Mali : les dangers d’une mise sous tutelle

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« Après conflit » ou « après Mali »? De Bamako, dont je reviens, la perception politique du conflit, de l’intervention – et de ses suites, est curieusement inversée par rapport à Paris. La capitale malienne oscille entre crainte de l’attentat et indifférence sécuritaire, tandis que la vie politique s’intensifie en vue d’une incertaine élection en juillet.

« Reconquérir » le Nord Mali et « détruire les terroristes » -selon le curieux vocabulaire officiel français oscillant entre connotation coloniale et référence bushienne- semble plutôt rapide, même si la campagne militaire est parfois sanglante. Restaurer l’autorité de l’Etat malien est d’autant plus une gageure que l’intervention massive de l’armée française  et de ses supplétifs africains contribue de fait à saper le peu de légitimité du président par intérim- Dioncounda Traoré- et de son gouvernement. A tel point qu’Ibrahim Boubakar Keita, sérieux candidat à une future présidence, ose parler pour l’instant d’un « Etat par procuration ».

De nombreuses maladresses de Paris commencent à entamer la large reconnaissance envers la France et singulièrement envers François Hollande pour son refoulement des colonnes djihadistes qui menaçaient, le 11 janvier dernier, de prendre Mopti et Bamako, et d’y commettre carnage et massacres.

Faut-il vraiment que  le président français et son ministre de la défense atterrissent  à Tombouctou ou Kidal, puis ne fasse qu’ensuite escale à Bamako – réduisant le président par intérim à un rôle de second ou de comparse ? Est il normal que ce soit  Paris qui décide ou annonce pêle-mêle retrait militaire et futures élections, dialogue national avec les touaregs, et même une  prématurée « Commission vérité et réconciliation »? Qu’un ambassadeur de France, peu au courant de la diplomatie courante, interpelle les maliens en voulant interdire les manifestations à Bamako dans le contexte de l’intervention militaire ? Et pourquoi pas tant qu’il y est interdire le jeu forcement conflictuel des partis?

Mais de telles pratiques, déclarations ou actions ne sont-elles pas le symptôme d’un malaise qui au delà du Mali touche jusqu’aux institutions françaises? Il semble que décidément dans l’affaire malienne, c’est aussi en France que le militaire l’a emporté sur la diplomatie, si ce n’est sur le politique. La surexposition médiatique  du ministre de la défense sur le terrain en est un indice, de même que l’épuration récente au Quai d’Orsay de bons connaisseurs africanistes, soutenant une ligne plus critique.

L’analyse de ces derniers rapportait notamment ce que savent bien les maliens: que la « démocratie exemplaire » des 20 dernières années, adoubée régulièrement par  Paris, n’a été que corruption et trucages électoraux, ajustement structurel désastreux et délitement étatique; qu’en conséquence de quoi le putsch du 22 avril, représenté par le Capitaine Sanogo, a été presque unanimement approuvé à Bamako. Que jusqu’à maintenant des représentants de la gauche malienne, comme Aminata Traoré ou le député Oumar Mariko, fermement opposés à la gouvernance de  la CEDEAO et à une gestion autoritaire du pays par la France peuvent mobiliser des foules; que les wahhabites représentent une force dans Bamako et que les djihadistes ont, au delà des trafics de drogue ou d’otages, des motivations religieuses et politiques qu’il faut connaître, ne serait ce que pour les combattre. Qu’enfin l’alliance privilégiée de l’armée française avec le MNLA  créant de fait une « principauté touareg » à Kidal est très mal perçue par l’ensemble des forces politiques à Bamako -les indépendantistes (ou plus récemment autonomistes) touaregs étant bien plus détestés que les islamistes combattants par les partis et même le petit peuple de la capitale.

Tous les observateurs savent que le prétexte juridique de l’intervention française est très fragile: contrairement à d’autres conflits, il ne s’agit que d’une tardive lettre du président par intérim demandant… une aide aérienne, alors que des troupes au sol ont été engagées depuis le début de l’opération Serval. La suite est tout aussi inquiétante, faisant fi de la base sociale wahhabite des groupes armés aussi bien que des conséquences désastreuses d’une nouvelle « guerre nomade » en devenir; en effet, les spécialistes ont depuis longtemps – et en vain – alerté les autorités de Paris sur les dangers d’une expansion régionale du conflit dans le cas où les forces militaires chasseraient les islamistes et les factions touaregs vers les pays proches.

Mais le danger le plus flagrant, pour une large partie de la classe politique malienne, serait peut-être celui de la mise sous tutelle du Mali, non seulement par la France, mais par l’ONU. Là encore, inversion complète entre la perception française et malienne: si pour Paris un cadre onusien permettrait aux forces françaises un retrait partiel et un partage du fardeau financier, les autorités de Bamako-y compris le président par intérim, c’est dire…- s’inquiètent de perdre le peu de légitimité et d’autonomie qui resterait à l’Etat malien. Un dirigeant élu pourrait refuser des forces comme celle de la MISMA; mais  les exemples africains, notamment celui de l’ONUCI en Côte-d’Ivoire, montrent bien qu’un contingent onusien est là pour longtemps, quelles que soient les volontés des leaders nationaux. Que l’ONU peut organiser à son gré des élections sous occupation qui sont parfois, comme l’affirme Bertrand Badie, la « continuation de la guerre par d’autres moyens », y compris dans ses conséquences éventuelles  d’user de la force contre les civils ou les forces armées nationales. Et qu’instaurer au Nord Mali une force d’interposition entre MNLA touareg et armée malienne serait reconnaître implicitement  la partition du pays.

Pour des raisons parfois diamétralement opposées, religieux wahhabites et groupes armés combattants, gauche malienne et nationalistes modérés, ex putschistes et altermondialistes maliens s’opposent à la mise sous tutelle d’un pays à la fierté légendaire qui depuis Modibo Keita -n’a jamais signé  d’accord de Défense avec l’ancien colonisateur. Pour eux tous, une force onusienne représente une dépendance inacceptable, et après Serval, le signe d’une recolonisation rampante.

Qu’on approuve ou non ces analyses, Paris devrait les prendre en compte, faute de sérieux déboires à venir: reconstruire l’armée et l’Etat malien est certainement une alternative, qu’il appartient aux seuls Maliens de décider. Alors seulement  et réellement « en appui », la France pourrait aider -et non imposer- ce processus de reconstruction.