Sommet de l’Elysée pour la Paix et la Sécurité en Afrique : incantation ou changement de cap ?

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Enfants à Bossangoa (RCA)
Des enfants, dans un village au sud de Bossangoa, détruit lors des combats entre les soldats de l’ex Seleka et les milices chrétiennes anti-Balaka.
© Stephen Dock / Agence VU’

Vendredi 6 décembre 13h, le Président de la République reçoit  l’Afrique à l’Elysée. Le protocole est réglé comme un ballet. François Hollande descend les marches du perron pour accueillir un par un  chacun des 53 chefs d’Etat ou de gouvernement, poignées de main, quelques mots échangés et photo officielle. Du centre international de presse installé à l’hôtel Marigny, les journalistes accrédités y assistent en direct. Après une heure, la séance d’ouverture du Sommet de l’Elysée peut commencer.

Mais la mort de Nelson Mandela, la veille, modifie profondément protocole et discours et François Hollande déclare « Aujourd’hui, c’est Nelson Mandela qui préside les travaux de ce sommet ».

Le casting est parfait. A côté du Président de la République, avec l’Afrique, il y a le président de l’Union africaine, Hailemariam Desalegn, par ailleurs premier ministre d’Ethiopie, José Manuel Barroso, Président de la Commission européenne, Herman Van Rompuy, Président du Conseil européen et Ban Ki-moon, Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies. On peut y voir comme un message subliminal. La France n’est pas seule en Afrique et elle cherche au contraire à ce que les autres grands acteurs soient présents pour faire face ensemble à trois enjeux de taille :  la sécurité, le développement et le changement climatique.

La veille, le conseil de sécurité a fort opportunément voté à l’unanimité la résolution 2127 donnant un feu vert à une intervention de l’armée française en soutien à la MISCA (Mission internationale de soutien à la Centrafrique). Avec un peu de recul, deux mois plus tard, constatons pourtant que la France est encore assez seule en RCA où il faudrait beaucoup plus d’hommes pour faire face à une situation plus complexe et dangereuse que prévue !

Pour François Hollande, pas de développement sans sécurité

Car la Centrafrique illustre bien l’un des principaux enjeux de ce Sommet, la sécurité. Comme le dit et le répète dorénavant François Hollande : « Pas de développement sans sécurité, pas de sécurité sans développement ». Les ONG avaient déjà entendu ce discours en conclusion des Assises du Développement et de la Solidarité internationale au printemps dernier.  Elles s’interrogeaient alors sur le sens et la portée de cette formule. Les voilà maintenant fixées quand la France appuie la création d’une Capacité africaine de réaction immédiate aux crises (CARIC) dans le cadre d’’une Architecture africaine de paix et de sécurité (AAPS) décidée et mise en œuvre par l’Union Africaine. Et François Hollande d’ajouter que la France propose de former 20.000 soldats africains chaque année.

La Centrafrique a été au centre des préoccupations et a donné lieu  le 7 décembre à un  Sommet informel réunissant les chefs d’Etat de la région. Qu’en est-il sorti, qu’il s’agisse de la présence de troupes issues  de ces pays dans la MISCA (Mission Internationale de Soutien à la Centrafrique, sous l’autorité de l’Union Africaine avec le soutien de l’armée française) et du contrôle des frontières ou qu’il s’agisse du rôle politique des pays limitrophes influents comme le Cameroun et surtout le Tchad ?

Ce dont les humanitaires peuvent témoigner, c’est que si la diplomatie française s’est beaucoup mobilisée durant l’automne sur la scène internationale, il était déjà tard par rapport à la dégradation constatée en RCA, au point que cinq ONG françaises (ACF, MSF, MDM, PU-AMI, Solidarités International) avaient organisé le 9 juillet une conférence de presse pour dénoncer une absence incompréhensible des Nations Unies et un manque d’intérêt apparent de la France et de la communauté internationale. Quatre mois plus tard, Laurent Fabius évoquait (Le Figaro 25.11.13) la « menace imminente d’une catastrophe humanitaire », la « spirale de haine » et recommandait d’éviter « …les erreurs du passé » pour ne pas « … payer et subir le prix, beaucoup plus lourd, de l’inaction ».

Dans ce contexte, à la veille de l’opération Sangaris, fallait-t-il traiter tous les rebelles de bandits, malgré les exactions criminelles et les pillages qui nourrissaient déjà la revanche ? Convenait-il de menacer publiquement le Président en fonction à Bangui, alors que l’on compte sur lui  pour la période de transition et l’organisation des élections ? On a aussi indéniablement sous-estimé la gravité de la situation, le fossé qui s’est creusé entre les communautés, et donc sous-estimé les effectifs militaires nécessaires pour ramener le calme et permettre un accès massif et rapide de l’aide humanitaire aux populations en danger.

