Mohammed VI ou l’histoire d’un espoir déçu

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Le Maroc de Mohammed VI
Le Maroc de Mohammed VI

Pour mieux comprendre la situation politique actuelle au Maroc, dans le cadre des bouleversements historiques que vit l’Afrique du Nord, il serait bon de revenir à un ouvrage de référence pour se doter des clés de lecture les plus objectives et les plus complètes. Le Maroc de Mohammed VI, que les éditions de La Découverte viennent de rééditer, est cet ouvrage. Son auteur, l’historien spécialiste de l’Afrique du Nord Pierre Vermeren, a ajouté une postface inédite pour faire le lien entre ses premières analyses parues en 2009, et l’actualité de cette année. Il remarque dès l’introduction : « Vingt mois après la première publication de cet ouvrage, les mécanismes qui y ont été analysés n’ont cessé de se déployer. » De quels « mécanismes » s’agit-il ?

L’auteur commence par l’allégeance faite au roi, figure sacrée au Maroc. Selon Vermeren qui se base notamment sur des éditoriaux de la presse marocaine, Mohammed VI renforce et protège son pouvoir grâce à un mécanisme de cooptation. Les archaïsmes de la structure politique sont maintenus ; la promesse d’évoluer et de moderniser les structures monarchiques n’ont pas été tenues. Parmi ces promesses : la distribution des richesses du roi Hassan II – le défunt père de l’actuel monarque – aux Marocains, la lutte contre la pauvreté, la liberté de la presse. Pierre Vermeren remarque cependant que le roi se sentirait vraiment lié à la vie de ses « sujets » et serait affecté par la pauvreté du peuple. La corruption à laquelle se livrent les dirigeants des forces de sécurité est une plaie dans la monarchie marocaine : « Mais leur loyauté est à la mesure de leur pouvoir et de leur liberté de s’enrichir. H. Benslimane est le patron de la gendarmerie royale. Avec ses 20 000 hommes, il tient le bled. »

Le nouveau roi continue à restreindre les « contrepouvoirs ». Les partis politiques sont affaiblis et marginalisés. C’est le Palais qui décide de qui sera élu et représenté au gouvernement et au Parlement. La presse, après une courte ouverture, a été rappelée à l’ordre avec moult procès qui se sont clos sur la condamnation des journalistes poursuivis à de la prison ferme, et des journaux à de fortes amendes, les contraignant parfois à mettre les clés sous la porte. La fragilisation de l’opposition, à laquelle s’ajoutent les conditions sociales difficiles, a renforcé les rangs du Parti de la Justice et du Développement (PJD). Néanmoins, le parti islamiste a été longtemps maintenu à l’écart de la vie politique. Il a fini par rentrer dans le rang en s’inclinant devant l’autorité absolue du roi.

Le Maroc de Mohammed VI développe toute une partie sur la diplomatie du royaume, notamment sur ses relations singulières avec Israël. Si les Etats-Unis sont en mesure de faire pression sur Rabat au point de le contraindre à réorienter sa politique, la France continue à jouir d’un poids exceptionnel dans le destin marocain. En plus des portraits de personnalités médiatiques et politiques brossés dans des « encadrés », Pierre Vermeren insiste sur Mohammed Qotbi, le Monsieur France du Makhzen. C’est lui qui est chargé de constituer des « relais d’influence » à Paris.

Ces derniers sont constitués de politiques et de journalistes. Des voyages leur sont offerts pour redorer le blason de la monarchie sur le plan international. Dans un chapitre intitulé « Le syndrome Notre ami le roi », reviennent des noms connus du public français : Hubert Védrine, Dominique de Villepin, Bernard Henri-Lévy, Ali Baddou, Nicolas Demorand, Djamel Debbouze, etc. Même si le royaume a « peur d’une recolonisation franco-espagnole », sa fragilité économique aggrave sa dépendance aux capitaux étrangers. D’où la nécessité de se lier d’amitié avec les puissances étrangères. Le Maroc a ainsi fini par céder son économie aux multinationales. Chose dont le Palais est conscient comme le prouve une déclaration de l’ancien homme fort de Hassan II. Driss Basri a reconnu que les « Français ont tout acheté, plus rien ne leur échappe ».

Le Maroc de Mohammed VI énumère et analyse avec pertinence tous les mécanismes qui bloquent le développement du royaume alaouite. Grâce à l’ouvrage de Pierre Vermeren, le lecteur comprendra plus facilement la méfiance des Marocains après l’annonce de la réforme constitutionnelle initiée par le roi. Une réforme qui semble entrer dans un long processus de jeu de dupes, où la société civile est l’éternelle perdante.

 

Ali Chibani

Ali Chibani

Ali Chibani, auteur du recueil poétique L’Expiation des innocents,
est docteur en littérature comparée avec une thèse soutenue à la Sorbonne et intitulée Temps clos et ruptures spatiales dans les œuvres de l’écrivain francophone Tahar Djaout et du chanteur-poète kabyle Lounis Aït Menguellet. Il collabore au mensuel Le Monde diplomatique, aux sites web SlateAfrique.fr et Tv5 Monde, ainsi qu’à la revue Cultures Sud. Il a également co-fondé le blog littéraire La Plume Francophone.