Migrations zimbabwéennes en Afrique du Sud

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Situation explosive…

Par Eric Goemaere… Chaque jour, des milliers de Zimbabwéens traversent la frontière, beaucoup au péril de leur vie, fuyant l’effondrement économique, l’absence de services de santé, les intimidations et parfois les sévices politiques perpétrés par les bandes alliées au Zanu-PF. On estime à 1,2 millions le nombre d’entre eux qui tentent de survivre sur le territoire sud-africain (1), véritable exode national d’un pays qui compte 12 millions d’habitants et dont les chiffres de population stagnent voire régressent depuis 10 ans (2).

Une situation humanitaire grave qui s’est progressivement dégradée , occultée par la politique de diplomatie silencieuse et de normalisation  menée par le Président Thabo Mbeki et que beaucoup voudrait considérer comme résolue aujourd’hui suite à la formation d’un  gouvernement unitaire à Harare… La politique officielle d’Afrique du Sud jusqu’au début de cette année a été de contenir au  maximum l’exode : les Zimbabwéens trouvés sans papiers étaient systématiquement arrêtés, ramenés dans des centres de détention et déportés à la frontière. Changement radical dès Avril 2009 : le ministère de l’Intérieur annonce, sous la pression de nombreuse ONG et d’organisations des droits de l’Homme, une dispense spéciale pour les Zimbabwéens trouvés sans permis et l’arrêt immédiat des déportations.

Le statut de migrant en Afrique australe

La migration en Afrique australe est un phénomène ancestral, traditionnellement saisonnier (périodes de récoltes différentes vu le contraste des climats) et opportunités d’emplois locaux crées par les mines d’or, de diamant et aujourd’hui de platine en Afrique du Sud et au Botswana. L’effondrement politique et économique du Zimbabwe, autrefois importateur net de migrants, a profondément modifié ces flux tant en nombre qu’en nature : obligés de s’exiler  pour raisons économiques  ou pour  fuir la répression policière, les flux sont aujourd’hui déconnectés des possibilités d’assistance et d’emplois.

Désireux aussi de repasser la frontière de façon  régulière et de se ménager la possibilité de rentrer a tout moment au pays, peu d’entre  eux seront reconnus par un statut de réfugiés pour ne jouir que d’un statut de migrant économique ne leur conférant aucun droit de protection ni d’assistance particulier par les agences des Nations Unies mandatées a cette fin, principalement l’ UNHCR.

De plus, la situation sociale  extrêmement tendues qu’entraîne cette migration  n’encourage pas le Gouvernement à confier la gestion de la situation à des agences étrangères ni même a leur demander de l’assistance (3). L’absence de statut reconnu entre réfugiés et migrant économique, malgré un flux dit ‘mixte’, expression  de raisons certes mélangées entre répression politique et survie économique, laisse le champ libre aux réactions arbitraires des autorités locales et au déni de responsabilités des agences internationales.

La situation sur la frontière zimbabwéenne

Le risque de déportation obligeait les migrants à passer la frontière clandestinement, après avoir traversé la rivière Limpopo, infectée de crocodiles et à  aménager des trous dans les différentes rangées de barbelés qui bordent la frontière, dont certaines électrifiées. Ce passage ne pouvait  s’effectuer qu’avec l’aide de mafias locales, disposées de part et d’autre de la frontière, appelée « gouma-goumas » responsables d’extorsions quasi systématiques et bien souvent de viols. Depuis que cette politique d’arrestation et de déportation systématique a été suspendue, les cas de viols qui se présentent à la clinique spéciale ouverte par MSF à Musina, ville frontière, sont en nette diminution (4) de même que les blessures liées au passage traumatique de cette frontière. Si les documents de voyage restent difficiles a obtenir du côté Zimbabwéen,  la situation a évolué favorablement du côté Sud Africain avec la délivrance rapide  d’un permis temporaire de 6 mois.

L’effet immédiat a été la fin d’un camp improvisé en plein air dans la ville de Musina où les équipes de MSF ont compté jusqu’à  4.000 migrants, certains entassés là depuis plus d’un mois alors qu’une  assistance minimale par les ONG et agences UN étaient bloquée par les autorités locales, craignant la création d’un camp permanent au cœur de la ville.

Johannesburg, la ville-phare en bout de route

Si certains migrants optent pour des travaux saisonniers dans les fermes qui bordent la frontière, les plus vaillants se lancent en direction de Johannesburg, 580 kms au Sud de la frontière, aussi appelée ‘Egoli’ ou la ville de l’or, trajet que la plupart feront à pieds. Ceux munis d’une autorisation temporaire ne sont plus pour l’instant arrêtés ni déportés ce qui leur permet de marcher le long de la route alors qu’ils devaient faire ce trajet autrefois à travers la campagne, les forçant à traverser les  réserves privée s animalières peuplées de lion.

Arrivés à Johannesburg, ceux qui n’ont ni famille ni connections seront le plus souvent sans autre recours que d’aller  s’entasser dans les buildings abandonnés (5) au centre ville ou dans les townships qui peuplent la périphérie de Johannesburg. Parmi ces buildings, l’un d’eux a retenu l’attention des médias ces derniers temps puisqu’il  s’agit d’une église gérée par l’Eglise méthodiste. MSF y a installé un dispensaire et  recense tous les soirs entre 2500 et 3000 migrants qui s’y abritent à même le sol pour  la nuit, évitant ainsi les harassements de la police pour vagabondage.

