Risques sanitaires passés, présents et à venir : sur la piste d’Ebola

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Protocole d'entrée hot zone Ebola
Protocole d’entrée dans lahot zone ©URD

L’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest, celle du Chikungunya dans les Caraïbes et le retour des grippes aviaires soulignent combien importante est la probabilité de nouvelles menaces biomédicales dans les décennies à venir. Les modes de vie ont changé, les équilibres biologiques ont été modifiés, entraînant de nouvelles conditions d’apparition ou de modification des pathogènes. Les dynamiques de propagation épidémique ont évolué du fait de la mobilité croissante et accélérée des hommes et des marchandises. Ainsi, le fait que ces épidémies « nationales » deviennent transfrontalières, qu’elles puissent sauter d’un continent à l’autre, qu’elles passent parfois du stade « épidémie » au stade d’alerte « pandémie » voire « urgence de santé publique de portée internationale » (USPPI), et que leurs impacts sur l’économie et la sécurité puissent devenir importants doit faire entrer durablement la santé dans le champ de l’analyse géopolitique.

Une classe d’agents pathogènes très dangereux, la famille des virus à fièvre hémorragique dits de classe P4, comme les virus Ebola, Lassa ou Marburg, a pendant longtemps associé une forte mortalité locale avec une faible propension, jusqu’à peu, à être à l’origine de grandes épidémies. C’était le « syndrome de la clairière ».

Dans ces villages isolés en pleine forêt équatoriale, les bassins de contamination restaient d’une taille limitée et l’épidémie s’éteignait d’autant plus vite que le virus tuait rapidement, empêchant ainsi la dynamique de contamination de gagner de l’espace. En effet, cette dynamique est brisée dès que la population à contaminer est passée en dessous d’une certaine taille, ce qui ne permet plus la transmission et la reproduction du virus.

L’épidémie s’arrête, mais la survie du virus n’est en général pas compromise, d’autant que l’on vient de découvrir de nouveaux porteurs sains parmi la faune pouvant devenir agents de transmission directe à l’homme (chauve-souris).

Le climax de la forêt tropicale humide dans le Bec de Perroquet

C’est ainsi que tout a démarré, dans ces petits villages autour de Kolodengo, à 7 km de Guékdou, au cœur du Bec de Perroquet, dans cette zone de forêt entre la Guinée, la Sierra Leone et le Libéria.

Dans cette aire de la forêt où la structuration sociale passe par les rites de la forêt magique et les sociétés secrètes, les problèmes de santé sont souvent traités par les médecines traditionnelles, voire la magie. De toute façon, l’hôpital est trop loin et le poste de santé inconséquent. La gestion des corps passe par des rites particuliers. N’oublions pas que le vaudou vient de ces forêts profondes dont la haute voûte des arbres bruisse de mille bruits.

Rivière Nyongwa, poste-frontière entre la Sierra Leone et la Guinée en zone forestière

Dès décembre 2013, sans doute, Ebola avait déjà tué, mais ce n’est qu’en janvier 2014 que l’alerte a commencé à résonner. Dans les villages de la forêt guinéenne, pour qui la rivière Nyongwa n’est pas réellement une frontière, on fit appel à une herboriste sierra-léonaise connue qui vint, ne guérit personne et retourna dans son Kailahun profond porteuse du virus. Ebola avait traversé la frontière.

Par la route qui partait vers Kissidougou et Conakry ou par celle qui descendait vers Kenema, Bo et Freetown, le virus allait entrer « dans l’espace ouvert ». Et tout a basculé, obligeant à des changements de paradigmes majeurs dans un monde où la mobilité est devenue une des clés de l’économie à tous les niveaux (recherche d’emploi vers les villes, commerce des produits agricoles, tourisme) facilitée par l’amélioration des moyens de transport, le percement des routes dans la forêt et où la peur est un fort facteur de fuite, voire de rejet des soignants et autres intervenants.

Les réactions ont varié. Très vite, MSF s’est mobilisé, innovant de façon ingénieuse pour concevoir les Ebola Treatment Centers (ETC) et découvrant que, face à cette épidémie extrêmement mortelle, il est au moins aussi important de protéger le personnel soignant que de prendre en charge les malades. De plus, il est important de rappeler qu’on ne soigne pas Ebola, pour l’instant en tout cas.

