Les effets de l’agent orange au Vietnam

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Le Vietnam doit encore payer cher les conséquences de la guerre chimique menée par l’armée américaine, 36 ans après sa fin. Il est temps que le gouvernement américain et les firmes chimiques admettent leurs responsabilités et indemnisent les victimes vietnamiennes.

Au Vietnam, la guerre menée par les Américains est sensée s’être terminée il y a 36 ans. Mais beaucoup de personnes estiment qu’elle ne sera jamais finie. La guerre chimique livrée au centre et au sud du pays de 1961 à 1971 a eu des conséquences dramatiques qui durent encore. Pendant cette période, environ 80 millions de litres de défoliants ont été déversés sur le Vietnam avec le feu vert du président Kennedy. Ces défoliants étaient appelés « les herbicides arcs-en-ciel » (the rainbow herbicides) : l’agent orange, l’agent blanc, l’agent rose, l’agent vert, l’agent bleu et l’agent violet. Leurs noms étaient inspirés par la couleur de la bande peinte sur les bidons de 200 litres qui les contenaient.

Les Etats-Unis visaient trois objectifs: détruire la végétation le long des routes et des pistes, aux abords des cours d’eau et sur les bords de mer pour faciliter la surveillance; éclaircir des forêts de l’intérieur, révélant alors des camps ou des caches nord-vietnamiens; anéantir les cultures des Vietcongs.

Qu’est ce que  l’agent orange ?

L’agent orange est  devenu synonyme de « défoliant » parce qu’il a été l’agent le plus employé (2/3 des épandages). C’est un mélange à parties égales de 2,4-D (acide 2,4-dicholorophenoxyactétique) et 2,4,5-T (acide 2,4,5-trichlorophénoxyacétique). La composante dernière, 2,4,5-T, contient le TCDD contaminant ou la dioxine, qui est considéré comme le produit chimique le plus toxique pour les êtres humains. A titre de comparaison, cette dioxine contenue dans l’agent orange au Vietnam est semblable à celle de Seveso qui est à l’origine de la catastrophe de l’usine Seveso en Italie en 1976[1].

Les conséquences des défoliants

La nature a été fortement bouleversée. Cette guerre chimique a causé le plus grand écocide du XXe siècle. Selon le Vietnam, entre fin 1961 et octobre1969, 43% des terres arables et 44% de la superficie forestière totale du Sud du Vietnam ont été pulvérisés au moins une fois et dans beaucoup de cas, deux ou trois fois avec des herbicides[2]. Pour que l’environnement se rétablisse totalement, il faudra quatre-vingts ou cent ans.

Il existe encore au Vietnam des « points chauds » qui sont encore fortement contaminés par la dioxine. Ce sont des emplacements des anciennes bases américaines, anciens aéroports, quais de déchargement. Les points chauds les plus connus sont les aéroports de Bien Hoa (près de Ho Chi Minh Ville), de Phu Cat et de Da Nang (dans le centre du pays) et la vallée d’A Luoi, où les bases américaines n’ont pas pu se maintenir mais qui a été ravagée  par les bombardements et par les épandages.

L’agent orange qui contient la dioxine, est soupçonné de provoquer deux sortes de conséquences dramatiques: les maladies graves comme les cancers et des anomalies de la reproduction, dont des malformations à la naissance. On constate désormais que des enfants de la troisième génération naissent à leur tour avec des infirmités et des monstruosités susceptibles d’être causé par l’agent orange, même quand leurs parents sont en bonne santé.

Les victimes de l’agent orange au Vietnam se trouvent maintenant partout dans le pays. Mais il y a encore des anciens combattants américains et leurs alliés, Canadiens, Sud-coréens, Néo-Zélandais et Australiens qui ont manipulé les défoliants sans en connaître le danger. Ces vétérans souffrent des mêmes pathologies que les Vietnamiens et leurs enfants sont aussi atteints.

