Les mythes d’un immortel : Mohamed Abdel Raouf Arafat al-Qudwa al-Husseini

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Yasser ArafatToute sa vie durant, l’ancien président palestinien Yasser Arafat, père fécond de la nation palestinienne mais père stérile d’un Etat, a été l’objet des rumeurs et des mythes les plus fous.

Près de dix ans après sa mort, voilà que la rumeur d’assassinat a ressurgi il y a peu, lui qui toute sa vie fut souvent la cible de multiples attentats dont il est toujours sorti vivant. Alors qu’Arafat, après plusieurs mois de retranchement dans la Muqata à Ramallah imposé par l’armée israélienne, se trouve subitement de plus en plus malade en 2004, il est emmené rapidement en France pour y suivre en vain d’ultimes traitements. Il ne revit jamais la Palestine. La France organisa en grandes pompes son rapatriement vers sa terre promise. Le mystère a toujours été soigneusement entretenu sur les véritables causes de sa mort.

 Zones d’ombres de jeunesse

Né en 1929 pour certains à Jérusalem, en Palestine mandataire, pour d’autres au Caire, en Egypte, l’ennemi public numéro un d’Israël des années 1960 jusqu’en 1993 à la signature des accords d’Oslo, devient prix Nobel de la paix en 1994 avec l’ancien premier ministre israélien, Yitzhak Rabin, assassiné l’année suivante, et Shimon Perès, l’actuel président d’Israël. Mais pour en arriver là, Abou Ammar (son nom de guerre) aura du vivre de multiples transformations dans sa vie, se créant un personnage public ambigu, complexe et déjà sombre.

Il y eut longtemps des zones d’ombre sur la véracité des informations concernant sa naissance au Caire, en Egypte. Longtemps, il a affirmé, probablement pour des raisons stratégiques compréhensibles, être né à Jérusalem en Palestine mandataire britannique.

Il y en eut ensuite sur ses origines familiales communes avec le grand mufti de Jérusalem, tristement célèbre pour son rapprochement avec Hitler, dans les années 1930. Il y eut plus tard encore ses tergiversations politiques, passant d’une proximité religieuse et nationaliste des Frères musulmans à un Nasser laïc épurant le mouvement, faisant de la prison après l’attentat raté contre le président égyptien par la confrérie des Frères, puis devenant officier de réserve dans l’armée égyptienne lors de la guerre de Suez en 1956 contre Israël. Il y eut enfin ses voyages, ses installations multiples dans différents pays, dont il crut qu’ils seraient à chaque fois un soutien à la cause palestinienne.

 Zones d’ombres politiques

Se rendant compte qu’il serait difficile pour lui de trouver en l’Egypte un partenaire politique viable pour émanciper la Palestine après la défaite du Caire contre la coalition franco-anglo-israélienne, il se tourne alors vers le Golfe et le Koweït. Protectorat britannique à l’époque, il obtient son visa, devient ingénieur et finance ainsi ses activités politiques. Il fonde le Fatah en 1958. Puis d’année en année, il se fait connaître pour son engagement en faveur d’une Palestine indépendante et ouvre des bureaux de représentation de l’Organisation de Libération de la Palestine, bascule dans les actes terroristes de résistance à Israël, et erre de pays en pays, s’installe un temps en Syrie de 1965 à 1966 où il y fera quelques mois de la prison après le premier attentat commis par le Fatah contre Israël le 1er janvier 1965. Il s’installe en Jordanie puis la quitte après « Septembre noir » et le massacre des « terroristes palestiniens » dans les camps par l’armée jordanienne en 1970, va au Liban d’où il y aurait organisé le massacre de 5 athlètes israéliens au Jeux Olympiques de Munich en 1972. Le retentissement international du drame est énorme, jusqu’à en devenir une production cinématographique en 2005 aux Etats-Unis, sous la houlette de Steven Spielberg.

