Perenco au Guatemala : ombres et lumières d’un contrat pétrolier…

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Femme Q'eqchi' réclamant la fin des déplacements forcés. © Collectif Guatémala

« Exploiter le pétrole coûte que coûte ». Tel est le titre du rapport sur les conséquences sociales et environnementales des activités de l’entreprise Perenco Guatemala Limited publié par le Collectif Guatemala… C’est en 2001 que l’entreprise pétrolière franco-britannique Perenco commence à exploiter au Guatemala, suite au rachat de l’entreprise Basic Resources.

Entreprise quasiment inconnue en France, Perenco avait également maintenu un profil discret au Guatemala, jusqu’au début de l’année 2010, quand s’ouvre le débat pour le renouvellement du contrat 2-85. Le contrat 2-85 concerne une quarantaine de puits situés dans le Parc National Laguna del Tigre, dans le département du Petén, au nord du pays. Ce parc est une zone naturelle protégée par la loi guatémaltèque sur les zones protégées de 1989 et par la convention internationale de Ramsar sur les zones humides d’importance mondiale. En effet, la Laguna del Tigre est la plus grande zone humide d’Amérique centrale et la seconde d’Amérique latine, après le Pantanal du Brésil.

Ce contrat aurait dû prendre fin en août 2010, après 25 ans d’exploitation. De plus, les puits étant en zone protégée, tout renouvellement semblait impossible. Mais Perenco s’est appuyé sur la loi dite «FONPETROL»(1), existant depuis 2008. Cette loi a pour objectif de réguler de manière plus claire les bénéfices liés à l’exploitation du pétrole. Cependant, elle comporte aussi différents éléments qui contredisent d’autres lois et principes législatifs, notamment de conservation de l’environnement. Cette loi a été fortement encouragée par Perenco, les grands lobbys guatémaltèques réunis dans le CACIF, ainsi que par des députés du Congrès (2).

Début mai 2010, quatre spécialistes des zones humides, envoyées par la Convention Ramsar, se sont rendues au Petén. Déjà en 1997, lors d’une première mission à la Laguna del Tigre (3), les experts de Ramsar avaient recommandé aux autorités de ne pas renouveler ou liciter de nouvelles zones d’exploitation pétrolière dans a région. En outre, cette première étude relevait également les impacts de l’exploitation pétrolière sur l’environnement et notamment, les émissions excessives d’oxyde d’azote et d’oxyde de soufre dans l’air, ainsi que la pollution des eaux environnantes.

La mission de deux jours de Ramsar en mai 2010 est arrivée aux mêmes conclusions: l’activité pétrolière n’est pas compatible avec le maintien et la sauvegarde d’une zone naturelle protégée. Selon l’une des expertes, « l’activité pétrolière a généré des impacts négatifs dans la région. »(4)

Puis, début juillet 2010, la presse nous apprenait que le plan de gestion de la Laguna del Tigre, c’est-à-dire le plan de travail que le Conseil National des Zones Protégées (CONAP) devait utiliser pour gérer le parc entre 2007 et 2011, avait été falsifié par le propre secrétaire exécutif du CONAP (5). Ces modifications étaient destinées à démontrer que l’activité pétrolière n’était pas une menace pour la région. Malgré cela et alors que trois de ses ministres expriment leur désaccord lors du vote, le président de la République Álvaro Colom décide la reconduction du contrat 2-85 le 22 juillet 2010. Peu après est annoncée la formation d’un « Bataillon Vert », de 250 soldats d’infanterie, afin d’assurer le contrôle et la protection du Parc National Laguna del Tigre.

La création de ce nouveau corps armé a été facilitée par l’apport financier de Perenco, formalisé par les différents accords ministériels de reconduction du contrat. Cette subvention prend deux formes : la donation, en septembre 2010, de trois millions de dollars pour l’installation du Bataillon Vert dans le Parc National (6), ainsi qu’une contribution de 0,30 dollars par baril de pétrole produit, destinés au maintien du Bataillon(7). Ce mélange des genres se constate sur le terrain. En effet, l’embarcation qui permet de traverser la rivière pour rejoindre le Parc National est contrôlée par l’armée et manœuvrée… par des travailleurs de Perenco.