L’incertitude perdure

Certains scientifiques craignent une action de la dioxine sur les gênes. Des études vietnamiennes ont montré des corrélations entre l’épandage de dioxine et la fréquence de malformations. Mais rien n’est encore certain.  Jusqu’à maintenant, la science peut prouver que les herbicides ont causé de grosses anormalités et des malformations congénitales chez les souris de laboratoire, mais pas chez l’homme.

Par ailleurs, il est très dur pour les victimes présumées de l’agent orange de prouver qu’ils sont contaminés par la dioxine. Il est difficile aussi de savoir si les parents étaient contaminés par la dioxine lors de la naissance de l’enfant car les tests sanguins coûtent très cher. Selon l’Organisation mondiale de la santé, un seul échantillon de sang ou de lait coûte  au moins 1200 dollars (environ 840 euros). Il est important de  noter aussi que les tests sanguins (s’ils ont l’occasion de se réaliser) ne suffiront pas toujours. Même si la dioxine reste de nombreuses années dans le corps humain, le temps passe et les malades de la première génération n’ont plus forcément de dioxine dans le sang. Quand les cancers sont dépistés, il est probable que les traces de dioxine ont disparu dans le sang.

Justice et réparations

En 1984, des vétérans américains qui ont porté plainte contre des fabricants d’herbicides, ont été indemnisés par leur gouvernement et ces fabricants pour les maladies contractées à la suite de leur exposition à cet agent orange. En 2004, l’Association vietnamienne pour les Victimes de l’agent orange/dioxine (la VAVA) a présenté une classe action (un recours collectif) aux Etats-Unis contre 37 fabricants d’herbicide pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Le Vietnam a souhaité obtenir un premier jugement l’autorisant à attaquer les firmes chimiques en justice. Mais ce droit a été rejeté en première instance le 10 mars 2005 par le juge Jack B.Weinstein. Et depuis sept ans, malgré leur ténacité, les plaignants vietnamiens ne peuvent pas attaquer les fabricants de défoliants. Le procès de l’agent orange se fait toujours attendre.

Pour justifier le refus d’indemniser les victimes vietnamiennes, les Etats Unis ont affirmé que les herbicides ont été utilisés pour protéger les soldats américains et non pas comme arme tournée contre les populations vietnamiennes. Le gouvernement américain affirmait également qu’on ne dispose que de corrélations et pas de lien de cause à effet entre les épandages et les maladies considérées[3]. Ainsi, il a toujours nié toute responsabilité tout en arguant toujours de l’absence de données reconnues internationalement sur les effets de l’agent orange[4].

Opposition des scientifiques

Ce rejet de la plainte des victimes vietnamiennes de l’agent orange a soulevé une vive opposition chez des scientifiques. Après la fin de la guerre américaine au Vietnam, les recherches sur le lien de l’agent orange et la santé humaine se sont multipliées à l’exemple de la Ranch Hand Study aux Etats-Unis, lancée en 1980 et qui dure toujours. Au Vietnam, au Canada et en Nouvelle-Zélande, des travaux sont publiés. Les effets pathogènes et tératogènes de la dioxine sont de plus en plus vraisemblables et même indiscutables pour beaucoup de scientifiques. Dans sa lettre au président Obama datée le 10 janvier 2010 (publiée sur le site  de « Agent orange Legacy »), l’environnementaliste Wayne Dwernychuk, qui travaillait pour Hatfield Consultants (au Canada), a réclamé le soutien du gouvernement américain aux victimes vietnamiennes de l’agent orange en affirmant qu’il y a déjà maintenant assez de preuves scientifiques qui concluent que la dioxine est cancérigène et représente un danger pour la santé humaine. Il est important de rappeler qu’en 1967, plus de 5000 scientifiques dans le monde (dont 17 Prix Nobel, 129 académiciens) ont signé une pétition envoyée au président des Etats-Unis lui demandant d’arrêter l’emploi d’herbicides.

