Le Sommet Humanitaire mondial : rendez-vous politique ou début d’une nouvelle ère ?

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L’Action humanitaire a connu depuis plusieurs siècles des évolutions considérables : l’adoption des principes d’action et de normes a rythmé l’actualité de ce secteur d’activité qui à juste titre est devenu un des plus médiatisés au sein de la société internationale. Malheureusement les crises et catastrophes n’ont pas fini de faire des ravages. En Afrique notamment, les prévisions sont alarmantes pour l’avenir.

Dans ce contexte préoccupant, l’Organisation des Nations Unies se propose d’organiser un Sommet Humanitaire Mondial (chose qui plairait sans doute à Henry Dunant) en 2016 à Istanbul en Turquie. Depuis bientôt deux ans, des consultations sont engagées dans tous les coins de la planète à cet effet.

En tant que première initiative de cet ordre, cette rencontre internationale arrive au moment opportun parce que les oppositions, les revendications au sein du système humanitaire mondial et les résultats mitigés des opérations humanitaires divisent la classe des acteurs en deux blocs. Il y a d’une part celui des acteurs du « Nord » que sont les organisations humanitaires internationales et onusiennes. C’est ce groupe qui fixe les règles dans le secteur humanitaire. Les acteurs du « Sud » quant à eux sont les États et les organisations humanitaires locales dont les pays sont les principales victimes des crises et autres catastrophes. Sachant que chaque partie abordera cette conférence selon ses intérêts, nous pouvons aisément imaginer la qualité des échanges prévus à Istanbul.

Ce rendez-vous international est l’occasion pour l’Afrique d’apporter une autre lecture du système humanitaire contemporain. Il implique des enjeux d’une importance capitale. Plusieurs questions peuvent à cet effet être posées.

Que pourraient attendre les pays du « Sud » de ce sommet ?

Le Sommet International Humanitaire pour la plupart des acteurs africains spécifiquement est une opportunité de proposer une autre gouvernance de l’Action Humanitaire. En effet, bien que le continent soit dévasté par des crises et des catastrophes naturelles, il faut reconnaître qu’il a une place négligeable dans le système humanitaire international. Les instances de décision, les mécanismes de financement des opérations humanitaires, les codes et les normes qui régissent ce secteur d’activité sont élaborées, implémentées sans réellement tenir compte de ce qu’on peut considérer comme la contribution de l’Afrique.

Le Sommet International Humanitaire est l’occasion de se faire entendre. D’ailleurs son objectif principal est de faire participer tous les acteurs à la construction d’un nouvel édifice humanitaire international :

« Le Sommet humanitaire mondial est un projet qui s’étale sur plusieurs années et qui vise à examiner les nouveaux défis et enjeux inhérents au système humanitaire au niveau global. Le sommet est convenu d’explorer de nouvelles structures, priorités et stratégies pour le futur (1). »

Voilà une présentation qui illustre bien les défis autour de ce sommet international et justifie la mobilisation des États africains sur cette question. En effet, en plus des consultations prévues par le comité d’organisation de ce sommet, l’Union africaine a mis en œuvre un processus de consultation dans toutes les régions du continent en vue de préparer une position africaine. On peut citer la consultation pour l’Afrique de l’Est, l’Afrique australe du 27 au 29 mai 2015 en Afrique du Sud, la consultation de Yaoundé du 12 au 14 août 2015.

De toutes ces consultations, il ressort la question de l’autonomisation de l’Humanitaire en Afrique et la nécessité de la mise en place d’une dynamique humanitaire locale efficace. On ne saurait continuer à penser l’Action humanitaire en faisant abstraction des acteurs africains. On pourrait de ce fait s’attendre à ce que des mécanismes régionaux de financement soient créés pour impulser des initiatives humanitaires locales fortes. Il est grand temps que les acteurs du « Sud » contribuent à la construction de la pensée humanitaire, en produisant de la documentation sur les approches humanitaires locales et une lecture africaine de l’Action Humanitaire.

On pourrait s’attendre en somme à ce qu’au lendemain de ce sommet, les pays du « Sud » existent en tant qu’acteurs et non uniquement bénéficiaires de l’assistance humanitaire internationale.

La volonté de l’Union africaine d’élaborer un document unique pour l’Afrique suscite néanmoins des interrogations sur l’implication réelle de tous les acteurs dans nos pays. Au Cameroun par exemple, la participation de la société civile à la consultation pour l’Afrique occidentale et centrale à Abidjan en juillet 2014 est critiquable, car une seule organisation y était présente. Les consultations tenues en août 2015 à Yaoundé n’ont pas été relayées et les résolutions de cette rencontre ne sont pas publiées. Il y a en effet beaucoup à craindre de cette dynamique.

Qu’y a-t-il à craindre de ce sommet ?

Il faut effectivement déplorer la faible représentativité des organisations de la société civile dans ces consultations régionales censées mener à l’adoption d’une position africaine commune lors de ce sommet à Istanbul. Il est difficile de croire que les préoccupations et les aspirations de tous les acteurs soient prises en compte dans un tel contexte. Par ailleurs, la dynamique humanitaire au Cameroun impliquant très faiblement les acteurs locaux, qu’il nous soit permis d’être dubitatifs sur les critères de sélection utilisés.