Cette remilitarisation de la région est un pas de plus dans la stratégie de l’exécutif d’augmenter les effectifs militaires dans le pays, stratégie en désaccord avec l’esprit des Accords de Paix de 1996, qui voulaient replacer l’armée dans son rôle traditionnel de protection du territoire national et non plus dans une tâche de sécurité publique. Sur le terrain, la situation est délicate en raison des différentes menaces qui pèsent sur la population : pétrole, militaires, trafiquants de drogues… Nombreux sont ceux qui aimeraient voir les populations de la Laguna del Tigre quitter les lieux.

Soldats devant le détachement militaire de la Laguna del Tigre @ Collectif Guatémala, novembre 2010
Soldats devant le détachement militaire de la Laguna del Tigre @ Collectif Guatémala

D’ailleurs, plusieurs communautés de la zone ont déjà connu des tentatives d’expulsion violente par les forces publiques. Ces expulsions sont facilitées par l’incertitude juridique qui entoure la titularisation des terres dans le Petén. De fait, de nombreuses zones (dont l’ensemble de la Laguna del Tigre) étant protégées, il est interdit aux populations de s’y installer. Cependant, dans beaucoup de cas, les familles s’étaient installées avant l’approbation de la loi sur les zones protégées et de ce fait, disposent -comme Perenco jusqu’en août 2010- du droit de s’y maintenir. Les familles qui se sont installées après 1989 sont dans l’illégalité. Mais là encore, leur statut n’est pas si clair. En effet, certaines communautés ont signé des conventions d’accord avec le CONAP en 1997, leur permettant de rester sur place pour une durée de 20 ans.

En outre, il est important de souligner qu’avant ou après 1989, beaucoup de familles sont arrivées dans le Petén à la recherche d’une terre, pour fuir l’armée, le conflit, la violence liée au trafic de drogues… Pour certaines personnes, une expulsion signifierait le troisième ou quatrième déplacement forcé de leur vie. Les revendications des habitants et les habitantes de la Laguna del Tigre sont donc simples : la fin d’une militarisation qui les effraie dans un pays ravagé par une guerre où 97% des massacres ont été commis par l’armée, la fin des menaces d’expulsion, la certitude juridique sur les terres et la liberté de pouvoir travailler leurs cultures de maïs et de haricots afin de pouvoir nourrir leurs familles.

Les communautés réclament également que l’entreprise Perenco tienne ses promesses concernant l’éducation et la santé. En effet, alors que Perenco se targue de participer au développement des zones où elle opère, les habitants se plaignent de ne recevoir que des pupitres de piètre qualité pour leurs modestes écoles. En outre, le « service de santé » de l’entreprise se limite à une visite mensuelle durant laquelle le seul remède distribué est du paracétamol. Comme l’a témoigné une femme d’une communauté de la Lagune del Tigre: « Il faut croire qu’on a tous la même maladie, car ils nous donnent à tous le même médicament ».

Rapport: « Exploiter le pétrole coûte que coûte »

(1) Voir http://www.mem.gob.gt/portal/memdocuments/informatica/PublicadoReglamento.pdf pour plus de détails sur FONPETROL.
(2) CACIF: Comité Coordinador de Asociaciones Agrícolas, Comerciales, Industriales y Financieras. On pourrait le rapprocher à un genre de MEDEF français. Mais plus que cela, c’est aussi le regroupement de toutes les grandes familles oligarchiques qui détiennent le pouvoir économique et parfois politique au Guatemala.
(3) En 1997, le puits Xan appartenait encore à l’entreprise Basic Resources, qui le vendra par la suite à Perenco. Misión Ramsar de Asesoramiento: Informe nr 38, Laguna del Tigre, Guatemala (1997), disponible en espagnol: http://www.ramsar.org/cda/en/ramsar-documents-rams-mision-ramsar-de-16019/main/ramsar/1-31-112%5E16019_4000_0__
(4) « Petróleo impacta Laguna del Tigre », Prensa Libre, 15-05-2010: http://www.prensalibre.com/noticias/Petroleo-impacta-Laguna-Tigre_0_262173832.html
(5) « Alteran plan en favor de petrolera », Prensa Libre, 07/07/10:
http://www.prensalibre.com/noticias/Alteran-plan-favor-petrolera_0_293970629.html
(6) “Guatemala acepta las donaciones de Perenco”. El Periódico. 17 septembre 2010. http://www.elperiodico.com.gt/es/20100917/economia/175287/
(7) Accords ministériels 214-2010, 215-2010 et 216-2010.

 

Cynthia Benoist

Cynthia Benoist

Cynthia Benoist est membre du Collectif Guatemala.

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