Les vétérans de guerre américains ont été nombreux à soutenir la cause des victimes vietnamiennes. Celles-ci ont reçu également le soutien de nombreuses organisations internationales. En 2006, dans l’appel international de juristes pour la responsabilité des Etats-Unis envers le Vietnam pour les épandages de la dioxine, les juristes de différents pays ont affirmé que les Etats-Unis ne pouvaient nier leur responsabilité[5].

Pour conclure, des recherches scientifiques sont encore nécessaires pour mettre au jour l’action de la dioxine sur l’organisme humain. Mais comme l’a écrit Dr. Wayne Dwernychuk, ancien environnementaliste chez Hatfield Consultants au président Obama, il y a déjà maintenant assez de preuves scientifiques qui concluent à la dangerosité pour la santé humaine de  la dioxine et à son caractère cancérigène. Il faut donc que le gouvernement américain cesse de réclamer des preuves scientifiques, admette sa responsabilité et répare le mal causé. Les firmes chimiques ne peuvent non plus se comporter de façon irresponsable vis-à-vis des dommages de l’agent orange causés aux Vietnamiens, alors qu’il est établi aujourd’hui que leurs responsables savaient que la fabrication de l’agent orange allaient produire la dioxine mortelle et, surtout, qu’ils ont cherché à le dissimuler.

Selon un sondage Zogby paru en 2004, 64,4% des Américains conviennent que le gouvernement américain a une responsabilité morale et qu’il doit indemniser les militaires américains et les civils vietnamiens qui ont été affectés par l’agent orange[6].

Un groupe d’action vietnamo-américain, les membres de «l’U.S.-Vietnam Dialogue group on agent orange/dioxine », estime à 300 millions de dollars le coût des retombées de l’agent orange. Coût dont le gouvernement américain devrait prendre en charge une grande partie[7].

 

 A lire aussi : « Au Vietnam, 36 ans après la guerre, l’agent orange tue encore »

 

[1] Le film documentaire « Le Monde selon Monsanto » de la journaliste Marie-Monique Robin, disponible sur www.arte.tv/lemondeselomonsanto.
[2] Déclaration de Mme Nguyen Thi Binh, chef de la délégation  du Gouvernement Révolutionnaire Provisoire de la République du Vietnam lors du 55e Session Plénière de la conférence de Paris sur Vietnam, Février 19, 1970. La déclaration est publiée dans Schell (Orville) et Weisberg (Barry), “Ecocide in Indochina” in: (Weisberg) Barry, Ecocide in Indochina, the ecology of war, San Francisco, Canfield Press, 1970, p.19.
[3] La décision par the Court of Appeals est disponible sur http://www.warlegacies.org/agent%20Orange/Appealdecision.pdf.
[4] Casalonga (Sabine),  » Les effets de l’agent orange seront évalués, 17/9/2009,  le site de Journal de l’environnement, un quotidien d’information en matière de santé, sécurité, et environnement, URL : http://www.journaldelenvironnement.net/article/les-effets-de-l-agent-orange-seront-evalues,13213, consulté le 2/7/2011.
[5]  “Accueil”, le site de l’Association internationale des juristes démocrates, URL: www.aijd.free.fr/, consulté le 5/3/2010.
[6] Sussman (Aaron), ‘Toxic Injustice: What was done [agent Orange]”, 2007, URL: http://www.thirdworldtraveler.com/International_War_Crimes/ToxicInjustice_agentOrange.html, consulté le 2/7/2010.
[7] “300 millions de dollars pour les victimes de l’agent orange”, in Le Monde, 16/6/2010, http://www.lemonde.fr/planete/article/2010/06/16/300-millions-de-dollars-pour-les-victimes-de-l-agent-orange_1374069_3244.html, consulté le 14/7/2011.

Vuong Bach Lien

Vuong Bach Lien

Vuong Bach Lien est étudiante en journalisme (ULB). Elle a notamment travaillé pour le Viet Nam News, le quotidien national en anglais au Vietnam.

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