ETC MSF à Conakry

On soutient les corps malades en les nourrissant, les hydratant, et traitant les maladies associées. Quelques-uns en sortent vivants, plus des deux tiers y meurent. La pression psychologique est très rude sur le personnel qui rentre dans la « high risk zone », prend les 15 minutes pour s’équiper, passe quelques heures à voir à travers le masque des femmes, des hommes, des enfants dont la plupart mourront, ne touche personne et met encore 15 minutes pour se déshabiller après un passage devant le pulvérisateur de chlorine. C’est très dur pour les équipes expatriées, d’où une forte rotation et de nombreuses difficultés de recrutement, malgré les efforts de formations à Genève, à Bruxelles, à Madrid.

C’est encore plus dur pour les équipes locales qui savent qu’elles seront de toute façon moins bien prises en charge en cas de contamination. Dans ce cadre, le concept de centre dédié à la prise en charge de personnel soignant contaminé promis par le gouvernement français pourrait faciliter bien des choses.

Le rôle de ces ETC est d’abord de sortir les malades ou présumés malades de leur milieu et de les isoler. C’est la pointe d’un iceberg, la partie « à la lumière » et attirante pour les bailleurs de la pyramide de rupture des chaînes de contamination. La multiplication des ETC est certainement nécessaire, mais ne doit être qu’une partie de la stratégie de lutte contre Ebola.

C’est hélas celle qui attire le maximum de moyens humains et financiers, au détriment d’autres au moins aussi importants. On notera la complexité symptomatique ; de nombreuses pathologies de la zone entraînent elles aussi des fièvres, des vomissements, sans parler de la Fièvre de Lassa, fièvre hémorragique aussi causée par un virus de classe P4, transmise par un petit rongeur qui pollue les stocks de céréales, mais qui par contre peut être traitée. Le danger est de mettre ensemble en zone d’isolement des patients « Ebola » et d’autres malades non Ebola mais montrant des symptômes similaires. Les travaux pour mettre au point des tests diagnostiques rapides sont ici essentiels.

Le reste est plus obscur, moins visible et comporte plusieurs volets « de l’ombre ». La base de la pyramide de rupture des chaînes de contamination consiste en des efforts au niveau des communautés pour pousser à l’acquisition des bons comportements face aux personnes suspectes, face aux morts, face aux nécessités de brûler ce qui a pu être souillé.

Ce deuxième étage de la pyramide, énorme opération logistique, est le domaine d’excellence du Mouvement Croix Rouge. Les sociétés nationales font des efforts considérables avec le soutien de la Fédération internationale (FICR) et d’un certain nombre de Croix Rouge du Nord. Dès mars 2014, la Croix Rouge française déployait ses premières équipes d’appui logistique.

Le choix initial du Mouvement Croix Rouge avait été de rester en dehors des ETC, pour lesquels la précision des gestes du personnel médical était au cœur des procédures d’entrée et de sortie de la Hot Zone, et de s’investir sur les autres enjeux de la pyramide de rupture des chaînes de contamination. Il s’est finalement aussi impliqué sur le volet ETC notamment à Kenema (Sierra Leone) avec une forte implication des Croix Rouges française, espagnole, puis danoise, allemande et finlandaise. Au système de santé national échoit la mise en place du système d’alerte, avec des numéros d’urgence qui permettent de déclencher les déploiements des équipes mobiles.

Message éducatif

La volonté des directions régionales et locales de la santé est là un facteur essentiel, car c’est souvent à leur niveau que sont pré-positionnées les capacités logistiques. Comme le montre l’expérience acquise en Ouganda, la gestion d’une épidémie comme Ebola dépend en effet de la rapidité du déploiement des équipes en charge du « containement » de chaque foyer émergeant.

Il faut une capacité à bouger très vite, sur des routes et des pistes souvent en état dramatique, pour aller chercher les cas suspects, mettre en place les tests, prendre en charge les cas confirmés, assurer la recherche des contacts possibles de ces cas, voire mettre en place des systèmes d’isolement. C’est là, dans cette « zone de tous les dangers » que les équipes Croix Rouge ont dû faire face aux plus grands défis, face aux rejets des premiers mois.

