Radwan Ziadeh : «La France doit faire pression sur la Syrie».

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Entretien avec Radwan Ziadeh, directeur du Centre de Damas pour les études sur les droits de l’Homme.

Radwan Ziadeh
Radwan Ziadeh

A la fin des années 90, il fût l’un des fondateurs du premier Forum sur ledialogue national, un rassemblement de la société civile qui symbolisait alors les espoirs portés par le «printemps de Damas». Mais l’espoir suscité par ce mouvement allait rapidement être déçu, Bachar el-Assad ayant décidé de s’engager dans la même voie répressive que son père. Radwan Ziadeh subira lui-même la répression, et sera interpellé et interrogé à plusieurs reprises, avant d’être directement menacé d’emprisonnement. Il vit aujourd’hui en exil aux Etats-Unis, mais continue de réclamer des réformes démocratiques en Syrie.

Gaël Grilhot : Pouvez-vous revenir sur cette décennie de répression, ainsi que sur les principaux cas qui vous préoccupent aujourd’hui ?

Radwan Ziadeh : Comme vous le savez, depuis 2000, il y a eu trois vagues d’arrestation dans l’opposition syrienne. Dix personnes ont ainsi été arrêtées en 2001, mettant ainsi un terme aux espoirs placés dans un éventuel changement du régime. Ils s’en sont ensuite pris aux signataires de la Déclaration dite de Damas-Beyrouth (signée par de nombreux intellectuels libanais et syriens en mai 2006, celle-ci réclamait une amélioration des relations entre les deux pays, ndlr), puis ils ont arrêté et condamné douze signataires leaders du Conseil national de la «Déclaration de Damas pour des changements démocratiques en Syrie» (cf. encadré), que nous avions publié en 2005.

Cela vous donne une idée des limites des libertés d’expression et de réunion en Syrie. Ces militants n’ont commis aucun acte répréhensibles à l’égard du gouvernement, il s’agissait juste d’un mouvement pacifique, qui demandait des réformes politiques.

En juin 2010, ils ont relâché quelques uns de ces signataires, qui ont fini de purger leurs peines de 30 mois, dont le juriste Akram al-Bunni. Mais le frère de ce dernier, Anouar al-Bunni et d’autres demeurent encore derrière les barreaux. J’espère que le gouvernement les libèrera dans les prochains mois. La communauté syrienne des droits de l’Homme est tout particulièrement préoccupée par le cas d’Haytham el-Maleh.

C’est un homme âgé, de 80 ans, et son état de santé est critique. Nous sommes également inquiets, s’agissant du cas d’un des leaders influents du mouvement, le journaliste Ali al-Abdallah. Cela fait la quatrième fois qu’il va en prison. Je pense que c’est assez pour lui et qu’il est temps de le libérer. J’appelle le gouvernement à le relâcher immédiatement.

Un appel a été lancé en France (1), qui a été relayé par de nombreux intellectuels et artistes, pour demander à Nicolas Sarkozy de faire pression sur Bachar Al-Assad afin de libérer ces défenseurs syriens des droits de l’Homme. Que pensez-vous de cette initiative ?

Une telle initiative est très importante pour deux raisons. Premièrement cela crée un intérêt dans la communauté internationale, concernant la situation des droits de l’Homme en Syrie, et deuxièmement, cela fait peser une réelle pression sur le régime syrien, pour qu’il libère les prisonniers politiques. Je pense que la France est très influente en Syrie, parce qu’elle a joué un rôle dans sa réintégration au niveau international. Et nous pensons que le président Sarkozy devrait utiliser cette opportunité pour obtenir de plus grands bénéfices en matière de droits humains. A commencer par la libération des prisonniers politiques.

Il faut se souvenir que la Syrie, d’un point de vue géopolitique, est un pays connecté à de nombreux pays «sous tension» dans la région (Liban, Irak, Israël et Turquie) et c’est pourquoi sa position est importante. Mais elle peut tout aussi bien y jouer le rôle de «pacificateur», que celui de «fauteur de troubles». Et je pense que le rôle de la Syrie dans la région, malheureusement, peut véritablement être considéré aujourd’hui comme celui d’un «fauteur de troubles».

La répression à l’encontre des intellectuels et des militants des droits de l’Homme en Syrie est-elle selon vous un élément de cette politique extérieure ?

Exactement. Il y a une expression, pour cela, dans les pays du Nord : «all politics are local» (Tip O’Neill, politicien démocrate américain, ndlr). Ainsi, vous ne pouvez pas avoir une politique positive et influente, sans avoir une forte assise économique, ni si votre population ne vit pas dans de bonnes conditions. Or la Syrie fait actuellement face à une triple crise : politique, économique, et sociale. Comment peut-elle jouer dans ces conditions un rôle positif dans la région ? Je pense que le plus gros problème réside dans le fait que le gouvernement syrien est irresponsable. Il ne se pose aucune question, n’accepte aucune remise en cause, et ne se préoccupe pas de la population. Son seul objectif est de maintenir le système en place.

Mais nous continuons cependant à croire en des changements démocratiques en Syrie. Nous pensons que notre pays pourra avoir un bien meilleur futur, si elle commence à mettre en place des réformes politiques. A défaut, les Syriens continueront de souffrir de cette triple crise.

La «Déclaration de Damas pour des changements démocratiques en Syrie» a été publiée en octobre 2005, au cours d’une conférence de presse illégale, à Damas. Signée par plus de 250 intellectuels syriens (dont Radwan Ziadeh), elle remettait en cause un gouvernement : «autoritaire, totalitaire et corrompu», appelant à une «réforme pacifique et graduée» du système. En décembre 2007, au cours les promoteurs de cette déclaration ont tenté de réunir le premier Conseil national de la Déclaration de Damas. Ce rassemblement s’est soldé par de nombreuses arrestations, et douze leaders du mouvement ont été condamnés en 2008 à des peines allant jusqu’à 30 mois de prison.

Rapport FIDH Syrie

(1) «Syrie: une prison pour les militants»… Appel lancé par de nombreuses organisations de défense des droits de l’Homme, dont la FIDH (http://www.fidh.org/Syrie-une-prison-pour-les-militants).

Gaël Grilhot

Gaël Grilhot

Gaël Grilhot est journaliste indépendant.

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