Une fois l’abri trouvé, ces milliers de migrants vont chercher désespérément une source de revenu, le plus souvent  informelle, pour tenter d’accumuler  quelques centaines de rands à la fin du mois et les envoyer à la famille restée au Zimbabwe où ce maigre butin fera bien souvent survivre une famille étendue.

Tensions sociales et explosions xénophobes

L’architecture sociale de l’Afrique du Sud se distingue par une très grande disparité entre riches et pauvres (indice Gini le plus élevé au monde avec la Namibie) (6) et une urbanisation accélérée (plus de 70 % habite principalement autour des villes), produit d’un développement économique hérité du régime de l’apartheid où la majeure partie des investissements créateurs d’emploi ont été faits dans les villes.

La migration transfrontalière s’inscrit donc dans un contexte de migration internes lui- même beaucoup plus important en nombre : la ville de Johannesburg a ainsi connu un accroissement de sa population de 23 % durant les 6 dernières années, sans bien sûr que le marché de l’emploi ne suivent la même tendance ni l’offre de services de santé (7) ou d’éducation.

S’ensuit une compétition féroce sur le marché des emplois occasionnels, les étrangers étant laissés sans choix pour accepter des salaires bien au dessous du salaire minimum, ainsi que pour l’accès aux autres services sociaux. Au sein des services de santé publique, par ailleurs complètement saturés (8), les attitudes discriminatoires vis à vis des étrangers sont la règle malgré des instructions officielles, basées sur une des Constitution les plus généreuses au monde, ouvrant les services de soins de santé primaires gratuits à toute personne sur le territoire. Dans les townships et au centre ville, la tension est à son comble : toute rumeur sera l’étincelle qui mettra le feu au poudre et déclenchera une chasse aux étrangers. Si les événements de mai 2008 ont fait le tour médiatique de la planète, des incidents violents de nature xénophobe continuent à émailler le quotidien même si  à moindre échelle à ce stade (9).

Juin 2010 et la coupe du monde

La coupe du monde de football, entraînant par ailleurs des dépenses domestiques exorbitantes pour la création de stades gigantesques, aura probablement été temporairement  bénéficiaire à la cause des migrants : grands chantiers créateurs d’emplois mais aussi une volonté politique de contrer par tous les moyens l’image de violence associée à l’Afrique du Sud. La réaction policière face à ces foyers de violence est aujourd’hui sans ambiguïté : arrêter au plus tôt la violence et banaliser la situation par tous les moyens.

Mais la ‘fête’ risque d’être de courte durée et la  tension ne fera que s’exacerber une fois la compétition terminée car aucun des problèmes structurels n’aura été réglé. On peut alors s’attendre à une politique plus ‘réaliste’ des autorités sud-africaines, et donc plus répressive face aux migrants zimbabwéens alors que les services sociaux auront peu ou prou profité de la manne financière venue avec la Coupe (10).

Reste à espérer que ce sera l’occasion pour les centaines de milliers de supporters de se rendre compte de l’ampleur des problèmes posés par la migration auxquels font face certains pays africains, sans commune mesure avec les quelques centaines qui tentent toujours de rejoindre le continent européen et qui pour la plupart seront repoussés à la mer par tous les moyens. La coupe du monde participera peut-être  à réduire cette cécité, privilège des forteresses européennes, et à induire une solidarité financière internationale qui serait la bienvenue pour faire face à l’effondrement d’un  pays entier. Où sont les émotions  autrefois exprimées pour les boat people vietnamiens ?

(1) Forced migration study, Wits University

(2) Source World Bank , Development indicators 2008.

(3) Il en résulte une paralysie opérationnelle des agences de Nations Unies, réduites à lancer un appel de fonds international  dont le document traîne dans les cartons depuis bientôt un an sans aucuns résultats.

(4) Rapport mensuel MSF M’usina.

(5) De nombreux buildings laissés à l’abandon ont ‘té identifiés par les équipes MSF. Objet de pure spéculation sur le terrai, leur propriétaire laisse le building a l’abandon. Ils seront  squattés par  les migrants, parfois entassés à plusieurs milliers par building, et exploités par des maffias locales.

(6) Source : CIA. Govt. library.

(7) Pas d’augmentation de centres de santé publique dans le district central de Johannesburg durant la même période.

(8) Même si illégale, les médecins du service public se sont mis en grève au mois d’Août pour protester contre des conditions d’emploi allant jusqu’ à 80 heures sans repos.

(9) Rien que durant le dernier mois, violences xénophobes à De Doorn dans le Western cape (600 déplacés, suite à des menaces réitérées après que 6 migrants aient été brûlés vifs en Février) et à Polokwane dans le Limpopo (300 déplacés et plusieurs blessés graves).

(10) La construction  de l’hôpital de Khayelitsha, large township proche de Cape Town ou travaille MSF depuis 10 ans à été arrêtée durant 2 ans faute de fonds, ceux-ci ayant été dirigés en priorité pour la construction du stade. Allocution du Ministre des travaux publics, M. Fransman, Décembre 2007.

Eric Goemaere, MSF South Africa Medical Coordinator

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La rédaction de Grotius International.

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