Routes de brousse et équipes d’évacuation dans le Kailahun

Les équipes qui arrivent dans les villages où habitent des cas suspects, qui doivent s’équiper de leurs combinaisons et brûler tout ce qui peut être contaminé ne sont pas toujours bien reçues. Brûler les corps, comme cela fut fait un moment en Sierra Leone, ou les enterrer sans les rituels a été très mal ressenti par les populations et il a fallu revenir à l’enterrement.

Ces chauffeurs, ces équipes mobiles médicales qui parcourent la forêt à la recherche de ces bombes contaminantes que sont les malades, dont certains meurent dans le véhicule, payent un lourd prix pour leur dévouement. Pièces indispensables mais obscures de la mécanique globale de réponse, ils sont bien moins médiatisés que les « bons docteurs ».

Les bailleurs n’ont pas répondu très généreusement aux demandes de soutien logistique, du fait de la méfiance face à des administrations souvent jugées comme corrompues. Seul le CDC d’Atlanta a rapidement promis 200 véhicules pour renforcer la mobilité de ces équipes mobiles.

Sorti de la forêt, le virus se répand vite vers des zones urbaines : d’abord les villes secondaires sur les grands axes du commerce et de la migration économique, Kissidougou, Faranah en Guinée, Kenema, Bo en Sierra Leone, pour rejoindre les zones à forte concentration des capitales.

L’urbanisation accélérée et sans planification des dernières décennies de Conakry, ville de tous les désordres y compris politiques, ou de Freetown et de Monrovia, capitales de pays ayant vécu des guerres civiles longues, rend ces villes très vulnérables.

De plus, les profils épidémiologiques de ces villes montrent une forte prévalence et une incidence importante de nombreuses pathologies dont les symptômes peuvent être très proches de ceux d’une contamination Ebola. Repérer à temps un cas suspect dans les bidonvilles aux rues étroites des bords de mer des trois capitales, entre barres rocheuses et mangrove, et l’évacuer représentent des défis impressionnants.

La coordination sur place

La faible compréhension de ces contextes et la faible mobilisation des capacités des sciences sociales pour les comprendre et chercher des points d’entrée ainsi que la politisation de certaines interventions ont conduit à huit morts, dont un préfet, en Guinée forestière. On notera le risque important de « stigmatisation » des familles des personnes contaminées, ainsi que des individus qui sortent guéris ou confirmés « négatifs ».

Le passage par la « happy shower » (dernière douche de décontamination à la sortie du ETC ou de la zone d’isolement) n’est en effet souvent pas la dernière épreuve. Il faut affronter le deuil, le regard des autres. Heureusement, le nombre non négligeable de célébrations des retours au village peut rendre optimiste sur les capacités de réintégration de ces sociétés si résilientes, comme on l’a vu après les phases de conflit. Là encore, les sociétés secrètes et la forêt magique jouent leur rôle d’appui à la cicatrisation, bien en delà de nos efforts d’aide psychosociale si souvent inadaptée culturellement…

La coordination des efforts est évidemment essentielle. OCHA a fait le choix de ne pas s’engager de façon lourde, confronté aux crises syrienne, centrafricaine, soudanaise, et n’a déployé que du staff junior pour appuyer l’OMS dans les secteurs de la cartographie et de la gestion de l’information. Le rôle du Center for Disease Control (CDC) d’Atlanta été fondamental pour la mise en place des premiers mécanismes de suivi épidémiologique.

Vu les faiblesses de l’OMS régionale et des bureaux nationaux et les angoisses de plus en plus fortes face à une épidémie en train de devenir « hors contrôle », les Nations unies ont mis en place une structure particulière de coordination, United Nations Mission for Ebola Epidemic Response (UNMEER), dirigée par de vieux routiers onusiens de la gestion des crises et basée à Accra au Ghana avec des représentations dans les trois principaux pays touchés.

