L’agriculture durable au service de la lutte contre la faim et la malnutrition 

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agroecologie au niger (projet ACF)

Aujourd’hui, un des plus grands défis pour l’agriculture demeure sa capacité à assurer la sécurité alimentaire et nutritionnelle pour une population mondiale de plus en plus croissante et de plus en plus urbanisée. Les projections des Nations Unies prévoient à plus de 9 Mrds d’habitants la population mondiale d’ici 2050. La plus forte pression sur la sécurité alimentaire et la nutrition viendrait de l’Afrique subsaharienne, région du monde qui cumule à la fois une faible productivité agricole et une forte croissance démographique.

Aujourd’hui, sur les 7 milliards d’habitants que compte le monde, plus de 800 millions souffrent de faim. À ces chiffres, il faut ajouter ceux de la malnutrition : 161 millions d’enfants de moins de 5 ans souffrent de retard de croissance, 51 millions d’enfants de moins de 5 ans sont émaciés, et plus de 2 milliards de personnes souffrent de carences en micronutriments essentiels.

Tous ces défis sont accentués par le changement climatique qui amplifie davantage les menaces qui existent déjà sur la sécurité alimentaire et la nutrition.

Les populations rurales et urbaines des pays en développement dépendent largement de la production agricole issue de l’agriculture paysanne locale pour subvenir à leurs besoins alimentaires et nutritionnels. En effet, l’agriculture paysanne produit approximativement plus de la moitié de la production agricole mondiale, dont 50 % pour les céréales, 60 % pour la viande et 75 % pour la production laitière.

Du fait de l’importance de la production agricole locale dans la sécurité alimentaire et la nutrition des pays en voie de développement, il est évident que pour aider ces pays à sortir du cercle vicieux de la faim et de la pauvreté, il est indispensable de développer les capacités productives de leur agriculture locale.

Action Contre la Faim (ACF) qui opère dans plus de 40 pays du Sud a un rôle important à jouer dans cette dynamique de développement agricole au Sud.

L’agriculture mondiale à la croisée des chemins

Autant il y a au niveau mondial une unanimité globale quant au soutien à apporter aux productions paysannes locales pour assurer la sécurité alimentaire dans les pays les plus vulnérables à la faim et à la sous-nutrition, autant il y a une divergence de vues quant au modèle ou système agricole à adopter pour lever les défis agricoles et alimentaires mondiaux.

En effet, l’agriculture mondiale est aujourd’hui à la croisée de chemins où s’affrontent deux écoles de pensées : d’un côté, les tenants de l’agriculture conventionnelle ou industrielle, et de l’autre côté les promoteurs de l’agriculture durable et de l’agroécologie.

Le modèle agricole industriel, modèle le plus dominant, repose en général sur l’usage intensif des intrants de synthèse et l’utilisation de semences hybrides et/ou transgéniques. Ce modèle se caractérise par un recours massif à des investissements privés et par la mise en concurrence des marchés mondiaux.

Ce modèle agricole, quoique dominant, est de plus en plus remis en cause. En effet, ces dernières décennies, plusieurs publications ont mis en évidence des indices de stagnation des rendements dans les régions où ce modèle a été le plus mis en avant en œuvre. Aussi, les pratiques de l’agriculture industrielle contribuent-elles à la destruction de l’environnement et des ressources naturelles ainsi qu’à l’appauvrissement des petits producteurs.

Du fait de l’impact négatif et des conséquences sanitaires, sociales et environnementales des pratiques agricoles conventionnelles, ACF plaide pour un changement de paradigme radical en faveur de l’agriculture durable et de l’agroécologie.

L’agroécologie est à la fois une discipline scientifique et un ensemble de pratiques. Comme discipline scientifique, l’agroécologie est l’application de la science écologique à l’étude, à la conception et à la gestion d’agroécosystèmes durables (1). Comme ensemble de pratiques agricoles, l’agroécologie recherche les moyens d’améliorer les systèmes agricoles en imitant les processus naturels, créant ainsi des interactions et synergies biologiques bénéfiques entre les composantes de l’agroécosystème. Mais en plus d’être une discipline scientifique et un ensemble de pratiques, l’agroécologie comprend également une dimension sociale, environnementale, économique et politique (2, 3).