Il serait aussi  utile de tirer un bilan de 45 ans d’opérations militaires françaises en RCA (voir l’étude du Centre de Doctrine et d’Emploi des Forces – Lettre du retex-opérations n°8) comme des missions africaines et de soutien aux  FACA (Forces armées de Centrafrique). Enfin, comme dans d’autres crises, il faut comprendre qu’il n’y a pas de solution militaire en l’absence d’une solution politique, et que la première ne peut que concourir à la seconde. Enfin, on peut aussi se poser aussi la question de savoir où est l’Union européenne dans tout cela, si ce n’est dans les financements de l’aide humanitaire puis du développement. Il faudra suivre le Sommet UE-Afrique en avril 2014 pour voir la tendance et l’ambition affichée.

Mais pas de sécurité sans développement !

L’autre enjeu majeur de ce Sommet a consisté dans le développement économique. Et là, on a le sentiment aussi d’une prise de conscience et d’un changement de cap, au point de sortir du débat dichotomique et sans fin dans lequel nous semblons enfermés entre une politique d’abandon ou, au contraire,  de néo-colonialisme, ou si l’on préfère, de maintien de la Françafrique.

Les chiffres et les perspectives ont sans doute joué un rôle d’électrochoc et de prise de conscience. Le Sommet incluait plusieurs événements parallèles, dont un Forum économique au ministère de l’Economie et des finances avec le concours du Medef International  qui a réuni le 4 décembre pas moins de 600 personnalités et entrepreneurs français et africains, 20 ministres et 4 chefs d’Etat. En prévision du Sommet, le ministre de l’Economie et des finances, Pierre Moscovici avait demandé en juillet un rapport  à un groupe de personnalités dont Hubert Védrine, Jean Michel Sévérino, Lionel Zinzou, Hakim El Karoui et Tidjane Thiam. Parmi leurs 15 propositions phares, il y a celles de l’obtention rapide de visas d’affaires et de la création d’une Fondation public-privé franco-africaine.

Si la France demeure le premier investisseur et le premier partenaire en Afrique,  il n’empêche que le commerce ayant par ailleurs considérablement augmenté,  sa part de PIB dans la zone CFA a été diminuée par deux entre 2000 et 2011,  passant de 10 à 4,7% de part de marché, alors que la Chine passait entre 1990 et 2011 de 2 à 16%. Si en 2000, la part du commerce sino-africain passait le cap des 10 milliards de dollars, il était de 100 milliards en 2008 et de 200 milliards en 2012. Dans son livre blanc 2013-2015, la coopération sino-africaine s’est fixé de nouveaux objectifs : deux milliards et demi de dollars à investir sur plus de 60 projets dans plus de 30 pays africains, la formation de 30.000 professionnels et l’attribution de 18.000 bourses d’études. La Chine ne saurait non plus  cacher les autres pays émergents qui investissent massivement en Afrique, comme la Turquie, l’Indonésie, la Corée du Sud, le Vietnam, Taïwan, la Thaïlande, le Brésil ou l’Inde, qui a multiplié par vingt ses échanges commerciaux sur la décennie écoulée.

Alors que l’Afrique sera la plus forte zone de croissance à l’horizon 2013-2050 et que de nouveaux marchés y naissent chaque jour, la commission Védrine estime que doubler en 5 ans les exportations françaises en Afrique permettrait de créer 200.000 emplois en France !  Ce qui ressort maintenant manifestement, c’est que si l’Afrique a besoin de la France, la France a aussi besoin de l’Afrique.

Enfin, parmi les autres événements parallèles, il en est un qui intéresse aussi  les ONG et qui a été piloté par Pascal Canfin, ministre délégué au développement, et par l’Agence Française de Développement (AFD), c’est le « Forum Afrique – 100 innovations pour un développement durable » pour lequel plus de 800 projets ont été reçus en un mois ! L’enjeu déclaré est d’intégrer la durabilité dans l’agenda du développement, de lutter contre la pauvreté et simultanément contre le réchauffement climatique qui n’épargnera pas l’Afrique. C’est tout l’enjeu  d’un  nouvel accord international sur le climat qui sera conclu lors de la Conférence Paris Climat 2015, et des Objectifs de Développement Durable pour l’après 2015.

Et les ONG dans tout cela ?

Certes, le Chef de l’Etat a reçu le 21 novembre une délégation d’une dizaine d’ONG de Droits de l’Homme et de développement, conduite par coordination Sud,  pour écouter leurs analyses, attentes et suggestions en perspective du Sommet.  C’est bien, mais est- ce suffisant ? Certes, ce Sommet est celui de chefs d’Etat et de gouvernement en présence de hauts représentants des grandes organisations internationales. Certes la priorité économique explique ce Forum à Bercy avec des chefs d’entreprises.

Mais les ONG françaises et l’ensemble des ONG internationales actives en Afrique, ne représentent-elles pas un potentiel de liens avec l’Afrique, de solidarité, d’action, d’innovation, de compétences, de formation, de transfert de savoir-faire, d’information, de mobilisation de l’opinion publique et finalement de milliers de programmes réalisés avec les Africains dans la durée ? Tout cela a-t-il oui ou non une valeur et un impact méritant un peu de considération et de reconnaissance comme un investissement pour l’avenir ?

