Nelson Mandela (déjà) mort…

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Nelson MandelaLa légende sud-africaine était révolutionnaire à plus d’un titre. Et d’abord, parce qu’il a fait ce que peu de dirigeant d’une lutte armée n’ont osé faire : changer.

Avec Nelson Mandela disparaît l’un des grands héros révolutionnaires du siècle. Il avait eu l’audace, à hauteur d’homme, de renoncer à la violence, de changer de ligne politique et de s’y tenir, de prendre le pouvoir par les urnes et de le quitter aux termes de la loi. Bref, de devenir un homme d’Etat, sur un continent où les seigneurs de la guerre ne changent que rarement, pour le malheur et le ressentiment des peuples.

Voit-on ce qu’il avait d’exceptionnel, cet homme ? Oui, il a dû passer un bon tiers de sa vie d’homme dans une cellule, sous la garde de matons abrutis. Mais ce n’est pas seulement pour cela que l’on devrait l’admirer et célébrer sa mémoire, au-delà de l’Afrique. Mandela n’est pas un Christ noir, ayant souffert pour les siens et devant être vénéré pour son endurance au malheur. Ce serait le mépriser un peu. Mandela était un homme qui parle, qui écrit et qui pense. Un avocat engagé en politique, que la dictature raciste qui dirigeait l’Afrique du Sud a condamné en toute logique, en vertu de lois ignobles.

Après douze ans de résistance pacifique, le Parti national avait réduit l’ANC à se soumettre ou se battre. Il avait choisi, l’ANC avait pris les armes. A l’extrême violence du racialisme bourgeois, Mandela répondit par la violence organisée. Mais ce choix radical n’a pas emporté sa vie. Libéré et son pays transformé par l’éveil de quelques consciences, il s’est présenté à l’élection présidentielle, l’a remportée, a gouverné et pris sa retraite au terme de son mandat. Entre-temps, il n’avait renoncé à rien, sinon à l’usage des méthodes maquisardes et de la rhétorique guerrière. La violence avait eu son moment. En son temps et en son lieu, jusqu’à son terme. Alors il a fallu réinventer le combat, reconstruire ses modèles, inventer la vie publique — se convertir à la paix civile et à la démocratie représentative.

On pourra dire ce que l’on veut de ses erreurs de Président ou de ses lacunes de chef. Il reste qu’il a établi un exemple, un modèle de vie humaine, exemplar humanae viatae dont peu de dirigeants révolutionnaires peuvent se targuer. Fidel Castro lit encore les journaux pendant que son petit frère bureaucratise. Issayas Afeworki se perd dans sa psychose, quelque part dans un bunker d’Erythrée. Dans ces conditions, les inévitables hommages qui proviendront de quelques palais présidentiels terrorisants sont le parangon du cynisme. En toute logique, ils devraient déclarer que Mandela était un déserteur. Et les fleurs envoyés par les démocrates imbéciles ne seront pas plus sincèrement parfumées. Eux, qui ne voient pas que la violence économique est devenue aussi insupportable que le racisme d’Etat, feraient bien de méditer.

Nelson Mandela était un révolutionnaire, tout au long de sa vie. Il a lutté pour la dignité des faibles, par les moyens changeants et dans l’urgence que l’histoire requérait. Que ceux qui ne font pas cela se fasse aujourd’hui tout petits, ou alors qu’ils admettent publiquement, dans leurs éloges, qu’ils ne sont pas de la trempe de Madiba.

Léonard Vincent

Léonard Vincent

Léonard Vincent est journaliste, ancien responsable du bureau Afrique de RSF.
Il est l’auteur du récit « Les Erythréens » paru en janvier 2012 aux éditions Rivages.

Léonard Vincent

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