  Docteur Yasser et Mister Arafat :
mythes créés et mythes entretenus

Longtemps considéré comme l’ennemi public numéro un à abattre, Arafat devient tour à tour un symbole vivant de résistance adulé ou détesté et restera un mythe aussi longtemps qu’il n’obtiendra pas la consécration internationale. Les traques et les tentatives d’assassinat avortées le rendent quasi immortel. En 1974, il prononce son premier discours à la tribune des Nations unies et obtient le statut d’observateur pour l’OLP. Après 1975, la guerre civile libanaise qui fait rage entre Palestiniens et Libanais, pousse Abou Ammar après une tentative d’assassinat lors de l’invasion du Liban par Israël en 1982, à fuir en Tunisie, malgré les réticences initiales du président Bourguiba. Un an après, Arafat repart au Liban, puis menacé, repart un an plus tard en Tunisie. Sa vie devient un feuilleton, et le mythe selon lequel il ne dort jamais deux nuits au même endroit est né. En 1985, le leader palestinien sort de nouveau miraculeusement indemne d’un raid mené par des bombardiers israéliens sur le quartier général de l’OLP à Tunis.

Longtemps considéré comme seul responsable de la première intifada déclenchée en décembre 1987, Arafat assiste de loin avec l’OLP qui décide, mais dont l’action est menée sur place par le Commandement unifié de l’Intifada. De là, naît probablement l’un des mythes les plus enracinés dans l’opinion et entretenus jusqu’au bout, selon lequel Arafat a été et était de tout temps seul acteur et décideur de la violence qui éclatait dans les Territoires ou en Israël. Il l’a été longtemps mais plus sur la fin. Cela restera longtemps côté israélien un argument d’intervention et de pénétration en territoire palestinien pour mater la violence y compris lors de la seconde Intifada à partir d’octobre 2000. S’il y a attaque, attentat en Israël, ou explosion en Palestine, il n y a qu’un responsable possible : Yasser Arafat. En 1990, il épouse sa secrétaire, Soha Arafat, chrétienne sulfureuse et décriée jusqu’aux cadres mêmes du parti et de l’Autorité palestinienne. La même année, trois jours après l’invasion du Koweït le 2 août, il apporte étrangement son soutien au président irakien Saddam Hussein et l’étreinte est immortalisée par les télévisions du monde entier ; ce qui lui portera longtemps préjudice. Encore un des étranges rapprochements politiques d’Arafat. En 1992, il échappe à un accident au dessus du sol libyen. L’essentiel de l’équipage trouve la mort… sauf lui. Installé au pouvoir à Gaza en 1994 après le reconnaissance mutuelle entre Israël et l’Autorité palestinienne seule représentante légitime du pouvoir palestinien, Arafat va donner droit de nouveau à toutes les critiques et rumeurs : népotisme, violation des règles démocratiques, corruption, nouvelles incitations de son peuple à la violence, enrichissement personnel, implication de Soha Arafat accusée de voler l’argent de son peuple, etc. Après l’échec des accords de Camp David en 2000 dont on l’accuse de porter l’entière responsabilité, il est subitement écarté par les gouvernements israéliens du dialogue et considéré comme un non-partenaire pour la paix. « C’est fini, nous n’avons plus de partenaire pour la paix» scande Ehud Barak, premier Ministre et négociateur de l’époque. Le mythe de l’offre généreuse d’Israël lors des négociations trompe tout le monde, Américains compris, qui boycottent Arafat et le condamnent au silence, loin de tout et tous.

Pire, son ennemi juré, Ariel Sharon, revient aux affaires en Israël et prend la tête du gouvernement après des élections anticipées qui évincent le parti travailliste : tout cela quasi vingt ans après les massacres de Palestiniens dans les camps de Sabra et Chatila au Liban en 1982, perpétrés par les phalanges chrétiennes sous couvert de l’armée israélienne dirigée par le ministre de la défense de l’époque… Ariel Sharon. Les deux hommes se retrouvent dans de nouvelles postures : l’un est ressuscité d’une longue traversée du désert dans son ranch du Néguev, l’autre est déjà à moitié enterré au fin fond des Territoires occupés.