Les ONG seraient-elles ce partenaire dont on oublie l’existence dans ce genre de Sommet ? Bien sûr, les ONG peuvent rappeler des vérités qui fâchent et parfois même être dans la simplification, voire l’anathème. Mais les invités du Sommet sont-ils tous vertueux, honnêtes, fiables et efficaces, notamment en matière de gouvernance et de droits de l’Homme ? Il y a là aussi un double discours entre ce qui nous est dit quand ça va mal en RCA, au Mali ou ailleurs et que l’on compte sur nous, et l’absence de la solidarité avec les ONG à un moment ou à un autre de ce Sommet.

Mais il y a des réflexions plus importantes pour les ONG

Comment va se concrétiser et évoluer le couple sécurité-développement ? Où se trouve l’humanitaire dans cette équation présidentielle quand il y a crise et insécurité ? La réflexion sur les rapports entre le militaire et l’humanitaire devra sans doute être revisitée dans le cadre d’une approche qui se veut globale et dont on voit bien la logique.

Oui l’Afrique se développe à grands pas et c’est heureux. De plus, en 2040 sa population aura doublé et plus de la moitié de celle-ci aura moins de 20 ans. Quels seront alors les effets du réchauffement climatique, de l’urbanisation et quelles infrastructures, quels services, quel système éducatif répondront à sa croissance démographique phénoménale ?  Comment les ONG doivent-elles anticiper ces changements d’échelle dans leurs missions, leurs capacités et leurs objectifs alors que ces évolutions sont déjà à l’œuvre et s’accélèrent ?

Si l’aide humanitaire intègre bien la réduction des risques liés aux catastrophes, est-ce-vraiment suffisant ? Comment faire de la prévention efficace et durable face aux conséquences du changement climatique ? Au-delà des réponses ponctuelles, ici et là pour parer au plus pressé, quelle vision plus large, quelle prévision doit-on intégrer dorénavant dans nos plans d’action ?

Quelle place pour l’économie sociale et solidaire (ESS), pour la responsabilité sociale des entreprises (RSE), quelles plus-values rechercher dans les projets multi-acteurs et quels enseignements en tirer pour dupliquer les réussites ?

Tout cela est sans doute engagé ici et là, mais avons-nous le bon rythme et toutes les clefs pour faire  mieux ?

Si ce Sommet a été dédié à la sécurité et à la paix, au développement qui se veut rapide et durable, c’est bien qu’il s’agit là de risques et d’enjeux majeurs et la Centrafrique aujourd’hui, comme le Mali, la Côte d’Ivoire, le Soudan du Sud ou la RDC, sont là pour nous rappeler, simultanément, que l’urgence est toujours d’actualité. Sans même parler de la Syrie et du grand Moyen-Orient !

Il y a lieu d’être lucide et interrogatif sur nos capacités collectives de progrès quand l’on constate que la simple coordination entre les phases d’urgence, de reconstruction et de développement n’est toujours pas effective dans les mécanismes institutionnels, tant à Paris qu’à Bruxelles, alors qu’on en parle depuis plus d’une quinzaine d’années !

Ce n’est bien sûr qu’un exemple, mais n’a-t-il pas valeur de test sur nos capacités d’adaptation et de réforme ? C’est le sens du communiqué de presse publié par la Coordination Humanitaire et Développement  s’adressant au Chef de l’Etat le 3 décembre.

Alors que restera-t-il de ce Sommet ?

L’avenir le dira bientôt. Roland Marchal, politologue au CERI (Centre d’études et de recherches internationales) écrivait récemment (Le Monde du 6.12.13) « La politique de la France en Afrique demeure sans souffle ni vision… ».

L’avenir nous dira si ce Sommet relevait de l’incantation ou d’un véritable changement de cap. Dans l’immédiat, la Centrafrique nous rappelle cruellement que la sécurité, la paix et le développement sont encore souvent des rêves à réaliser, alors que « le pire pourrait être encore à venir »  en RCA, comme le disent l’Archevêque de Bangui et le Président de la Communauté islamique (Le Monde 27.12.13).

Finalement, et pour conclure, nous retiendrons la note d’optimisme de Jeune Afrique (n° 2761 du 8 au 14.12.13) pour qui la France a « …pris la décision de renouer politiquement et économiquement… » avec l’Afrique et que « Tous sont conscients que si le changement ne se produit pas maintenant et d’un commun accord, il s’imposera plus tard, sous la pression… ». A suivre.

 

Alain Boinet

Alain Boinet, fondateur de Solidarités International, président de la Coordination Humanitaire et Développement, membre du Conseil d’Administration de Coordination Sud. Plus l’indication sur le blog www.alainboinet.com.