Il faut de ce fait craindre que l’objectif de faire participer tous les acteurs ne soit pas atteint et que les résolutions prises n’abordent pas en profondeur les réalités locales. Le premier indicateur de participation populaire pour des exercices tels ces consultations est la communication, et on pourrait avoir des choses à dire à ce sujet. Est-ce vraiment l’opinion des acteurs dans leur grande majorité qui est présentée ?

Il a été évoqué à Arusha (2) en juillet dernier la mise en place d’une Agence humanitaire africaine qui serait chargée de la coordination et de la gestion de l’humanitaire en Afrique. C’est une proposition intéressante, mais il faut craindre qu’elle ne soit plus politique que pratique. La mise sur pied d’une telle agence (qui s’étendra certainement sur plusieurs années) est une bonne initiative pour l’argumentaire de ceux qui pensent qu’il faut plus d’argent dans le système humanitaire. Nous pensons qu’une telle organisation devrait être le fruit de la mise en commun des dispositifs nationaux. Comment envisager une agence humanitaire africaine dans un contexte où les dynamiques locales sont faibles ? L’impulsion doit venir du local et non l’inverse.

Les chiffres sont alarmants dans les zones de crises en Afrique et il n’y a pas de temps à perdre avec les démarches politiciennes. Il faut craindre que ce sommet ne soit malheureusement qu’un rendez-vous pour des discours. Les réalités humanitaires locales doivent être rigoureusement remises en cause. La responsabilité des États doit être interpellée. Pourquoi ne pas élaborer des outils de pression sur les États qui ne structurent pas de dispositif humanitaire réel ?

À titre illustratif, au Cameroun par exemple, on ne peut trouver des informations sur la situation humanitaire du pays que dans les sites internet et rapports des organisations humanitaires internationales présentes sur le terrain. Rechercher ces informations élémentaires sur le site de la Direction de la protection civile chargée de coordonner ces activités humanitaires est peine perdue. Comment expliquer de tels paradoxes ? Nous craignons que ce sommet ne pose pas les vraies questions, notamment celles de la capacitation des États et de la société civile, qui pourront permettre l’émergence d’un système humanitaire africain autonome.

Le système humanitaire international met en jeu des intérêts considérables. Il y a lieu de craindre que les résolutions de ce sommet soient dictées par les bailleurs de fonds dans le souci de maintenir le système global dans sa configuration actuelle. Plusieurs prises de position placent le besoin de capitaux comme principal problème du secteur humanitaire. Nous ne sommes pas pessimistes, mais l’observation des Relations Internationales montre que là où les intérêts financiers se rencontrent, les questions éthiques n’ont pas de place. La problématique du financement est capitale dans le système humanitaire et il serait naïf de croire qu’elle peut être reléguée en seconde position lors de ce sommet.

En tant qu’analystes des questions humanitaires, nous craignons que ce secteur d’activité ne perde quelque chose de sacré après ce sommet : son « caractère apolitique (3) », car nous percevons l’organisation de ce premier sommet comme la dernière étape vers la « politisation complète de l’action humanitaire ». Il y aura certainement un agenda post Istanbul, nous sommes curieux de voir comment cet agenda va préserver la spontanéité qui caractérise l’action humanitaire.

L’organisation de ce sommet est sans aucun doute un grand moment dans l’histoire de l’Action Humanitaire, et il est légitime de fonder beaucoup d’espoir dans ce rendez-vous en tant qu’Africains. Les besoins humanitaires étant croissants dans ce continent, nous aspirons à un autre système humanitaire, on pourrait donc attendre un changement de paradigme dans ce secteur après ce sommet. Il ne faut cependant pas oublier que les Relations Internationales obéissent à des réalités parfois inavouées qui fragilisent les motivations éthiques de ce type de rassemblement, nous pouvons donc craindre que ce sommet ne soit plus politique que pratique.

Sans toutefois être pessimistes, nous croisons les doigts pour que les motivations nobles qui entourent l’organisation d’un tel sommet en 2016 soient maintenues et ouvrent la porte à une nouvelle ère dans l’Action Humanitaire. C’est un impératif, car la souffrance d’une seule personne est un échec pour toute l’humanité.

 

(1) Catérina Luciani, discussion en ligne des résultats des consultations régionales pour l’Afrique occidentale et centrale, le 16 juillet 2014.

(2) La consultation régionale humanitaire pour l’Afrique de l’Est en vue de l’adoption d’une position africaine au Sommet Humanitaire mondial a été organisée au mois de juillet dernier à Arusha en Tanzanie.

(3) Le caractère apolitique est évoqué ici en référence aux principes de neutralité et d’indépendance qui régissent l’Action Humanitaire.

Achille Valery Mengo

Achille Valery Mengo

Achille Valery MENGO est diplômé de l’institut des relations internationales du Cameroun: option coopération internationale et action humanitaire.