Migrants : dix ans après la fermeture de Sangatte, l’urgence humanitaire pour seule réponse

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Camps de Sangatte
L'urgence humanitaire comme seule réponse

Près de dix ans après la fermeture du centre de la Croix-Rouge de Sangatte, en décembre 2002, l’afflux de migrants ne s’est pas tari. Au contraire… Des « jungles » se sont multipliées dans toute la région, malgré les interventions policières. A Dunkerque, une équipe de Médecins du Monde tente de répondre aux besoins immédiats « sur un mode humanitaire pur et dur » et espère un changement de politique.

Mai 2012. Sous une pluie fine et glaçante, près de Dunkerque, les pieds dans la boue. Nous sommes à Téteghem, à l’entrée de l’un des deux campements de migrants de l’agglomération. Celui-ci est coincé entre un lac et une autoroute. Des bénévoles de l’association Salam distribuent nourriture et vêtements. Une ambulance de Médecins du Monde est assaillie par une foule d’hommes en quête de brosses à dents, savons et paires de chaussettes. Francis Avonture, solide gaillard, chauffeur ambulancier bénévole, fait gentiment la police dans la file d’attente pour les consultations avec le médecin.

Cécile Bossy, coordinatrice des programmes MdM sur le littoral, fait le tour du campement pour distribuer des kits de survie et des tentes. « Où dormez-vous ? Qui a besoin d’une tente? ». Un garçon, 17 ans à peine, la croise sur le chemin boueux. « Vous voulez une tente? ». Il fait signe que non, dit qu’il a mal aux jambes. Il revient de Belgique, une dizaine de kilomètres à pied, après avoir tenté le passage. « On apprend à dormir debout », lâche-t-il, mi-amer, mi-bravache.

Le visage de la jeune femme est connu sur le campement. Ceux des migrants qui se débrouillent en anglais font le lien. « Là-bas, il y en a quatre qui viennent d’arriver, ils n’ont rien ». Ce sont des syriens, arrivés la veille. Lorsque Cécile Bossy leur tend une tente et des duvets, de larges sourires se forment. « Merci! Thank you! ». Des bénévoles de MdM donne le coup de main. Des rires fusent quand on se rend compte que la tente est montée à l’envers. On se tape sur l’épaule, et on recommence l’opération.

 Aider, dans la limite du toléré…

Un jeune Afghan, 25 ans au plus, vient plaider sa cause. Après quelques minutes de discussion, il repart avec une tente en bandoulière. « Il faut prendre garde à ne léser personne tout en donnant à ceux qui en ont vraiment besoin », expose Cécile Bossy. Elle doit en plus s’assurer de rester dans les clous de l’accord plus ou moins tacite passé avec les autorités.

La mairie met à disposition un réservoir d’eau. Des latrines et des douches ont été construites. Le minimum de base, le « Watsan » en jargon d’ONG internationale (water and sanitation). A force de négociations, MdM a pu monter en janvier des cabanons de bois sur les deux sites autour de Dunkerque. Ils ont même été chauffés, mais seulement jusqu’au 15 mars. « On intervient ici sur un mode humanitaire pur et dur, comme on le fait en Haïti ou ailleurs », résume Cécile Bossy, qui précise que « la capacité d’accueil en cabanon est actuellement de 21 places, sur chaque site ». Mais aujourd’hui, l’afflux est important à Téteghem. Ils sont au moins une soixantaine à se serrer autour des feux de bois sur lesquels on chauffe l’eau du thé et on tente de faire sécher les chaussures trempées par les courses de la nuit.

Et lorsqu’il y a plus de 40 personnes sur le camp, le risque est de voir rapidement débarquer la police pour une opération de « nettoyage ». C’est arrivé le 13 avril. Une pelleteuse a défoncé les bâches installées par les migrants, déchiré les tentes distribuées par MdM et l’AMiS, une association d’habitants. Une semaine après, la « jungle » avait retrouvé son aspect initial… Il faut parfois beaucoup de ténacité pour ne pas baisser les bras. « Si l’on ne fait pas gaffe, c’est un job qui peut rapidement « cramer » quelqu’un », concède Cécile Bossy, avant de continuer son inspection.

