MSF : Humanitaires sans aucun doutes

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Le 1er Octobre dernier, Médecins Sans Frontières (MSF) lançait une campagne de communication  « SANS vous, pas de Médecins SANS Frontières» utilisant journaux, magazines, TV, radio, web,  affichage… MSF appelait à la générosité des Français afin de poursuivre ses actions d’urgence et « ses engagements à long terme comme la lutte contre la tuberculose, la malnutrition ou le VIH/sida ».

«Nous sommes des médecins SANS préjugés, SANS hésitation, SANS renoncement, SANS rendez-vous, SANS, armes, SANS relâche… Mais SANS vos dons, nous ne pouvons être Médecins SANS Frontières »clamait l’ONG. Cette campagne renouant historiquement dans sa forme avec les grandes prises de paroles des ONG, il m’est apparu intéressant de l’analyser pour tenter de savoir si elle pouvait être un « marqueur » de l’évolution des campagnes de publicité des ONG humanitaires en France.

 Le « point de vue »

De quel point de vue s’agit-il ? Le point focal reste l’action des membres éponymes de l’association dans un décor censé représenter l’environnement dans lequel ils exercent, à l’inverse de celle d’ACF, précédemment analysée pour Grotius International, et dont l’objet focal était un enfant nécessitant l’intervention de L’ONG. On le voit ici, le sujet de prédilection des ONG est généralement elles-mêmes ou leurs « bénéficiaires » dans une réalité parfois aménagée, transformée voire symbolique comme nous en évoquions le principe dans l’article concernant Amnesty International.

Mais dans ces choix de « points de vues » de gens du Nord qui s’adressent à des gens du Nord,  de multiples possibilités s’offrent aux ONG qu’elles ne retiennent pas, pour la plupart, mais qui (pré)existent néanmoins. Par exemple, celles de montrer comment et grâce à qui,  en interne comme en externe, ces médecins peuvent faire ce qu’ils font. De facto, les inconnus et les invisibles des ONG, y compris le donateur lambda, font partie de ceux et celles qui rendent possible l’action.

Et sans eux cela ne le serait pas. Cela eut été une innovation de les associer visuellement à ce dispositif et d’exprimer le fait que derrière le don se trouve un donateur parfois très concerné, derrière un médecin une équipe souvent très motivée. Comme le dit pourtant l’association : « SANS dons, pas de médecins SANS frontières » mais cela relie juste l’action de l’ONG à un geste pécuniaire ce qui rétrécit bien d’autres engagements à la seule faveur financière.

Les codes

La forme du message n’est pas non plus révolutionnaire mais permet à tout un chacun de décrypter les signes d’une campagne d’image d’une organisation de solidarité internationale, d’une action humanitaire reliée à MSF.

L’accoutrement des humanitaires est bien présent et ‘logotypé’, l’imaginaire collectif de l’action correctement représenté tel que le public se l’imagine et qui est, il faut le reconnaître, typique de : l’uniformisation standardisée de ce secteur et de la confusion entre toutes les ONG humanitaires (ce que l’on appelle aussi la non discrimination, la non différenciation).

Le fond du décor est en place avec des populations africaines, des victimes de conflits auprès desquelles le médecin va pourvoir exercer son talent et ses compétences. Mais n’est-il pas ici nécessaire de changer justement ces codes ? D’une part pour les dénoncer comme un cliché, et d’autre part pour modifier le point de vue et la perception de ceux et celles qui sont confrontés à ces visuels?

Le monde bouge et l’action des humanitaires aussi. Son expression ne peut être inamovible et collective, comme le serait celle d’une époque plus proche d’une carte postale ancienne, d’une imagerie de Doisneau ou d’un soldat de la grande guerre et son iconographe de l’ennemi définissant pour le plus grand nombre une seule réalité des choses.

C’est peut être excessif, on pourrait en convenir, mais il est indispensable que les humanitaires et MSF en grande sœur (pour ne pas dire leader) et ONG de référence se doivent de construire sinon participer à la nouvelle illustration de l’humanitaire tout en défendant leurs spécificités. Nourrir les esprits de ces nouvelles formes d’actions engagées est tout aussi vital que l’intervention purement médicale que permettent les 560 000 donateurs de MSF. Mais il est aussi fondamental, à mon avis, de compléter cette image du médecin blanc qui aide les malheureux de couleurs. N’y a t-il donc nulle part des médecins noirs qui soignent des blancs ou de Médecins de couleurs SANS Frontières ? Et si en fin de compte et malheureusement les choses n’avaient pas beaucoup changé, n’est-il pas de notre devoir de s’en inquiéter ?

 Le marquage

Dès lors, si l’on ne peut pas dire que dans son iconographie cette campagne modifie les champs des représentations (et de perceptions) ou nous invite à une nouvelle prise de conscience autre que celle laissant à penser que les modes opératoires ne changent pas, elle nous offre toutefois un marquage de l’autoportrait que se font d’eux mêmes les humanitaires et des frontières qu’ils s’imposent depuis près d’un demi siècle. Cependant, et sans aller trop vite en besogne,il convient de constater que les thèmes abordés viennent pondérer cette critique.

En effet, la prise de parole qui tend à défendre les principes de l’ONG,est, en revanche, en phase avec son époque. Sans préjugés, sans hésitation, sans renoncement, sans rendez-vous et sans relâche ne sont pas des déclarations d’intentions. C’est une manière extrêmement forte d’exprimer qui l’on est et sa détermination. Proclamations qui remettent toutes les images en profondeur et qui régénèrent un sens perdu ou oublié du mandat et de la motivation humanitaire.

En cela, cette campagne pourra servir de marqueur pour toutes les déclarations qui y seront postérieures, bien sûr pour MSF mais aussi pour tout le secteur. Cette campagne réalisée par Rosapark et Maxyma pour un budget relativement conséquent est très efficace bien qu’ambivalente parce que la peinture qu’elle propose de l’humanitaire contemporain semble plus régulier que séculier. Elle confirme sans aucun doutes l’appartenance de MSF à ce qu’il est convenu d’appeler « l’humanitaire », ce qui le définit selon l’ONG et qu’elle nous appelle à partager.

Bruno David

Bruno David

Bruno David, président fondateur de l’association Communication Sans Frontières, a enseigné en Master II des universités de Evry, Créteil (Paris XII), Paris Dauphine, l’IEP de Grenoble, Oxford Brookes.