Le prudent démarrage du volontariat de réciprocité Sud-Nord

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refugies nigerians
©ECECHO/Anouk Delafortrie
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©ECECHO/Anouk Delafortrie

Depuis 2010, des jeunes engagés dans le service civique en Afrique de l’Ouest ou ailleurs dans le monde ont le droit de venir en France. On met en avant la notion de réciprocité. Il faut dire que la situation sécuritaire au Sahel ne permettait plus vraiment aux jeunes français d’aller au Mali ou au Niger. Le volontariat international des jeunes en sens inverse pourrait devenir une occasion faire évoluer les pratiques vieillissantes de la coopération Nord-Sud. Mais les acteurs associatifs du Nord y sont-ils prêts ?

Certains se sont lancés dans l’aventure du volontariat de réciprocité. Dans le principe, c’est une avancée, mais cela coûte cher et dans le fond, on attend bien un retour sur investissement. En théorie, les acteurs de la Solidarité Internationale que sont les associations, les ONG et les collectivités territoriales françaises engagés à l’étranger y sont favorables, mais il manquait un cadre juridique. La possibilité de volontariat international pour les jeunes du sud a été concrétisée par la loi du 10 mars 2010 qui a créé le statut du Service civique. Désormais, des jeunes âgés de 16 à 25 ans, et sans condition de nationalité peuvent effectuer une mission de volontariat sur le territoire national. Néanmoins, il faut provenir d’un pays qui accueille habituellement les volontaires français.

Au Sud aussi un cadre juridique et une entité de référence s’imposaient. Dans le cas du Mali, tout passe aujourd’hui par le Centre national de Promotion du Volontariat (CNPV). Cette structure a été créée lors de l’état des lieux du volontariat en 2008, avec l’appui de l’association France Volontaires. Le directeur du centre, Ibrahim Ag Nock, explique que son lancement a pris un peu de temps : «si le projet est opérationnel depuis janvier 2010, il a fallu attendre la mise en place d’un cadre réglementaire intervenu en 2011 avec deux lois édictées le même jour, en juillet2011, l’une instituant le volontariat et l’autre, créant le CNPV ». Les missions de ce centre consistent donc à élaborer la politique nationale de volontariat au Mali, à rechercher des synergies avec les organisations similaires comme France Volontaires, et plus concrètement, à recruter, former, gérer les volontaires en partenariat avec les acteurs associatifs qui les accueillent.

Le cadre existe mais il faut des partenaires

Une fois en place, le cadre fonctionnel et institutionnel de la réciprocité entre la France et le Mali permet enfin de lancer les premières initiatives. L’association France Volontaire a enclenché tout naturellement un programme pilote intitulé « Réciprocité » visant à concrétiser la mobilisation et la mobilité de jeunes maliens et nigériens sur des missions de service civique au sein de collectivités territoriales françaises ou d’associations de solidarité ou éducatives. La notion de réciprocité s’est installée peu à peu dans le vocabulaire des acteurs de la solidarité en Europe, mais elle ne s’impose pas d’elle même. Jean-Loup Capdeville, Directeur du Pôle Réseau à France Volontaires précise que «l’idée de réciprocité et de faire venir des jeunes est dans l’air du temps puisque l’on s’interroge sur la validité du cadre et les modalités de la coopération entre le Nord et le Sud, encore très marquées par une forme d’assistance. D’autre part, ça coïncide avec la demande de revoir les rapports Nord Sud par des pays comme le Brésil et la Chine, qui demandent l’équivalence, et cela va dans le sens de l’histoire ».

Mais bien souvent, il faut un peu plus pour concrétiser des idées : « en réalité, l’idée de réciprocité est permise par une double situation: si d’une part la possibilité est aujourd’hui donnée de faire venir des jeunes du sud, d’autre part, c’est la conséquence du retrait de tous les volontaires envoyés au Sahel sous divers statuts » indique Jean-Loup Capdeville. Un fait qui aurait pu conduire à l’échec le tout nouveau CNPV du Mali, qui a pourtant passé le cap, estime Ibrahim Ag Nock : « Nous avons continué de cheminer avec France Volontaires après l’arrêt technique des partenariats et le rapatriement des volontaires français pour raisons de sécurité. C’est ce qui a amené ensuite à proposer une alternative matérialisée par le volontariat Sud-Nord. Depuis, nous avons pu envoyer le premier contingent. »

Cependant, les ambitions ont dû être revues à la baisse : la décision a été prise seulement au moment où les initiateurs du programme étaient sûrs que tout se passerait au mieux entre les structures d’accueil au Nord et au Sud impliquées dans le projet. France Volontaire s’est donc concentrée sur ses partenaires les plus proches dans cette phase-test, avant de l’ouvrir à l’ensemble de ses membres c’est à dire, aux organisations d’éducation populaire, aux associations, aux ONG, aux collectivités. Pour Jean-Loup Capdeville: « l’objectifde faire venir 30 volontaires était difficile à tenir pour plusieurs raisons: d’une part, les difficultés à trouver des partenaires aptes à les accueillir, et d’autre part, en raison des coûts (billets d’avion, logement, moyens de travail, de transports, frais pédagogiques, sans compter un complément pour la couverture de la sécurité sociale) ».

