Les réfugiés palestiniens ou la double (ou triple) peine

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Au regard de la loi internationale, les « réfugiés » sont les Palestiniens, et leurs descendants, dont la Palestine était le lieu de résidence entre juin 1946 et mai 1948 et qui ont été interdits de revenir chez eux après la création de l’Etat d’Israël. Par la résolution 194 adoptée le 11 décembre 1948 par le Conseil de sécurité des Nations-Unies, le droit au retour ou à compensation leur a été reconnu, un droit au retour également garanti à titre individuel par la Déclaration universelle des droits de l’homme. Par la résolution 302 (IV) adoptée le 8 décembre 1949 cette fois par l’Assemblée générale, un organisme spécifique a été créé pour prendre en charge leurs affaires civiles : l’UNRWA (United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East). En 1951, l’agence comptabilisait quelque 860 000 « réfugiés » (sur 1,2 Palestiniens).

 

Palestine
© Sébastien Boussois


Soixante-cinq ans après la Nakba (l’expulsion des Palestiniens en 1947 et 1948, en une première étape du territoire que voulaient acquérir les sionistes puis de ce qui venait de devenir l’Etat d’Israël), les réfugiés n’ont jamais bénéficié du droit au retour ou à compensation qui leur avait été garanti par les Nations-Unies. Aujourd’hui comme hier, ils sont en plus les otages des soubresauts politiques de leurs pays hôtes quand des tentatives ont été récemment entreprises pour mettre un terme à la transmission par la filiation de ce droit.

Les statistiques

Selon l’UNRWA, au 31 décembre 2012, le nombre des réfugiés immatriculés (dont un peu moins du tiers vit dans les camps) frisait les 4 920 000 (soit un peu moins de la moitié de l’ensemble des Palestiniens de par le monde) répartis entre la Palestine historique et les pays avoisinants : un peu plus de 2 millions en Jordanie (10 camps), 1,2 million dans la bande de Gaza (67 % de la population, 8 camps), 750 000 en Cisjordanie (30 % de la population, 19 camps), 500 000 en Syrie (9 camps) et 450 000 au Liban (15 camps). Les réfugiés en Égypte, peu nombreux (aujourd’hui entre 50 et 70 000), n’ont pas été reconnus comme tels du fait du refus des autorités égyptiennes de reconnaître la juridiction de l’UNRWA sur son territoire quand ceux de la Bande de Gaza, sous contrôle égyptien de 1948 à 1967, l’ont été. Les « réfugiés de l’intérieur » (300 000 ? sur le 1,4 million de Palestiniens aujourd’hui), c’est-à-dire ceux qui ont été privés de leurs biens en dépit de leur résidence en Israël, ont reçu la citoyenneté israélienne. Les « réfugiés » sont juridiquement distincts des « déplacés », ces Palestiniens (940 000 aujourd’hui) qui n’ont pu revenir en Cisjordanie ou à Gaza après la guerre de juin 1967 (alors quelque 300 000 dont 175 000 déjà « réfugiés ») ou plus tard, objets de bannissement ou d’abrogation de leur droit de résidence. Ils sont bien évidemment distincts des Palestiniens issus de l’émigration volontaire, tout particulièrement celle qui s’est déroulée depuis la fin du 19esiècle principalement vers l’Amérique du sud.

