Les services de santé conventionnels en milieu nomade

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L’expérience de Sahara-Santé au Mali

Après les accords de paix de 1995, contrairement à la majorité des jeunes issus de la communauté Kel tamasheq (touaregs) à qui le Mali offrait des places dans l’administration (gendarmerie, police, armée), nous avons fait le choix de suivre des formations universitaires afin de répondre concrètement aux besoins de notre peuple. Ainsi, il y a cinq ans, nous avons créé Sahara-Santé pour favoriser l’accès aux soins des populations nomade du Nord Mali, véritable priorité.  

Les pasteurs nomades des régions septentrionales sont d’une manière générale confrontés à un accès restreint aux services de soins de santé conventionnels, conséquence des  nombreuses contraintes de leur mode de vie : faible fréquentation des structures sanitaires par ces populations qui nomadisent à la quête des pâturages, très loin des chefs-lieux des communes rurales nomades par excellence et des centres urbains.

Ces populations évoluent en dehors des approches des programmes d’information, d’éducation et de communication. Ces outils ordinaires sont pourtant indispensables. Mais en l’état, la nature des prestations et services proposés sur toute l’étendue du territoire national est incontestablement inadaptée au mode de vie de ces populations nomades :

– la couverture sanitaire est déficiente à cause du manque d’infrastructures, de ressources humaines et matérielles à tous les niveaux.
– la mobilité et la dispersion caractérisant ces communautés représentent des facteurs potentiels favorisant d’avantage leur marginalisation en terme de fréquentation des services des soins de santé fixes.
– la plupart des équipes médicales et paramédicales actuellement en poste ne sont pas issue de la communauté Touareg et en méconnaissent non seulement la langue mais aussi les us et coutumes, ce dont  on ne peut faire l’impasse dans la mise en œuvre d’actions de santé efficientes.

De plus, à l’instar de certains pays en développement, le Mali est confronté à nombre de contraintes sociopolitiques et économiques. Nous retenons ici l’avènement de la deuxième république, le soulèvement populaire de mars 1991 associé à des sécheresses et des rébellions armées touaregs survenues de manière récurrente depuis la période coloniale (1916) jusqu’à nos jours. S’ajoute à cela le risque d’enlèvement par des groupes terroristes d’acteurs humanitaires occidentaux… Cette instabilité (socio-économique, politique et environnementale) caractérise ce milieu pastoral dans la bande saharienne. Les risques font partie intégrante de la vie quotidienne des pasteurs nomades, comme pour tous ceux qui interviennent directement dans cette zone.

Au plus proche des populations

C’est dans ce contexte difficile que nous avons décidé de créer en février 2006 l’association Sahara Santé. Nous sommes tous des professionnels (médecins, infirmiers, éducateurs etc.), issus des communautés nomades du nord du Mali. Compte tenu du manque chronique de  ressources humaines locales, c’est important.

C’est ainsi que Sahara-Santé, grâce à une approche adaptée (concept de santé mobile), s’est engagée depuis cinq ans dans l’information et la sensibilisation des populations des campements nomades et localités semi-nomades (élus communaux, chefs coutumiers, religieux, notables, associations de femmes) en vue d’obtenir leur totale adhésion et les inciter à participer durablement à ce projet, avec la mise en place d’un comité de gestion du centre de santé (COGCS).

Une femme nous confiait : « Je souhaite que les agents de santé soient avec nous dans les campements et si cela est impossible, il faut que nous puissions au moins les consulter sans trop de peine et qu’ils parlent bien tamashek (la langue des Touaregs) afin qu’ils comprennent mieux nos plaintes ». L’accessibilité aux soins et la qualité d’accueil dans les centres de santé sont une demande forte de ces populations. Certains résument cette idée à leur façon, mais claire : « on ne peut pas venir chercher des soins auprès de quelqu’un qui est absent. Et quand il est présent, cette personne se conduit comme un commerçant, il te reçoit quand ça lui plait et comme il l’entend… ». Les populations nomades rencontrées au cours de tous nos entretiens mettent d’abord  l’accent sur la qualité et l’efficacité des soins/traitements. Le problème de l’éloignement du centre de santé n’arrive qu’après.