Contrairement au modèle industriel, le modèle agroécologique privilégie une approche territoriale, axée sur la mise en valeur des ressources naturelles et une gestion durable et optimisée de ces ressources. En même temps qu’elle permet de préserver les ressources naturelles, l’agriculture durable allie performance environnementale, rentabilité économique et acceptabilité sociale des pratiques agricoles et des systèmes alimentaires.

La stratégie des interventions agricoles d’ACF

La stratégie des interventions agricoles d’ACF (4) fonde ses principes sur le modèle de l’agriculture durable et de l’agroécologie. Quatre objectifs stratégiques sont définis dans le cadre de cette stratégie :

1. Assurer la relance agricole suite à des crises

2. Renforcer la résilience des petits producteurs et des systèmes agro-sylvo-pastoraux

3. Permettre l’accès à une consommation alimentaire diversifiée

4. Développer le plaidoyer en faveur de l’agriculture familiale

ACF met en avant l’agroécologie au cœur de sa stratégie des interventions agricoles parce que l’agroécologie est le modèle agricole le plus à même d’assurer, de manière durable, la sécurité alimentaire et la nutrition des populations les plus vulnérables. En effet, l’agroécologie fournit les fondements d’une production agricole et alimentaire durable respectueuse de l’environnement, économiquement performante, porteuse d’un développement humain attaché à la sécurité alimentaire, à la nutrition et à la santé des populations. En tant qu’approche globale, l’agroécologie implique toutes les sphères de l’organisation sociale : sécurité alimentaire, nutrition et santé, environnement et lutte contre les changements climatiques et enfin développement économique et social.

  • Sécurité alimentaire

Plusieurs études et publications scientifiques (5, 6, 7) mettent en exergue le rôle potentiel de l’agroécologie comme alternative crédible pour réaliser les quatre dimensions de la sécurité alimentaire (disponibilité, accès, utilisation et stabilité). Les pratiques agroécologiques permettent ainsi d’augmenter les rendements, souvent même mieux que les pratiques de l’agriculture conventionnelle, ce qui fournit des solutions alternatives et locales aux questions de la sécurité alimentaire, permettant ainsi aux communautés de devenir plus autonomes et autosuffisantes en termes de sécurité alimentaire, particulièrement dans les régions du monde où la sécurité alimentaire des ménages dépend exclusivement de leur propre production.

  • Agroécologie, nutrition et santé

La forte spécialisation mise en avant par l’agriculture conventionnelle a conduit au développement des systèmes de monoculture qui a permis d’améliorer les rendements de cultures céréalières, riches en hydrates de carbone mais pauvres en micronutriments essentiels à une meilleure nutrition. Ce qu’apporte l’agroécologie, c’est justement la diversification de la production agricole et animale, répondant ainsi aux enjeux de la faim cachée et des carences en micronutriments. La diversification des activités liée à l’agroécologie permet ainsi de fournir une alimentation plus diversifiée, plus équilibrée et plus saine aux familles paysannes et aux foyers vulnérables. La production issue de l’agroécologie représente ainsi un gage de qualité alimentaire et nutritionnelle pour les consommateurs, car elle met à leur disposition des aliments sains, nutritifs et localement disponibles. Aussi la réduction de l’utilisation des intrants chimiques que préconise l’agroécologie permet d’éviter les risques sanitaires pour les producteurs et les consommateurs.

  • Agroécologie, environnement et lutte contre le changement climatique

L’agroécologie contribue à la préservation de l’environnement et des ressources naturelles par la provision d’un nombre de services écosystémiques dont l’habitat pour la biodiversité animale et végétale, le maintien de la diversité génétique, la gestion optimisée de l’eau agricole, la fertilisation organique des sols, la lutte contre la désertification, la restauration des terres, etc. Par exemple, la conduite intégrée des cultures et élevages permet une valorisation et une optimisation des ressources naturelles et des facteurs de production et la réduction de l’utilisation des intrants de synthèse (souvent coûteux). Ce qui permet en outre de renforcer la résilience des agroécosystèmes face au changement climatique aussi bien en augmentant les puits de carbone dans la matière organique du sol et dans la biomasse qu’en réduisant les émissions de CO2 et d’autres gaz à effet de serre (8).

Agroécologie et développement économique et social

La mise à l’échelle des pratiques de l’agroécologie représente de potentielles opportunités d’emplois dans les zones rurales et urbaines des régions qui cumulent à la fois une forte croissance démographique et un fort taux de chômage au sein de la population active. Selon la diversification des activités générées par l’agroécologie, cela peut se traduire par un accroissement des emplois en amont et en aval de la production agricole.

