Les essais thérapeutiques au sud : une nouvelle forme de colonialisme ?

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Image du film The Constant gardener
Image du film The Constant gardener (film britannique réalisé par Fernando Meirelles – 2005, adapté du best-seller éponyme de John le Carré)

L’affaire a provoqué un tollé outre-Rhin. Le journal allemand « Der Spiegel » a révélé le 12 mai que des essais cliniques avaient été pratiqués jusqu’en 1989 sur plus de 50 000 personnes en RDA, pour le compte de grands laboratoires de l’ouest. Le plus souvent, les « cobayes » participaient à ces tests à leur insu.

Ce genre de méthode n’a pas disparu. Actuellement, bon nombre d’essais cliniques sont toujours effectués dans des conditions discutables. Mais aujourd’hui une bonne partie d’entre eux s’effectue dans les pays en développement, notamment en Afrique ou en Inde. Une pratique souvent accusée d’être une nouvelle forme de colonialisme. Jean-Philippe Chippaux, médecin au Bénin, auteur de « Pratique des essais cliniques en Afrique », fait le point sur la situation dans le continent noir…

Combien y a-t-il d’essais thérapeutiques dans les pays en développement, peut-on le savoir ?

Il est assez dur de savoir combien il y a d’essais thérapeutiques en ce moment car la plupart ne sont pas déclarés. Beaucoup sont effectués par des universitaires, des chercheurs isolés. Mais on estime que près de la moitié des essais cliniques effectués dans le monde le sont dans les pays du Sud, notamment en Asie et, dans une moindre mesure, en Afrique et Amérique du Sud (selon un rapport publié par l’agence européenne du médicament (EMA) en 2010, sur 122 039 patients ayant participé à un essai clinique déclaré en 2009, 46 059 venaient du sud. Ce ratio ne cesse d’augmenter NDLR).

Pourquoi les grands laboratoires font-ils des essais  au sud ?

Réaliser un essai clinique dans les pays du sud est moins cher et plus rapide que dans le nord. Les comités d’éthique sont beaucoup plus souples en Afrique, il est plus facile de recruter des patients. En outre, ceux-ci prennent peu de médicaments ce qui intéresse beaucoup les laboratoires car leurs pathologies sont quasiment pures. Elles ne sont pas modifiées par la prise de médicaments concomitants. Cela dit, cette pratique, en vigueur durant les années 1990-2000, est moins d’actualité aujourd’hui. Les grands laboratoires courent de grands risques en organisant leurs essais dans les pays en développement car les comités éthiques locaux sont de plus en plus regardants. Ils surveillent plus attentivement la justification du lieu par rapport à l’utilisation du médicament.

Par contre, on voit désormais de nouveaux acteurs arriver dans les essais thérapeutiques du sud : il s’agit des universitaires locaux qui veulent jouer un rôle dans l’élaboration des médicaments. Ils organisent donc eux-mêmes des essais cliniques. Ils acceptent de tester des médicaments venant de petits laboratoires indiens, chinois ou locaux par exemple, qui espèrent gagner de nouveaux marchés dans des pays où il existe moins de règles, comme en Afrique et où l’ouverture commerciale est plus facile.

Quels sont les principaux risques d’un essai clinique pour les patients ?

Le risque principal est que le traitement soit insuffisant et que l’état du patient s’aggrave, ou que les médicaments pris rendent sa maladie plus complexe à traiter. Il peut aussi subir des effets secondaires. Le problème est qu’en Afrique, et dans les pays du sud en général, il n’y a pas de sécurité sociale. Quand le patient est malade, si on lui propose un essai clinique gratuit, on l’appâte. Le processus de l’essai peut être long, douloureux, mais au moins il ne payera rien. Il n’a donc plus son libre arbitre et est très incité à accepter. Si on voulait faire un essai véritablement éthique, il faudrait donc proposer au malade deux traitements gratuits, dont un classique. Mais cela ne ferait pas plaisir au sponsor  (la firme pharmaceutique subventionnant l’essai NDLR) !

De nombreux essais, pas du tout éthiques, ont défrayé la chronique ces dernières années, comme celui du Trovan. Ces pratiques continuent-elles toujours ?

Si on sort des règles c’est inacceptable. Dans le cas du Trovan, les médecins ont fait des essais au plus simple. Le protocole était très insuffisant. Il y a eu une mauvaise information des patients. Il est primordial d’informer correctement le patient. Or souvent les documents sont présentés trop rapidement, maladroitement.  La question du protocole est très importante aussi : que compare-t-on ? Beaucoup d’équipes ont des objectifs soit flous, soit très compliqués et pas cohérents. Et puis se pose la question éthique. Un essai clinique doit être correct à la fois sur le plan scientifique et sur le plan éthique !

Vous pointez la question de l’information. Se pose aussi souvent le problème de la langue. Peut-on affirmer qu’il s’agit d’un véritable consentement éclairé dans ces conditions ?