À Freetown, l’aide britannique (DFID) s’est fortement investie. Mobilisant plusieurs centaines de millions de livres sterling pour supporter le déploiement des ONG, s’impliquant avec l’armée sierra-léonaise, dans un centre d’opération destiné au repérage, puis à la gestion des malades et des corps sur la région Ouest, notamment ses districts urbains et ruraux, et supporté par la Royal Navy et ses hélicoptères, le représentant du DFID a quasiment joué le rôle de coordinateur humanitaire.

Pour le Libéria, les États-Unis, liés à ce pays par toute l’histoire du retour des anciens esclaves, ont par le biais d’USAID/OFDA déployé des ressources humaines civiles importantes (toutes les équipes d’OFDA présentes dans la région ont été mises à contribution), d’importants moyens financiers et logistiques tandis que, sur ordre du Président Obama, le Pentagone déployait les militaires.

La crise d’Ebola a aussi remis en question la solidarité africaine, avec une CEDEAO et une Union Africaine plus que timides. Le Sénégal a rapidement fermé ses frontières avec la Guinée et s’interroge sur ce qu’il convient de faire du point de passage de Guékédou avec le Mali. Les premiers cas au Mali (sept dont six morts, la plupart liés au cas décédé à Kayes) ont semé une véritable panique. Les risques de contamination liés aux mouvements non contrôlés de populations dans les zones d’orpaillage illégal du Fouta aux frontières guinéo-sénégalo-maliennes ont assez vite attiré l’attention. Dans ces zones « hors la loi », qui irait appeler les numéros d’urgence et demander une évacuation sanitaire ?

La peur a parfois évolué en panique, conduisant certains gouvernements à déclarer les embargos. Mais de facto, les blocages des frontières ont montré qu’ils pouvaient être plus dangereux qu’autre chose. Les gens qui veulent passer trouvent toujours un moyen, par les routes de traverse, la porosité des frontières de la région étant souvent très forte de fait des répartitions familiales et ethniques à cheval sur l’ensemble des tracés hérités de la colonisation.

Des plans de contingence et des efforts de formation ont été faits, mais la plupart des structures de santé de cette zone sont sous-équipées et incapables de mettre en place rapidement un sas d’isolement pour gérer les cas suspects. De plus, le fait que cette zone soit une zone d’orpaillage, avec une forte illégalité de la présence, rend illusoire l’utilisation du numéro d’appel d’urgence permettant d’appeler une ambulance. Sa grande porosité avec la Guinée demandera dans les mois qui viennent une très forte attention.

Le rôle des États

L’épidémie d’Ebola a démarré dans des pays pauvres, aux systèmes de santé évanescents et aux gouvernances encore en construction après des années de crises et de conflits. Elle a joué un rôle de révélateur de nombreuses faiblesses. La mobilisation des États a démontré encore une fois son importance.

En Guinée, il a fallu que l’Arabie Saoudite annonce que les pèlerins guinéens ne pourraient venir cette année faire le Hadj pour que le gouvernement réalise qu’il avait un vrai problème et se mobilise. Jusque-là, le Président lui-même montrait une désinvolture incroyable, organisant des manifestations de masse en zone à risque. Les gouvernements sierra-léonais et libériens ont été plus réactifs même si l’épidémie n’a pas épargné ces pays. De facto, lors de la traversée de chaque village sierra-léonais dans la zone touchée, il y a eu des checkpoints pour se laver les mains, une mesure totalement absente en Guinée.

Une des grandes difficultés dans la gestion de cette épidémie est le manque de connaissance sur ce virus. Si les rumeurs sur un rôle éventuel d’Al-Qaïda dans la propagation du virus font partie des fantasmes de politique-fiction, on ne connaît encore réellement ni ses porteurs sains, ni les processus de primo-infection, ni combien de temps le virus peut survivre dans les cadavres ou chez des êtres qui en ont guéri (l’hypothèse d’une rémanence durable dans les testicules est de plus en plus avancée, avec le risque de contamination par voie sexuelle), ni enfin combien de temps dure l’immunité acquise.