Les emplois ainsi créés permettent de diversifier les sources de revenus, de juguler l’exode rural et amorcer le développement économique des territoires ruraux, engendrant par ricochet le développement économique de secteurs et d’acteurs autres que ceux directement concernés par la production agricole. Aussi, les filières courtes d’approvisionnement mises en avant par l’agroécologie rendent les consommateurs moins vulnérables aux fluctuations des prix des denrées alimentaires, souvent liées aux fluctuations des prix de l’énergie. En plus d’apporter le développement économique, l’agroécologie représente aussi un levier majeur de développement de la dynamique des territoires et de renforcement du tissu social (9).

Il est aujourd’hui unanimement admis qu’il y a un besoin clair et urgent pour une réorientation du développement agricole vers des systèmes de production agricole et alimentaire plus durables.

Puisque cette transition a un coût, il est absolument nécessaire d’accompagner cette transition par des mesures de soutien et d’accompagnement.

Dans ses zones d’interventions, ACF accompagnera cette transition agroécologique à travers la mise en place de partenariats avec des acteurs locaux et internationaux sur l’agroécologie. En effet, le soutien à des mouvements paysans ainsi qu’aux ONGs et organisations de la société civile impliqués dans l’agroécologie apparaît comme une nécessité pour que progresse le droit à une alimentation et une souveraineté alimentaire durable et respectueuse des êtres humains et de l’environnement.

Pour que l’agroécologie ait l’espace politique nécessaire pour son développement, ACF travaillera à sa promotion par un plaidoyer basé sur des évidences et argumentaires qui mettent en valeur les atouts et les potentiels de l’agroécologie. Ce travail de plaidoyer vise à influencer les décisions politiques publiques pour que l’agriculture familiale et l’agroécologie soient remises au cœur des stratégies de sécurité alimentaire et nutritionnelle des pays auprès desquels ACF intervient.

Il existe plusieurs passerelles entre l’agriculture et la nutrition qui montrent que l’agriculture peut avoir des impacts positifs et des impacts potentiellement négatifs sur la nutrition. ACF fera en sorte que les pratiques agroécologiques mises en œuvre dans le cadre de ses programmes agricoles maximisent les impacts positifs de l’agroécologie tout en atténuant les potentiels impacts négatifs. L’opérationnalisation de la stratégie agricole d’ACF se fera donc par le développement de programmes d’interventions agricoles durables et sensibles à la nutrition.

 

(1) Assessment of Agricultural Knowledge, Science and Technology for Development (IAASTD), 2009.
(2) Levard L. et Appolin, F., 2013. Répondre aux défis du XXIème siècle avec l’agroécologie : pourquoi et comment ?

(3) Stassart P.M., Baret Ph., Grégoire J-Cl., Hance Th., Mormont M., Reheul, D., Stilmant D., Vanloqueren G., Visser M. 2012. L’agroécologie : trajectoire et potentiel pour une transition vers des systèmes alimentaires durables.
(4) ACF, 2014. Stratégie des interventions agricoles d’ACF.
(5) Egal, C., 2012. Food security in Sub-Saharian Africa : is a rupture in the agricultural model needed ? IDDRI Policy Brief 4 Mars 2012.
(6) Pretty J., Noble A.D., Bossio D., Dixon J., Hine R.E., Penning De Vries F.W., Morison J.I., 2012. Resource-conserving agriculture increases yields in developing countries.
(7) Pretty J., 2006. Agroecological approaches to agricultural development. World Bank, Washington DC.

(8) UNCTAD, 2013. Wake up before it is too late: Make agriculture truly sustainable now for food security in a changing climate.
(9) Berton S., Billaz R., Burger P., Lebreton A., 2013. Agroécologie, une transition vers des modes de vie et de développement viables. Paroles d’acteurs.

Bader Mahaman Dioula

Bader Mahaman Dioula

Bader Mahaman Dioula, agronome de formation est référent agriculture durable au sein du secteur Sécurité Alimentaire & Moyens d’Existence d’ACF-FR. Avant ACF, Bader a travaillé comme Coordinateur Afrique à la Fédération Internationale des Producteurs Agricoles (Ex FIPA), chercheur à l’INRA de France et l’université d’Agriculture d’Athènes.

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