En effet, les formulaires d’accord à l’essai clinique peuvent être mal traduits ce qui fait que les patients ne comprennent pas vraiment la portée du texte et de leur engagement. Il faut aussi laisser la possibilité au patient de refuser l’essai sans dire explicitement non : dans certaines cultures, cela ne se fait pas de refuser quelque chose explicitement à une blouse blanche. Or on ne le fait pas toujours. Sans compter qu’en Afrique par exemple, le consentement n’est pas seulement individuel mais collectif. Il faut donc obtenir l’accord à la fois de l’individu et du responsable du groupe. Le problème est que toute la communauté est alors au courant. Mais le vrai problème c’est le droit de retrait en cours d’étude des participants. Les sponsors veulent absolument les garder. Leurs procédés sont parfois très limites. On va même quelques fois trouver le chef de famille pour qu’il convainque la personne engagée dans l’essai ! Pour peu que celle-ci soit en position de vulnérabilité dans sa communauté, si le chef de famille lui dit de prendre le traitement elle n’a pas véritablement le choix.

Un des reproches adressés à ces essais thérapeutiques au sud est d’être une nouvelle forme de colonialisme. Ce reproche est-il fondé pour vous ?

Oui, en un sens…Les patients du sud testent des médicaments qui vont aller aux patients du nord… Mais le système est plus pervers aujourd’hui qu’il y a quelques années. Maintenant on teste dans les pays du sud des médicaments qui devraient en théorie leur être utile a eux aussi, comme le vaccin pour l’hépatite B. Mais en fait ce vaccin est trop cher pour ces pays. Parfois les maladies visées n’y sont pas des priorités de santé. Certes, ce sont des pathologies qu’il va falloir prendre en compte mais pas avant cinquante ou soixante ans !

Par exemple le vaccin contre la grippe a été testé au Sénégal. Alors, oui, il y a des épidémies de grippe au Sénégal mais ce n’est clairement pas la priorité sanitaire du pays. D’autant qu’il est peu probable que les habitants bénéficient du vaccin lorsqu’il sera mis au point. On a localisé les essais en Afrique parce que c’était moins cher et plus facile à organiser. Et qu’il y a sur place une infrastructure et des scientifiques très disponibles et compétents. L’Inde par exemple a des très bons spécialistes, qui coûtent moins chers que les pays du nord. C’est d’ailleurs une des raisons qui ont conduit à la multiplication des essais cliniques dans le sous-continent.

Que peuvent faire les comités d’éthique locaux pour améliorer la situation?

Le rôle des comités d’éthique est d’éviter les essais cliniques mal calibrés, de vérifier que le  les patients consentants sont bien informés et que l’essai est adapté à l’environnement. Le problème est que les membres des comités d’éthique en Afrique sont souvent choisis davantage pour leur notoriété que pour leur compétence. Même si maintenant il existe de nouvelles formations  pour les comités d’éthique. Il faudrait donc revoir la composition, la pluridisciplinarité, la polyvalence de ces comités si on voulait améliorer la pertinence des essais cliniques. Il faudrait que leur indépendance soit claire. Mais cela est très difficile à obtenir. Se pose aussi le problème des conflits d’intérêt, qui ne sont pas seulement financiers. Enfin, il faut non seulement que le médicament soit efficace, accessible, mais aussi qu’il soit facile à administrer. Distribuer des médicaments qui doivent être conservés à 4°, même si ce sont les plus efficaces sur le marché, pose un problème logistique évident en Afrique ! Beaucoup de spécialistes ne rentrent malheureusement pas dans ces considérations pratiques. Il faut encourager les essais thérapeutiques pragmatiques.

A propos du film The Constant gardener, en quelques mots… Un diplomate britannique vit avec son épouse, militante altermondialiste est en relation avec Hippo, une Ong allemande enquêtant sur les pratiques de l’industrie pharmaceutique. Cette militante prépare un rapport sur KDH et ThreeBees, deux entreprises impliquées dans la lutte contre le Sida au Kenya… et est retrouvée assassinée avec un de ses collègues, un humanitaire noir belge de l’ONG « Médecins de la Terre »…

 

L’affaire Trovan

En 1996, en pleine épidémie de méningite au Nigéria, la compagnie Pfizer débarque, officiellement pour raison humanitaire… En pratique elle en profite aussi pour réaliser un essai sur un antibiotique contre la méningite, le Trovan, qu’elle va administrer à une centaine d’enfants (une centaine d’autres enfants ont reçu un antibiotique témoin, le ceftriaxone).

Le problème est que selon la plainte déposée par l’Etat nigérian, ceux-ci auraient reçu le médicament sans que leurs parents n’aient été informés des dangers potentiels du traitement ni n’aient donné leur consentement formel.

Dans la cohorte, onze enfants sont morts et d’autres ont eu des séquelles neurologiques, des suites de la méningite.

L’affaire aurait inspiré le livre de John Le Carré « The constant gardener ».

 

 

 

Agnès Noël

Agnès Noël

Agnès Noël est journaliste, responsable du Département Santé internationale & Bioéthique de Grotius International.