Le monde humanitaire devra prendre acte des leçons d’Haïti

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Le séisme ayant frappé Haïti en 2010 restera, à plus d’un titre, un événement de portée exceptionnelle. D’abord par son ampleur dévastatrice dans un pays déjà à bout de souffle, mais aussi en raison des nouvelles méthodes utilisées pour sauver des vies. Les nouvelles technologies ont été centrales pour diffuser et recueillir des informations vitales aux opérations de secours et de distribution de l’aide. Cette leçon haïtienne aura des conséquences pour la gestion de l’information dans les futures crises humanitaires.

La gestion de l’information après le tremblement de terre en Haïti marque un tournant dans la gestion des crises humanitaires, notamment grâce à l’utilisation des nouvelles technologies.

La participation, sur place ou à distance, de la communauté des nouvelles technologies, a fait d’Haïti un véritable laboratoire d’essai pour les nouveaux outils de communication. Dès janvier 2010, les secouristes ont utilisé des technologies innovantes, de façon inédite : les cartes interactives ont aidé à guider les sauveteurs vers les victimes dans les zones sinistrées et la diffusion de SMS a permis de fournir des informations essentielles aux Haïtiens. Les compagnies de téléphone mobile, les groupes de secours et les médias ont créé et utilisé le code 4636 pour envoyer des messages à des dizaines de milliers de personnes, notamment sur des questions centrales de santé publique.

L’interactivité du système de SMS a permis de connaître l’avis des Haïtiens sur l’aide humanitaire. Ils ont, par exemple, pu poser leurs questions et écouter les réponses à la radio, notamment à travers le programme de radio quotidien ENDK, Enfomasyon Nou Dwe Konnen (les informations que vous devez savoir) produit par Internews depuis le 21 Janvier 2010 et qui atteint 70% de la population urbaine de Port-au-Prince ainsi qu’une partie de la population dans les provinces.

Le rapport « Médias, systèmes d’information et communautés : leçons haïtiennes », publié par la Fondation Knight et produit par Internews à l’occasion du premier anniversaire du tremblement de terre en Haïti, démontre l’importance de l’utilisation des nouvelles technologies dans la gestion des crises humanitaires tout en faisant des recommandations pour leur future utilisation. En effet, après avoir utilisé les nouvelles technologies de manière expérimentale, les humanitaires doivent maintenant réfléchir à la façon la plus rationnelle, la plus coordonnée de les utiliser lors des opérations de secours.

La taille et le contexte urbain de la crise ont conduit la majorité des organisations humanitaires à négliger l’implication des bénéficiaires dans l’identification de leurs besoins pendant les premières semaines, comme le souligne Christophe Gadrey, responsable pour Haïti à la direction générale ECHO, dans un article de la publication Collected reflections.

Pourtant, malgré ses défis, ses réussites et ses défauts, la crise en Haïti est la première situation d’urgence où le monde humanitaire a tenté de communiquer avec les populations affectées et leur fournir les informations vitales d’une manière plus systématique et coordonnée. Un groupe de travail humanitaire inter-agence a vu le jour sous le nom de CDAC, Communicating with Disaster-Affected Communities (Communiquer avec les Communautés sinistrées) qui a permis la coordination des informations et la diffusion d’un message unique. En effet, depuis quelque temps, les organisations humanitaires prennent de plus en plus en compte l’importance de l’information et la nécessité de communiquer avec des communautés sinistrées dans les situations de crise. Elles sont maintenant capables d’identifier clairement les principales préoccupations de la population en matière de centre de soin ou de point de distribution d’eau. Pourtant, elles ne connaissent pas les priorités de la population en termes d’information ou l’effet de l’information sur les populations affectées.

Pour pallier ce manque, Internews a lancé en février 2010 des études d’audience qui permettent d’identifierces besoins. Des chercheurs haïtiens, formés aux techniques d’étude d’audience, ont collecté et analysé des masses d’information. Le résultat a permis d’alimenter en sujets la rédaction du programme radio ENDK mais aussi d’informer le monde humanitaire des préoccupations de la population. Par exemple, en février 2010, la principale crainte de la population était la distribution de nourriture et l’éducation mais en mars les personnes interrogées étaient plus préoccupées par les répliques sismiques ou la possibilité d’un nouveau tremblement de terre.

Les nouvelles technologies ont démontré leur potentiel pour les crises futures mais elles ont aussi montré leurs limites. Une des recommandations du rapport de la fondation Knight est que les messages de la communauté humanitaire et les SMS ne suffisent pas. Il est nécessaire de maintenir un dialogue entre la communauté humanitaire et la population sinistrée, notamment à travers les media locaux auxquels la population fait confiance et à travers d’autres intermédiaires, comme les mobilisateurs communautaires et les chefs religieux. Ce dialogue permet de s’assurer que les besoins en information des populations sinistrées sont pris en compte et qu’elles peuvent ainsi participer au processus de reconstruction et guider les actions de la communauté humanitaire.

Si un changement doit avoir lieu, plus de ressources, de formations et d’expertise vont être nécessaires pour faire du dialogue avec les populations affectées une pratique humanitaire majeure.

Internews Europe est une organisation non gouvernementale européenne de soutien aux medias indépendants, fondée en 1995, dont la mission est de soutenir la liberté d’expression et le droit à l’information dans les pays en voie de développement. (www.internews.eu)

Mark Harvey

Mark Harvey

Mark Harvey est le Directeur Executif d’Internews Europe.

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