La prise de conscience que l’épidémie pouvait facilement traverser non seulement les frontières mais aussi les continents et devenir un vrai problème hors de sa zone classique de la forêt en Afrique a été un fort déclencheur des efforts internationaux. Est-ce « trop peu, trop tard » comme le dénonce MSF qui a démontré là encore sa force de frappe et qui a su en Guinée prendre un rôle très original de « proue du navire » guidant les efforts internationaux ?

L’épidémie d’Ebola a démarré à un moment où l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) est dans un état financier attristant, avec des coupes de plusieurs centaines de millions d’euros et une forte réduction de ses capacités de déploiements rapides (le budget de l’OMS est actuellement de 3,98 milliards de US$ tandis que celui du Center for Disease Control (CDC) d’Atlanta est d’environ 6 milliards). Le prix à payer de cette situation peut être terrifiant, même si les efforts d’imagination et d’innovation déployés dans de nombreux laboratoires publics et privés sont sans doute maintenant très importants… Avec sans doute un Nobel à la clé…

Les conséquences économiques

À côté de ses effets sanitaires, l’épidémie d’Ebola a d’autres conséquences. De nombreuses entreprises se sont retirées ou ont interrompu leurs travaux, comme cette société sénégalaise qui construisait la route entre Kenema et Kailahun. Les équipes expatriées des entreprises chinoises et de grandes multinationales comme Rio Tinto ont quitté les pays concernés, laissant au mieux des entreprises tournant au ralenti.

Les pertes de revenus sont donc importantes pour les familles des travailleurs de ces entreprises maintenant au chômage. On notera néanmoins que les grands acteurs du secteur extractif ont investi pour la sécurité de leur personnel, avec quelques attentions pour les communautés vivant dans et autour des zones d’exploitation. Mesure préventive pour le futur.

Par chance, ces pays de la forêt humide recèlent des écosystèmes extrêmement variés et productifs, avec des systèmes rizicoles de bas fond et de colline, une profusion de systèmes basés sur les tubercules (manioc, igname, patate douce) et d’importantes ressources alimentaires sauvages de la forêt. Des crises alimentaires de type Sahel sont donc improbables.

Par contre, les familles en site d’isolement ou dont la mobilité est réduite du fait de la forte prévalence de cas dans leur proximité auront sans nul doute à faire face à des difficultés.

Les marchés de brousse restent approvisionnés, et les prix des produits locaux sont moins fluctuants que ceux importés. Si la vigilance est de mise sur ces questions de sécurité alimentaire et si la veille sur les prix et les évolutions des pratiques alimentaires doit être attentive, ne hurlons pas « au loup » : la résilience des systèmes agricoles et alimentaires de ces pays aux agroécosystèmes tropicaux humides extrêmement productifs est très importante.

De même, cette épidémie a un fort impact sur les comportements. Dans des sociétés où le toucher est important, on a pu observer de vrais changements de comportement lors des salutations et des relations sociales. Des dynamiques de rejet et de stigmatisation sont aussi régulièrement rencontrées, avec des risques forts pour les « survivants ». Il importe de comprendre ces phénomènes pour trouver la bonne réponse et les messages appropriés.

Quelques principes clés pour répondre à l’épidémie d’Ebola

1. La faiblesse des systèmes de santé est un facteur majeur contribuant au risque épidémique, en particulier en raison de l’insuffisance de personnel médical et infirmier formé et équipé, de traçage des contacts, de collecte et transports d’échantillons, de capacités de diagnostic de laboratoire, ainsi que d’unités de soins intensifs avec possibilité d’isolement.

La réponse à la crise doit soutenir non seulement les interventions d’urgence immédiates, mais aussi la réduction des risques à moyen terme par le renforcement du système de santé publique en reconnaissant que les possibilités de s’engager à l’avenir seront peut-être limitées, une fois la crise passée.

2. Si les efforts de renforcement des capacités doivent être faits de manière à concerner plus qu’une seule maladie, il convient d’assurer une formation spécifique pour faire face à une épidémie de type Ebola dans laquelle la moindre erreur peut tuer. Il conviendrait d’envisager dès le départ des moyens de construire des systèmes durables au-delà de la crise actuelle. Il s’agirait probablement d’y inclure des soutiens à la santé animale et aux systèmes vétérinaires, en plus des systèmes de santé publique ainsi que la gestion d’autres zoonoses et maladies infectieuses.

