à établir, donnant même une impression de « doublons » entre acteurs et un sentiment de redondance superflue. En termes de subventions, la part de l’aide multilatérale de la France a doublé au cours des vingt dernières années mais reste trop dispersée et peu lisible. La nébuleuse d’acteurs et l’absence de retour et d’analyse sur les sommes investies ne permettent pas d’avoir le moindre aperçu sur la réalité et l’efficacité de ces dépenses.

 

III. Les propositions d’amélioration de la politique française de coopération internationale en santé

L’urgences de la situation impose de stopper le désengagement français dans le domaine sanitaire, de renforcer son action et impulser une politique de coopération technique efficace qui réponde aux besoins des populations pauvres. À cet effet, la France devrait s’engager au sein des organisations internationales sans pour autant amoindrir l’aide bilatérale. Il conviendrait de redéployer un partenariat hospitalo-universitaire avec réciprocité afin de remédier aux carences humaines dans les pays en difficultés dans la pratique médicale, la recherche et la formation. La politique de coopération internationale doit impérativement augmenter sensiblement la part sanitaire au sein de l’APD. Il serait opportun de lier l’action sanitaire à l’action éducative pour une meilleure efficacité des mesures de santé préventives. Les besoins exprimés par les populations devraient dicter la mise en place des programmes d’appui. Enfin, l’action de tous les acteurs en coopération, du secteur public et du secteur privé, laïque et confessionnel, doit être coordonnée pour mettre un terme à la cacophonie actuelle préjudiciable à la réalisation des projets.

Dans un rapport remis au ministre, Stéphane Mantion, Conseiller Général des Etablissements de Santé, a émis des propositions pour améliorer l’influence française en matière d’action internationale en santé et en protection sociale :

Il avance d’abord l’idée de regrouper en trois branches coordonnées les trois grands métiers assurés par les ministères sociaux : Travail/Emploi, Protection sociale et Santé :  Une structure propre devrait être dédiée au champ Travail/Emploi actuellement couvert par le GIP INTER et faisant l’objet d’une mission IGAS, les structures existantes dans le champ Protection Sociale devraient fusionner pour accroître son opérationnalité et répondre aux nombreux chantiers ouverts, les organismes sociaux (assurance maladie, famille, retraite) et les organismes qui en découlent (ADRECRI, GIP SPSI…) doivent rassembler leur savoir-faire et leur capacité d’intervention afin de porter cette spécificité française et offrir aux pouvoirs publics les moyens de valorisation qui peuvent apparaitre aujourd’hui morcelés, voire en concurrence, ESTHER devrait être entièrement reconfiguré (statuts, missions, moyens) pour en faire l’opérateur métier en santé des autorités françaises.

Ensuite, il suggère de mettre en place une entité « chapeau », dotée de moyens propres avec un secrétariat général permanent, chargée d’assurer le lien et la communication entre acteurs et de veiller à la mise en oeuvre de la stratégie, de recenser et de suivre, au niveau bilatéral et multilatéral, les actions de coopération, et de rédiger un rapport annuel des actions entreprises, des sommes allouées et de dresser un bilan de l’APD santé/social, – en définissant une stratégie propre aux ministères sociaux dont l’élaboration devra être assurée par la DAEI, en liaison avec les services internationaux des différentes directions et avec le MAE réunissant régulièrement les différents acteurs de la coopération sanitaire (cellules internationales des directions d’administration centrales, ONG, secteur privé, GIP, FHF, FHP, FEI, ADECRI, l’assurance maladie… sur la base du volontariat), soutenue par un appui et un portage politique fort, que le Ministre devra s’approprier, indispensables pour imposer le caractère essentiel, régalien même, d’une telle structure et pour en assurer l’influence et la pérennité.

 

Alma Benzaïd

Alma Benzaïd

Alma Benzaïd, responsable de la rubrique Santé Internationale de Grotius, est juriste (Droit public de la santé et Droit international général).