Les premiers volontaires sahéliens en France

Ils sont sept : une nigérienne, six malienne et maliens pour des missions de 6 à 10 mois. Les premiers sont arrivés en août et septembre 2012. Certains sont repartis début mars 2013. Leur séjour sur le sol français aura débuté immédiatement par un stage d’accueil et d’immersion au siège de France Volontaires en septembre 2012. De là, ils ont rejoint les diverses structures et organisations aux caractéristiques très variées: les Compagnons du Devoir et du Tour de France, l’Association Ile et Vilaine Mopti, la Fédération départementale des Maisons Familiales et Rurales d’Ile et Vilaine, l’association Action Mopti à Maurepas dans ls Yvelines et le Foyer socio-éducatif du Lycée Hilaire de Chardonnet (Bourgogne). « On ne connaissait pas les jeunes », indique Didier Ouedraogo, tuteur de deux jeunes maliens venus en mission à Maurepas, dans le département des Yvelines. «On avait leur pedigree, leur parcours intellectuel et en fin de compte leur engagement avec notre structure là-bas. Mais nous avons fait confiance à notre équipe sur le terrain là-bas, qui a fait la sélection avec le service civique malien ».

Leurs curriculums correspondent aux demandes et aux intérêts des associations qui les reçoivent, qui ont tendance à exiger des niveaux élevés. « On espère pouvoir élargir avec un large panel de profils, ce qui n’est pas évident, car les associations et les collectivités veulent des profils forts, voire « super-forts » constate Jean-Loup Capdeville. « Nous avons un souci de diversification dans le sens d’une plus grande mixité sociale ». Assetou cherchait à s’engager. Spécialisée en communication des entreprises, elle a effectué sa mission à Maurepas avec l’Association Action Mopti. Elle n’a pas eu le sentiment qu’on exigeait d’elle un profil spécifique, mais bien de la motivation: « c’est ça qui compte. Ce sont eux qui ont choisi ensuite nos affectations et nos missions ».

Si la plupart ont des parcours universitaires niveau Bac +5, au moins deux des engagés « ont des niveaux BAC, voire moins » : ils sont forgerons et ont été invités par les Compagnons du Devoir et du Tour de France dans une perspective d’échange de techniques et de formation complémentaire. A tous les niveaux, par leur présence, ces jeunes à qui l’on demande des initiatives apportent un appui à l’animation et au renforcement des partenariats, par exemple entre les MFR (le réseau des maisons familiales rurales et le département 31), ou l’Association Ile et Vilaine Mopti, et dans les actions d’Éducation au Développement (EAD).

La jeune volontaire reçue par le Foyer socio-éducatif du Lycée Hilaire de Chardonnet est impliquée essentiellement dans la sensibilisation aux réalités nigériennes dans les écoles. « Les tuteurs disent qu’en terme de témoignages, ce qui est dit par un sahélien est bien plus recevable par les gens. Ils sont des ressources à ce niveau » observe Jean-Loup Capdeville. « Nous sommes une interface, nous avons un rôle d’ambassadeurs », exprime Assetou, l’une des deux jeunes filles du projet. «Ce qui me touche le plus, c’est que les personnes sont intéressées par ce qui se passe au Mali. Cela me met à l’aise dans ma mission. Cela m’aide à donner une image positive du Mali car certains ont des clichés. Le fait d’être volontaire permet de faire des ponts, de montrer les différences».

Comment est construite la mission du volontaire ?

Le volontariat est aménagé en trois séquences. La première se déroule dans leur pays, pilotée par le Centre National de Promotion du Volontariat pendant les deux à quatre mois précédant leur départ. Elle comprend un stage de préparation au changement d’environnement culturel. Ils sont alors sous le statut de volontaire nationaux tout comme à leur retour où, pour la dernière séquence, ils mettront en oeuvre leurs acquis. Ces temps sont nommés périodes d’« immersion » et de « restitution » durant lesquelles le CNPV Mali prend en charge leurs allocations et les coûts. Entre-temps, les jeunes auront passé en France une période de volontariat international variant de 6 mois à 1 an. Les premiers sont arrivés en août-septembre 2012 et on commencé à repartir dès le mois de mars. Ils se présentent à leur retour à l’ambassade de France pour garantir aux organismes la conformité de la mission à son terme et la réalité de leur retour au pays. Pendant leur séjour en France, ils sont sous contrat avec l’Agence du Service Civique, qui prend en charge le billet d’avion, leur indemnité forfaitaire mensuelle (475 euros). Ensuite les associations dans lesquelles ils effectueront une mission doivent prendre en charge tous les autres coûts, qui sont importants (logement, niveau de vie, frais pédagogiques, sécurité sociale).