3. Il faut mettre en place des mécanismes d’intervention rapide, sur le modèle élaboré en Ouganda, pour être prêt à prendre l’épidémie à la base dès la première alerte.

4. Il faut développer une plate-forme de partenariat solide et efficace pour coordonner le soutien des différents acteurs internationaux, dans le cadre stratégique que l’OMS a approuvé le mois dernier (WHO-led strategic framework). Les partenaires devraient se concentrer sur leurs domaines spécifiques d’avantages comparatifs. Pour le Groupe de la Banque mondiale, cela comprendrait le renforcement des capacités du système de santé publique.

5. Il faut compléter les investissements au niveau national par des approches régionales pour une collaboration transfrontalière sur les activités de santé publique, en particulier dans les domaines de la surveillance et du suivi. Cependant, comme les efforts pour tenter de prévenir la transmission de la maladie par le contrôle des frontières peuvent être inefficaces, en particulier dans les pays dont les services de contrôle aux frontières sont faibles et les frontières poreuses, il importe d’avoir une vigilance particulière sur ces zones sensibles.

6. Les campagnes de sensibilisation, de communication et de proximité jouent un rôle important dans la réponse aux épidémies, en particulier dans les zones où la population est mal informée sur la maladie, ses mécanismes de transmission et les comportements sécuritaires à adopter, et où les personnes peuvent être sceptiques à l’égard d’interventions médicales. La formation à la communication pour les personnels clés des autorités peut être utile, ainsi que les efforts pour réduire la désinformation et les messages alarmistes à travers les médias.

7. Il ne faut pas oublier les caractéristiques logistiques de la réponse et des besoins de déploiement rapide en urgence sur des terrains difficiles. Ceci demande des flottes de véhicules avec des équipes (chauffeurs, personnel médical) formées et équipées.

8. Il faut trouver le juste équilibre entre une réponse rapide et la conduite d’analyses techniques pour la préparation du projet afin de garantir une conception efficace des interventions. Le report d’importantes conceptions techniques après l’approbation du projet peut entraîner des retards coûteux à la mise en route des activités du projet et à la fourniture de biens et services essentiels.

9. Il faut équilibrer les investissements entre les infrastructures (laboratoires et équipements) et le développement institutionnel et le renforcement des compétences afin de garantir l’existence de capacités suffisantes pour utiliser et entretenir l’infrastructure technique et financière. L’acquisition de matériel de laboratoire spécialisé et d’autres fournitures peut s’avérer longue et compliquée. Il est essentiel que les agences d’exécution des gouvernements et des communautés économiques régionales aient une forte capacité institutionnelle pour accélérer l’acquisition de ces équipements et ainsi faciliter la mise en œuvre du projet.

10. La conception du système de suivi et d’évaluation ne doit pas être négligée dans l’objectif d’une réponse rapide. Les indicateurs de résultats intermédiaires qui suivent des fonctions particulières (la surveillance, la collecte et le transport d’échantillons, le diagnostic, le traitement, etc.) par rapport à des critères de référence sont essentiels pour évaluer la performance de la mise en œuvre et réajuster les plans en fonction de l’évolution en temps réel. Les enquêtes devraient évaluer les pratiques, et pas seulement la connaissance.

11. Il faut investir dans les secteurs de l’anthropologie et des sciences sociales pour comprendre les logiques des comportements autour de la mort, de la gestion des corps, des rites post-mortuaires pour améliorer les messages pour les populations, les élites et les faiseurs d’opinions locaux.

12. L’épidémiologie préventive, y compris les systèmes efficaces de notification des maladies, est un moyen nécessaire pour identifier et suivre les épidémies. Le traçage des contacts des personnes infectées est crucial pour orienter les réponses aux épidémies. De nombreuses maladies zoonotiques graves ont d’importants réservoirs chez les animaux sauvages, tels que les chauves-souris ou les oiseaux, et le niveau de menace engendré par ces maladies peut être mal compris sans enquête des populations sauvages à moyen terme.

François Grünewald

François Grünewald

François Grunewald est directeur général et scientifique du Groupe URD. (www.urd.org).