Les négociations israélo-palestiniennes sont-elles dans l’impasse?

0
178

Le moment de vérité…

Lancées très médiatiquement au début du mois de septembre, les négociations israélo-palestiniennes vont-elles tourner court alors qu’elles n’ont pas véritablement commencé sur le fond ? En effet, comme il était prévisible dès le départ, la date du 26 septembre – date de l’expiration du moratoire de dix mois portant sur le gel de la construction dans les colonies – représente un moment de vérité. Encore convient-il de préciser que ce gel ne concernait pas les colonies situées dans l’agglomération du Grand Jérusalem et qu’il ne faisait pas obstacle à la construction de bâtiments publics ou à la poursuite des chantiers en cours.

Dès le jour même de l’expiration du gel, le mouvement des colons ne cachait pas sa satisfaction : un des ses représentants ne rappelait-il pas qu’étant sur la terre d’Israël, la Bible à elle seule avait valeur de permis de construire. Les réactions de la «communauté internationale» qui a toujours considéré que la colonisation était «un obstacle à la paix» ont été mesurées, évoquant «regrets» et «déception», ce qui en termes diplomatiques représente le service minimum. En recevant le président Abbas le 27 septembre, le président Sarkozy a été parmi ceux qui ont réagi avec le plus de force.

Après avoir déploré la non reconduction du moratoire, «la colonisation doit cesser sans délai» a-t-il ajouté et a exigé par ailleurs que l’Europe, qui est le principal donneur d’aide à l’Autorité palestinienne, puisse participer aux négociations. L’Europe comme l’Union pour la Méditerranée «doivent désormais, c’est une exigence, participer au processus politique».

Cependant aucun pays ne semble décidé à exercer des pressions efficaces sur Israël même si les pays européens comme les Etats-Unis disposent de moyens nombreux et efficaces. Quant à Mahmoud Abbas, après avoir menacé de quitter la table des négociations, il a décidé de temporiser en annonçant qu’il ne prendrait une décision qu’après la réunion exceptionnelle de la Ligue arabe le 4 octobre.

Est-ce la fin des négociations ?

Il est clair qu’une forte majorité au sein du gouvernement israélien et plus particulièrement au sein du «Forum des Sept» est hostile à la prolongation du moratoire. Il n’y a guère que les ministres travaillistes, avec des nuances, qui oeuvrent en ce sens. La marge de manœuvre de Benjamin Netannyahou est faible et une reconduction pourrait provoquer l’éclatement de la coalition. En fait le premier ministre ne s’est engagé dans cette négociation que sur la forte pression américaine.

La question palestinienne n’est plus en effet une priorité pour le gouvernement israélien qui estime qu’il s’agit d’un conflit de «basse intensité» gérable sans accord avec les Palestiniens. Il considère que le véritable défi est la «menace existentielle» que l’Iran et ses relais, notamment le Hezbollah, font peser sur Israël. Cette évaluation ne peut le conduire qu’à maintenir une position ferme sur la question du moratoire. Du côté palestinien, on a fait de ce gel une question de principe, avec d’ailleurs dès l’origine, l’encouragement du président Obama.

Un compromis qui ne peut être que boiteux a été esquissé par certains membres du gouvernement : reprise des constructions limitée aux grands groupes de colonies, suspension provisoire de la délivrance de nouveaux permis. Malgré l’hostilité du Fatah, le président Abbas peut être tenté de l’accepter et de poursuivre la négociation. De fortes pressions s’exercent en ce sens et il n’a guère d’alternative. Il peut se laisser convaincre par les Etats-Unis qui peuvent lui faire miroiter, après la remise en ordre effectuée par le premier ministre palestinien Salam Fayyad, la perspective de la création d’un Etat palestinien susceptible de rejoindre l’ONU à brève échéance.

La solution des deux Etats est-elle morte ?

En fait par delà la question du gel, c’est bien le problème de la viabilité d’un Etat palestinien qui est en cause. Le temps travaille contre les Palestiniens qui sont en position de faiblesse pour négocier. Sur le fond, les positons semblent irréconciliables sur les principaux dossier : question de Jérusalem, droit au retour, problème des colonies qui regroupent plus de 300.000 personnes en Cisjordanie.

La conception du premier ministre israélien, telle qu’il l’a formulée lors de son discours à l’université de Bar-Ilan en juin 2009, est celle d’une Etat croupion qui n’exercerait d’ailleurs sa souveraineté que sur une partie de la Cisjordanie. L’exigence nouvelle adressée aux Palestiniens de reconnaître Israël comme «Etat juif» ne fait que compliquer les choses.

Il en est de même de la volonté de certains partis de mettre à l’ordre du jour, comme Avigdor Liberman l’a dit publiquement le 19 septembre: «la question des citoyens arabes d’Israël comme une des principales questions qui doivent être négociées».

Il faut souligner en outre que la situation sur le terrain rend la création d’un Etat palestinien viable, problématique. Celui-ci n’est-il pas en train de «s’évaporer»?  Si on ajoute le territoire grignoté par le mur de séparation dont le tracé est plus à l’est que la «ligne verte», soit 10 % de la surface de la Cisjordanie, l’emprise des colonies et des routes d’accès réservées aux colons, la vallée du Jourdain où l’armée israélienne entend rester, un éventuel Etat ne pourra exercer sa souveraineté au mieux que sur la moitié de la Cisjordanie, soit un territoire réduit à 2.500-3.000 km², l’équivalent de la moitié de la surface d’un département français.

Ainsi le scénario le plus probable qui s’esquisse est la solution non plus des deux Etats mais d’un Etat – Israël – entouré de deux «entités» un bantoustan sous «protection» israélienne et l’émirat islamiste de Gaza. Une telle évolution est lourde de conséquences et de menaces pour l’avenir, pour la stabilité du Moyen-Orient comme pour la sécurité à long terme d’Israël.

Tout doit être fait pour éviter un tel engrenage ce qui suppose la conjonction d’une forte volonté politique tant du gouvernement israélien que des Etats-Unis et de l’Europe. A l’évidence une telle perspective n’est pas immédiate. Souhaitons qu’elle ne se manifeste pas trop tard.

Denis Bauchard

Denis Bauchard

Ancien diplomate, Denis Bauchard a effectué une grande partie de sa carrière au Moyen Orient ou à traiter des affaires de cette région au Ministère des Affaires étrangères. Il a été ambassadeur en Jordanie (1989-1993), puis directeur pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient (1993-1996), directeur du cabinet du ministre des Affaires étrangères, Hervé de Charrette (1996-1997) et ambassadeur au Canada (1998-2001).

Après avoir été président de l’Institut du Monde arabe (2002-2004), il est aujourd’hui consultant, notamment auprès de l’Institut français des relations internationales (IFRI). Il est l’auteur de nombreux articles et études, consultables sur le site de l’IFRI.

Denis Bauchard

Derniers articles parDenis Bauchard (voir tous)