 Du mythe de l’immortalité à la fin brutale

Courant octobre 2004, le vieux rais est subitement victime de maux de ventre et de vomissements. Arafat est au plus mal en quelques jours et est rapidement transporté vers la France à l’hôpital militaire de Percy-Clamart où il décède le 11 novembre. Les soupçons d’empoisonnement naissent immédiatement. Le corps d’Arafat est rapatrié à Ramallah où un mausolée à sa gloire est progressivement érigé dans les années qui suivent. Sa veuve Soha Arafat disparaît et les rumeurs concernant le pactole de son mari défunt ressurgissent. Si l’origine de la mort reste entière, les rumeurs les plus folles courent: homosexualité pratiquée et sida contracté, maladie de Parkinson, cirrhose du foie et graves lésions hépatiques, contamination au pollonium.

La dernière étude en date, révélée dans un documentaire d’Al Jazeera, et menée par un laboratoire suisse a conclu à ce stade à la présence d’une dose anormale de pollonium dans les bagages et effets personnels d’Arafat en 2004. Le mystère plane toujours, car le laboratoire a conclu que la radioactivité décelée sur les effets personnels ne pouvait signifier qu’Arafat avait été contaminé directement. Après tant d’années de discrétion, Soha Arafat est réapparue et a porté plainte fin juillet contre X à Nanterre pour assassinat de son mari et a donné son accord pour une exhumation et une étude des restes du corps de celui-ci, l’accès par certains proches et journalistes au rapport médical de près de 600 pages[1], Arafat n’a pas encore livré tous ses mystères : sa vie fut un roman, et même mort, il fera encore couler beaucoup d’encre et inspirera les comploteurs de tous ordre. Israël a fermement démenti, bien sur, les accusations d’empoisonnement dont il a fait l’objet.

Le 28 septembre dernier, la France ouvrait une instruction pour assassinat. Nouveau rebondissement récent : Arafat aurait pu être empoisonné aux champignons vénéneux. Dans une interview à Slate.fr,  le professeur Marcel Francis-Kahn, ancien chef du service de rhumatologie de l’hôpital Bichat à Paris, conforte cette nouvelle piste : «L’hypothèse du polonium ne tient pas la route. Tous les spécialistes savent qu’une intoxication par un produit radioactif ne donne pas les symptômes constatés chez Arafat. Ce dernier ne présentait notamment ni perte de cheveux ni leucopénie profonde (chute massive des taux de la lignée blanche du sang) comme on le voit chez les personnes qui sont intoxiquées par les isotopes. En revanche, tout collerait très bien avec un empoisonnement par une des toxines de l’amanite phalloïde ou du cortinaire des montagnes. (…) Ce type de toxine est étudié notamment dans le centre de Nes Ziona, pas très loin de Tel-Aviv.» De quoi entretenir à nouveau la rumeur de la responsabilité d’Israël ? Mystère encore à l’heure actuelle.

Et si Arafat devenait plus encombrant mort que vivant le jour où les analysés de l’exhumation révéleront leurs conclusions ? Peu de risques, tant la presse israélienne s’est peu intéressée à cet énième rebondissement médiatique avec le reportage d’Al Jazeera. Les Israéliens, comme les gouvernements depuis, ont bien d’autres priorités : « Printemps arabe », déstabilisation régionale avec l’Egypte et la Syrie, bouillonnement du Liban, crise socio-économique grave en interne, rumeur d’une guerre avec l’Iran. Les Palestiniens, leur Etat, leur raïs mort, sont quasi devenus un détail de l’histoire et particulièrement du présent.

[1] Jean-Yves Nau a eu accès à l’intégralité du rapport et en publie des extraits

 

Ndlr : La justice française va enquêter sur la mort en 2004 de Yasser Arafat, après l’ouverture d’une information judiciaire pour assassinat, mardi 28 août, par le parquet de Nanterre. Cette enquête fait suite au dépôt d’une plainte contre X pour assassinat avec constitution de partie civile, le 31 juillet, par Souha Arafat, la veuve du chef de l’Autorité palestienne.

Sébastien Boussois

Sébastien Boussois

Sébastien BOUSSOIS est docteur en sciences politiques, spécialiste de la question israélo-palestinienne et enseignant en relations internationales. Collaborateur scientifique du REPI (Université Libre de Bruxelles) et du Centre Jacques Berque (Rabat), il est par ailleurs fondateur et président du Cercle des chercheurs sur le Moyen-Orient (CCMO) et senior advisor à l’Institut Medea (Bruxelles).