Nous avons par ailleurs constaté que des médicaments ou soi-disant médicaments sont vendus par des personnes qui ne sont ni médecins, ni pharmaciens, ni des agents de santé. Certains patients peuvent certes guérir mais d’autres compliquent leur  mal initial, mésaventure qui se termine au mieux par une évacuation, et ce avec les moyens de bord, vers un hôpital, au pire par un décès. Les populations reconnaissent les dégâts causés par les médicaments achetés aux vendeurs ambulants ou sur les foires. Certains n’hésitent pas à nous dire : « on a vu de nos propres yeux des victimes ici, on a appris le décès d’autres personnes ailleurs, mais on n’a pas le choix, vous même voyez où nous en sommes, sans accès aux soins… Que faire ? ».

Sahara-Santé préconise une approche novatrice et durable, associant action, recherche et formation avec pour objectif la mise en œuvre de meilleures procédures d’encadrement socio-sanitaire, donc adaptées aux nécessités immédiates des populations nomades. Nous définissons des priorités. Par exemple cet engagement en direction des femmes et futures mamans… Selon l’OMS, chaque année, à travers le monde, 130.000 femmes décèdent en donnant la vie, 99% dans les pays en développement, la première cause étant des hémorragies durant l’accouchement. En milieu nomade les statistiques sont muettes. Ce qui en dit long.

La désoccidentalisation de l’aide est en marche,
qu’on le veuille ou non…

Jusqu’à maintenant et malgré de nombreuses sollicitations, l’Etat malien dans le cadre de sa politique de santé n’a pu répondre, pour différentes raisons explicitées ci-dessus, aux besoins spécifiques des populations nomades.

Sahara-Santé propose une prise en charge adaptée par:

– la construction de centre de santé communautaire sur les communes qui en sont dépourvues
– la mise en place d’équipes médicales et paramédicales mobile et issues de la communauté Touareg.

La connaissance des us et coutumes de cette population ainsi que la maîtrise du tamasheq renforce la confiance donc la fréquentation des consultations. La Direction de la Santé au Mali apporte un soutien moral à Sahara-Santé association qui, on l’a compris, se bat depuis plusieurs années maintenant pour réduire les inégalités en terme d’accès aux soins des populations du Nord. Les autorités locales et les chefs coutumiers et religieux ont été approchés dans le respect de la tradition par les membres de notre association. Un véritable dialogue s’est instauré et une volonté de changer les comportements est né.

Deux directions ont ainsi été prises:

– prise en charge des soins de base,
– projet pilote Mère/Enfant sur la commune d’Allata.

Le contexte, dans cette vaste bande sahélienne, est aujourd’hui celui-ci : terrorisme, rébellion, enlèvement d’occidentaux, trafic d’armes, trafic de drogue etc. Cette situation complexe ne doit pas avoir pour conséquence l’oubli des populations nomades. Il faudrait aussi évoquer le sort des dizaines de milliers de personnes déplacées à l’intérieur du Mali ou réfugiées chez nos voisins, le Niger, la Mauritanie. Nous sommes prêts à discuter avec quiconque et à agir pour un renforcement de nos capacités d’intervention.

Depuis les accords de paix signés avec l’Etat malien en 1995, la situation des populations du Nord n’a pas changée. Bamako n’a pas respecté ses engagements et nous avons même assisté à une dégradation des conditions de vie des populations, malgré le financement de projets de développement par les bailleurs occidentaux. Absence de volonté politique, corruption, un Etat absent…  Nous en sommes donc là aujourd’hui : la situation des nomades est dramatique. Les populations sont comme otage et font les frais des combats entre l’armée malienne et le Mouvement National pour la Libération de l’Azawad. Les rares centres de santé ont été saccagés et n’existent plus. La zone est inaccessible aux organisations humanitaires occidentales. Sahara-Santé est toujours présente, avec ses moyens…

 

 

El Moctar Mohamed

El Moctar Mohamed

El Moctar Mohamed est chargé des relations extérieures à Sahara-Santé, vice-président de l’association Tafliste France et assistant socio-éducatif au Centre Communal d’Action sociale de Concarneau.

El Moctar Mohamed

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