C’est donc un processus long et contraignant sur tous les plans : administratif, financier, logistique, légal. Didier Ouedraogo estime que l’effort est conséquent et que rien ne peut-être laissé au hasard : « Il fallait prévoir un budget de 5000 euros pour chacun des volontaires, ce que toutes les associations ne peuvent pas toujours supporter. On doit payer le logement, leurs transport, leur alimentation, on s’occupe de leur niveau de vie. Le bénévolat dans l’association Action Mopti a été une aide, tout le monde s’est mobilisé pour améliorer leur quotidien. Ce n’est pas donné et les jeunes sont conscients de cela, il faut que cela soit rentable. Mais en fin ce compte, le plus, c’est que cela aide à modifier le regard porté sur les anciennes colonies, le rapport Nord-Sud ». L’encadrement doit être constant et le tuteur doit renouveler leurs activités, en rapport avec leur mission, mais cela ne soucie pas Didier Ouedraogo : « Nous sommes implantés à Maurepas, nous avons la connaissance des structures à Maurepas, Montigny le Bretonneux. Cela nous a permis d’organiser facilement le séjour des jeunes ». Les relations avec la mairie de Maurepas et le réseau des médiathèques de l’agglomération de St Quentin permet ces opportunités.

« C’est très formateur » pense Didier Ouedraogo. « Il ont été surpris par l’accueil qui leur a été fait, de la qualité des rapports avec les gens, ils ont été acceptés partout et ont été acteurs en même temps. Ils ont aussi donné, apporté des nouveautés à ceux qui les rencontrent, ils prennent des initiatives. Dans chaque lieu où ils passent. » Le tuteur observe que le premier avantage pédagogique de la venue en France de ces jeunes permet de comprendre «d’où l’on vient, et de comparer. On a échangé sur l’avant et l’après et ils appréhendent mieux ce qui se passe au Mali en venant en France. On sort et on comprend. Sur le plan professionnel, ils gagnent aussi en « adaptabilité », en nouvelles compétences, en qualités managériales ». L’expérience vise la professionalisation : « Le volontariat des jeunes est une occasion de former un peu plus loin ces jeunes, dans un cadre très réglementé » confirme Ibrahim Ag Nock qui regarde l’opération depuis le Mali. Jean-Loup Capdeville rappelle le sens de la mission du volontaire international : «Au retour, ils devront restituer leur expérience, et même parfois, ils voudront s’engager dans le développement de leur pays. Idéalement, il ne s’agit pas d’un simple séjour formateur, mais aussi d’un apport de compétences.»

Vient ensuite la question de l’intérêt d’une telle opération pour les promoteurs et partenaires. Pour justifier l’effort et passer à la vitesse supérieure, c’est à dire faire venir une trentaine de volontaires en 2013 dans un programme d’une durée de deux ans, comme le souhaitent l’association France Volontaire et le CNPV du Mali, il faudra que le bilan soit réellement positif. Celui-ci aura à mettre en lumière l’intérêt, les difficultés et les conditions de réussite du volontariat Sud-Nord . « Je ferai le tour après leur départ pour voir s’il faut changer. Au niveau organisationnel, il faut que l’on sache ce que ça nous a rapporté » annonce Didier Ouedraogo. « Les jeunes de leur côté doivent aussi produire un bilan et élaborer un projet de retour au pays parce qu’ils doivent réintégrer leurs structures d’origine. » L’évaluation est en cours: une réunion d’étape s’est tenue en janvier 2013 avec les tuteurs et les volontaires relative aux relations avec les structures d’accueil mais aussi les perspectives d’ici la fin des missions et au retour. France Volontaire, qui n’est pas la seule organisation à s’être lancée dans le volontariat de réciprocité, envisage un travail de capitalisation avec Développement sans Frontières, qui accueille de son côté 15 jeunes tunisiens, et le réseau Cotravaux qui lui, accueille 10 volontaires venus d’Inde, d’Indonésie, du Vietnam et de Corée.

L’évaluation sera menée avec un bureau extérieur qui se penchera sur ces expériences en termes de formations, apprentissages, intérêt de la démarche, aspects administratifs. Pleinement convaincu, Ibrahim Ag-Nock dont le CNPV possède une base de données de 20 000 candidatures, espère que l’expérience continuera : « C’est ce qui permet d’impulser d’une autre façon du développement local car l’action des volontaires sur le terrain aide à une meilleure appropriation des acquis pour les projets et les programmes de développement. Ces synergies permettent surtout de rééquilibrer les rapports Nord-Sud ».

1) Volontariat de solidarité internationale (VSI), Service Civique (SC), volontaires des délégations catholiques de la coopération comme le Service de coopération et de développement (SCD), ceux de la Délégation Catholique pour la Coopération (DCC) et les volontaires transitant par la Guilde du Raid.

2) L‘Agence du Service Civique a en charge le pilotage et la gouvernance du nouveau dispositif lancé en 2010. Ce Groupement d’Intérêt Public (GIP) réunit l’État, l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (ACSé), l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (INJEP) et l’Association France Volontaires.

 

 

Alain Bleu

Alain Bleu

Alain Bleu est diplômé du Master professionnel en « Conception de projets en coopération internationale »de l’Université de Poitiers / laboratoire de recherche Migrinter. En 2011, il a participé au lancement d’un programme mené par l’Institut Panos Paris (IPP) sur la couverture médiatique des migrations à destination des journalistes de sept pays européens et africains. IL est actuellement journaliste indépendant.