« On cherche les plus vulnérables, qui n’osent pas se présenter ». La veille, elle a « découvert » un couple d’Iraniens avec un bébé de trois mois. « On les a emmené immédiatement à l’hôpital. Le bébé allait bien, mais ils ont refusé les solutions d’hébergement qu’on leur a proposé : ils voulaient passer le soir même en Angleterre ». Ils sont introuvables. Apparemment, ils sont passés.

Au même moment, à l’entrée du camp, les consultations se succèdent dans l’ambulance. Shakir, un Afghan de 16 ans, est arrivé dans le Nord il y a trois semaines. Il a des démangeaisons à l’oreille. Dans un anglais simplifié, avec force gestes, le Dr Benoît Savatier lui remet plusieurs boîtes de médicaments et d’onguents sur lesquels il a tracé des dessins. Les problèmes dermatologiques sont légion. La galle est répandue, sans atteindre un seuil épidémique grave. « Les gens se repassent les duvets, ça n’aide pas », note ce médecin généraliste à Grande-Synthe, qui intervient aux côtés de MdM depuis 2006. Lorsque les cas sont graves, le médecin dirige les migrants vers la PASS locale (permanence d’accès aux soins, dispositif ouvert à tous). Mais, « il vaut mieux qu’ils soient accompagnés par un bénévole ou un permanent. Il y a parfois une sorte de mépris, de charité mal comprise… », observe le médecin.

Au début, il faisait la tournée avec sa voiture et les consultations se déroulaient « derrière le coffre ». « L’ambulance permet de retrouver de l’intimité », ce qui est d’autant plus important que certains sont « pris dans des rapports de domination ou victimes de violences sexuelles ».

 Violence omniprésente et harcèlement policier

Cet après-midi là, une quinzaine de migrants se sont succédés en consultation devant le Dr Benoît Savatier. Comme d’habitude, il y a « beaucoup de traumatologie. Entorses, fractures, douleurs dorsales… Les gens se blessent la nuit, lorsqu’ils tentent le passage. Il y a aussi des bagarres. Et puis beaucoup se blessent dans les courses poursuites avec la police, ou lorsqu’ils sont arrêtés. La violence est omniprésente ».

En juin 2011, MdM a saisi le défenseur des Droits, Dominique Baudis. Une démarche menée à la suite des « No Border » et du Gisti*. La saisine de Médecins du Monde concerne Calais, et le « harcèlement de la part de la police qui empêche [les migrants] de s’établir ne serait-ce que pour quelques heures et qui détruit leur matériel de première nécessité »*. « Nous ne sommes pas là pour juger, ni pour prendre parti. On récolte la parole, on constate les problèmes : c’est notre mission de témoigner », insiste Cécile Bossy. Le défenseur des Droits devrait donner ses conclusions en juin, mais l’avis ne sera que consultatif.

« Depuis 2002, et la fermeture de Sangatte, qu’est-ce qui a changé ? Rien », martèle Mathieu Quinette, coordinateur de la mission MdM Dunkerque de 2009 à janvier 2012. Désormais chargé de missions d’évaluation au sein de MdM France, il a profité de quelques jours de congé pour revenir à Dunkerque. Son engagement est intact, sa vision sans concession. « A Sangatte, en trois ans, 67.500 personnes sont passées. C’était il y a dix ans. Si le flux a été constant, on parle de combien ? 100.000, 200.000? ». La théorie de « l’appel d’air » que constituerait la mise en place de structures d’accueil dignes est, pour lui, un non-sens. « C’est un problème complexe. Mais l’État a préféré le nier, le rendre invisible, en dépensant des sommes colossales dans la machine répressive, sans résultat sauf l’atteinte aux droits. Nous sommes face à une situation humanitaire exactement comparable à ce que l’on peut observer dans des pays en situation de conflit ».

(*) La saisine du défenseur des Droits par Olivier Bernard, président de Médecins du Monde.
Rapport « Calais, cette frontière tue », (juin 2011) sur le site du Syndicat de la magistrature.

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Matthieu Millecamps

Matthieu Millecamps

Matthieu Millecamps est journaliste.