Politique humanitaire : une Nouvelle Donne pour fournir de l’aide aux États fragiles

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À l’occasion du Forum mondial sur l’efficacité de l’aide qui a lieu à Busan, en Corée du Sud, en novembre et décembre de cette année, les 19 États fragiles et affectés par les conflits qui forment le « g7+ » se sont entendus sur une Nouvelle Donne pour fournir de l’aide aux États fragiles. Le document propose des moyens concrets et plus pertinents – c’est du moins ce qu’espèrent les membres du g7+ – d’atteindre les objectifs de consolidation de la paix et de renforcement de l’État.

La Nouvelle Donne sera mise à l’essai en Afghanistan, en République centrafricaine (RCA), en République démocratique du Congo (RDC), au Liberia, en Sierra Leone, au Soudan du Sud et au Timor-Leste, avec l’aide de l’Australie, de la Belgique, des Pays-Bas, du Royaume-Uni et des États-Unis.

Le document identifie cinq objectifs comme des pré-requis pour le développement sans lesquels «aucun OMD [Objectif du Millénaire pour le développement] ne pourra être atteint», a dit Marcus Manuel, directeur de l’Initiative pour le renforcement du budget (Budget Strengthening Initiative) à l’Institut de développement d’outre-mer (Overseas Development Institute, ODI), une institution basée au Royaume-Uni qui est l’un des architectes de la Nouvelle Donne.

Les objectifs incluent la politique légitime, la sécurité, la justice, les fondements économiques et les revenus et services. « Il faut absolument les identifier [ces critères], car quel que soit le nombre d’écoles que vous construisez, si vous n’avez pas pensé aux salaires, vous serez incapable d’aller de l’avant », a dit M. Manuel à IRIN.

Depuis des années, les gouvernements donateurs s’efforcent de trouver une approche adéquate pour fournir une aide au développement aux États fragiles qui n’ont pas les systèmes ou les ressources pour redistribuer l’aide efficacement et affichent souvent des taux élevés de corruption qui nuisent à une utilisation optimale de l’aide.

Selon la Banque mondiale, l’aide accordée aux États fragiles a souvent favorisé la corruption au lieu de l’affaiblir.

Environ 1,5 milliard de personnes vivent dans des États fragiles et affectés par les conflits, et la plupart de ces pays ne sont même pas en voie d’atteindre un seul OMD.

Cette fois-ci toutefois, au lieu de simplement reconnaître que les États fragiles ont besoin d’une approche complètement différente – comme dans les Déclarations sur l’efficacité de l’aide qui ont suivi les Forums de Paris et d’Accra –, un plan d’action plus concret a été élaboré, a dit M. Manuel.

Une nouvelle approche

En vertu des changements proposés (qui seront présentés aux pays membres lors de l’Assemblée générale des Nations Unies qui aura lieu en septembre 2012), des « accords » seront conclus avec les pays, c’est-à-dire que les donateurs, les gouvernements bénéficiaires et la société civile s’entendront sur une interprétation commune des modalités et des priorités de l’aide.

Au lieu que chaque donateur évalue la fragilité des pays bénéficiaires, ceux-ci seront encouragés à mener leurs propres évaluations, ce qui devrait permettre l’élaboration de solutions plus appropriées, a dit M. Manuel à IRIN. À titre d’exemple, le gouvernement du Timor-Leste considérait le relogement des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDIP) comme une priorité sécuritaire après la fin du conflit et proposait de donner à chaque famille déplacée un montant d’argent significatif pour se reloger. Les donateurs étaient d’avis que cette approche était trop onéreuse et qu’elle ne fonctionnerait pas, mais elle a bel et bien fonctionné et a fini par porter fruit, a indiqué l’ODI.

Lorsque les garanties adéquates sont en place, les bailleurs de fonds qui ont à cœur que les États fragiles s’approprient leur propre développement ne devraient pas hésiter à leur accorder dès le départ un soutien budgétaire direct, a indiqué l’ODI dans un document d’information. Les bailleurs de fonds ont attendu cinq ans après le conflit pour investir dans les structures gouvernementales au Soudan du Sud, contre deux ans en Sierra Leone et au Rwanda, et quelques mois à peine en Afghanistan. Dans chaque cas, le soutien précoce a joué un rôle « crucial » dans la reconstruction des structures étatiques, a ajouté l’ODI.

En Guinée, un pays considéré par plusieurs comme fragile, le ministre de la Santé et de l’Hygiène publique Naman Kéita a dit à IRIN que l’hésitation des donateurs à financer directement les ministères les empêchait de mettre en place des programmes ambitieux.

Selon les analystes de l’aide [au développement], l’approche suppose toutefois d’exiger des garanties financières strictes et de soutenir les systèmes nationaux d’audit.

Parmi les autres changements proposés par la Nouvelle Donne, on prévoit notamment que les bailleurs de fonds rationalisent les flux d’aide et leur gestion. À titre d’exemple, on pourrait mettre en place une seule équipe de contrôle et de gestion des programmes dans chaque ministère plutôt qu’une équipe pour chaque donateur comme c’est la norme actuellement. Au Rwanda, l’adoption de cette approche s’est traduite par une augmentation de la capacité des différents ministères.

Selon le g7+, des éléments pratiques comme l’imposition d’un plafond salarial doivent également être introduits, même si les modalités restent encore à définir. Au Liberia, les Nations Unies embauchaient des professionnels qualifiés en même temps que le gouvernement, mais l’organisation internationale avait dix fois plus de postes à combler et pouvait offrir un salaire deux ou trois fois plus élevé, ce qui restreignait la capacité du gouvernement à recruter.

Critiques

Toutefois, selon certains praticiens qui possèdent une vaste expérience du travail dans les États fragiles, l’appropriation du développement et l’éradication de la corruption ne sont pas toujours des priorités pour les gouvernements.
John Morlu, ancien vérificateur général du Liberia, qui, selon certains, a été démis de ses fonctions parce que ses enquêtes sur la corruption menaçaient des hauts responsables du gouvernement, est sceptique. « Je crois que nous devons nous montrer très prudents. Nous croyons que les pays doivent s’approprier leur propre développement, mais le souhaitent-ils vraiment ? Je songe à certains cas au Liberia où il est beaucoup plus facile de dire ‘c’est une initiative des Nations Unies’ ou ‘c’est une initiative du FMI [Fonds monétaire international]’ parce que ça vous donne la couverture politique dont vous avez besoin ».

En outre, il peut aussi arriver que les citoyens locaux aient des priorités autres que d’améliorer la transparence ou d’éradiquer la corruption. Des jeunes Guinéens et Sierra-Léonais ont dit à IRIN que ce qu’ils voulaient plus que tout, c’était du travail.

M. Manuel espère qu’au fur et à mesure que les systèmes des pays se renforceront, le développement s’accélérera lui aussi. Pour l’heure, la patience est de mise. En effet, selon un rapport de la Banque mondiale de 2011, il faut entre 20 et 30 ans pour démanteler les systèmes corrompus au sein d’un gouvernement.

aj/cb-gd/amz / Irin

 

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