Les statuts juridiques

Au regard de la nationalité et de la citoyenneté, les réfugiés relèvent de statuts qui diffèrent selon les pays d’accueil. Du fait de l’annexion de la Cisjordanie à la Transjordanie en 1950, le royaume hachémite a accordé la nationalité jordanienne à l’ensemble des Palestiniens résidant sur son territoire y compris aux réfugiés. Cette situation perdure en Cisjordanie et à Jérusalem occupées même si certaines lois jordaniennes, selon les époques, ont cherché à restreindre ce droit. C’est le seul cas. Partout ailleurs, la nationalité de leur pays d’accueil leur a été refusée au nom du principe selon lequel son octroi ferait disparaître la question palestinienne. Ces réfugiés sont ainsi considérés comme apatrides. Cette situation, cependant, recouvre des traitements bien différenciés selon les cas. En Syrie, par exemple, ils ont été traités dans la pratique sur un quasi pied d’égalité avec la population syrienne (à l’instar de l’Irak) et les camps ont de factoété intégrés aux villes. Au Liban, en revanche, la peur d’un bouleversement communautaire au profit des sunnites a conduit à la mise en œuvre d’un statut particulier, les Palestiniens, par exemple, étant interdits de plusieurs dizaines de professions quand les camps demeurent des enclaves contrôlées. Dans la bande de Gaza, du fait du contrôle égyptien issu de la Nakba, réfugiés et non réfugiés se sont vu refuser la nationalité égyptienne et ont également reçu ce statut d’apatride. En Cisjordanie (moins Jérusalem-Est annexée par Israël) et dans la bande de Gaza, les résidents disposent depuis l’autonomie d’un passeport palestinien diversement reconnu quand la question de la nationalité relève aujourd’hui d’un débat qui recoupe celui de l’Etat.

Double et triple peines

Privés du droit au retour ou à compensation, bon nombre des réfugiés ont ensuite été victimes de nouveaux déplacements, bannissements et privation de leurs biens. Certains réfugiés de Cisjordanie-Gaza sont ainsi devenus des déplacés en 67. Certains d’entre eux, qui avaient migré au Koweït, avec les réfugiés déjà installés depuis 1948, seront une nouvelle fois chassés de leurs biens en 1991 à l’occasion de l’invasion irakienne, punis pour une certaine neutralité interprétée comme un soutien accordé par Yasser Arafat à Saddam Hussein ; ils se retrouveront pour la plupart en Jordanie. Une quinzaine d’années plus tard, la quasi disparition de la communauté palestinienne figure parmi les bouleversements induits par l’invasion américaine de l’Irak ; sunnites et considérés comme ayant profité de largesses de la part du régime baassiste, ils ont été chassés dans l’indifférence générale par des milices shiites. Tout récemment, enfin, le conflit syrien a conduit au déplacement de la moitié des Palestiniens quand 50 000 d’entre eux ont trouvé refuge à l’extérieur, au Liban pour la quasi-totalité d’entre eux, la Jordanie faisant barrage spécifiquement à leur encontre.

Vers la disparition du droit des réfugiés ?

En ayant sorti du cadre de l’ONU la résolution du conflit israélo-palestinien pour en faire l’objet d’une négociation bilatérale, les accords d’Oslo de septembre 1993 ont légitimé l’asymétrie. Sans surprise, la partie israélienne est parvenue, dans les 20 ans qui ont suivi, à toujours repousser un accord qui impliquerait son retrait des territoires occupés en 1967. Dans le cadre des négociations, pourtant instrumentalisées pour ne pas aboutir, elle est même parvenue à faire accepter de la partie palestinienne que le droit au retour de la quasi-totalité des réfugiés ne puisse s’exercer que vers l’éventuel Etat de Palestine. Tout récemment, le gouvernement israélien, suivi par les États-Unis, a fait de la reconnaissance du caractère juif de l’Etat d’Israël un préalable à toute nouvelle négociation, caractère que mettrait en péril la mise en œuvre du droit au retour vers Israël. Parallèlement, ce même gouvernement encourageait diverses initiatives en vue de la suppression du caractère héréditaire du statut de réfugiés, arguant du caractère indu de la singularité palestinienne en la matière.

Webographie in Jean-François Legrain,  « Guide de Palestine-sur-Web », dont le chapitre « Réfugiés et déplacés » a été mis à jour à l’occasion de la rédaction de cet article.

Jean-françois Legrain

Jean-françois Legrain

Jean-François Legrain est chercheur au CNRS/IREMAM (Institut de Recherches et d’Études sur le Monde Arabe et Musulman), Aix-en-Provence.

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