Djihadistes : « Je ne vous en dirai pas plus »…

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Plusieurs centaines de Français, plusieurs milliers d’Européens s’en sont allés au Bilad al Sham, cette région appelée en français le Levant. Un vaste espace territorial et idéologique qui englobe le Liban, la Jordanie, la Palestine, une partie de l’Irak… Pour ces Français djihadistes, la Syrie est aujourd’hui le Sham ou le Bilad al Sham. La terre promise… Là où tout doit renaître d’un chaos annoncé et certain.

« Ces » investis par une mission partent combattre le Mal, l’Occident, mais certains reviennent… Combien sont-ils à être revenus sur le sol européen après avoir combattu en Syrie ? L’actualité de ces dernières semaines offre quelques éclairages. Ce qu’apprennent et relatent les médias ne représente qu’une partie visible de l’iceberg.

Face à la communication très « politique intérieure » du gouvernement, le citoyen est en droit de pouvoir mesurer et comprendre l’importance de ce phénomène ‘départ – retour’ de djihadistes européens, originaires de France, Danemark, Espagne…

Le Français Mehdi Nemmouche, tireur présumé du musée juif de Bruxelles, délinquant converti à l’islamisme radical, en détention, avait semble-t-il une fascination pour Mohamed Merah… Etait-il lui-même un nouveau Mohamed Merah, assassin – pour rappel, de trois militaires, puis de trois enfants et d’un père juifs, en mars 2012 à Toulouse et Montauban ?

Les enquêteurs belges se penchent sur le réseau relationnel de Nemmouche dans ce pays, place forte des candidats au jihad en Syrie. Le profil de Nemmouche est-il celui d’un « loup solitaire », comme dressé par le ministre français de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve?

Mehdi Nemmouche sort de sa dernière détention en décembre 2012, signalé comme s’étant radicalisé. Trois semaines plus tard, il part en Syrie via Bruxelles et intègre le groupe radical EIIL, Etat Islamique en Irak et au Levant. Nemmouche reste un peu plus d’un an en Syrie, puis revient en Europe via l’Asie .

Les services de renseignement donnent ces chiffres : ils sont entre 2 000 et 3 000 Européens à s’être rendus en Syrie, depuis la France, le Royaume-Uni, le Danemark, la Norvège et la Belgique. Ils seraient là-bas 600 à 800 Français, dont une partie serait revenue. Combien ? Et avec quelles motivations ? Quel retour dans un monde occidental avec lequel ils sont en totale rupture ? Quel retour dans un monde occidental qu’ils entendent combattre comme le Mal absolu ? Et puis comment gérer un tel retour alors que pendant des mois le quotidien était fait des atrocités commises ?

Pour les spécialistes du contre-terrorisme, le retour de ces jihadistes est une menace majeure d’attentats sur le sol européen et maghrébin. En Tunisie, au Maroc, la saison estivale de juin à septembre s’annonce sous très haute surveillance.

Il faut mobiliser 15 policiers – employons ce terme générique…en moyenne 24 heures sur 24 pour la surveillance d’un présumé djihadiste. Comparaison n’est pas raison, mais pour la libération d’un otage, c’est en moyenne 30 personnes qui sont mobilisées 24 heures sur 24 pendant des mois, voire des années. Un des derniers cas d’arrestation en date est celui de Cédric Vuillemin, 23 ans, un jeune Français soupçonné d’être lié à des filières de recrutement…

Une trentaine de Français ont été tués en Syrie selon les services français. Le dernier en date est Chaquir Maaroufi, un Franco-marocain de 30 ans, originaire de la commune de Mourenx, dans les Pyrénées-Atlantiques. Maaroufi, aux yeux des spécialistes du contre-terrorisme, était un personnage important dans le monde des jihadistes français. Très actif sur les réseaux sociaux, Maaroufi était considéré comme un « rabatteur » de premier plan pour l’EIIL.

Belgique, Danemark, France et Espagne… Le ministère espagnol de l’Intérieur a annoncé début juin avoir démantelé, dans l’enclave de Melilla au nord du Maroc, une cellule chargée de recruter puis d’envoyer des combattants jihadistes au Mali et en Libye. Six personnes ont été arrêtées. « Parmi les personnes arrêtées se trouverait le premier jihadiste espagnol revenu du conflit au Mali après être passé par les camps d’entraînement du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) », un des groupes islamistes armés alliés à Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), selon le communiqué du ministère espagnol.

Pour l’Espagne, c’est la deuxième opération de ce genre en quelques mois: mi-mars, les polices espagnole et marocaine ont démantelé une cellule qui envoyait des combattants en Syrie, au Mali et en Libye. Les chiffres officiels donnent la mesure de la menace : 472 jihadistes ont été arrêtés en Espagne depuis 2004.

« Il y a des gens qui recrutent des jihadistes. Il y a, à l’heure où je vous parle, des arrestations en Ile-de-France et dans le sud de la France », a reconnu début juin Bernard Cazeneuve sur Europe 1 poussé par l’actualité et voulant prouver l’efficacité de ses services. « Je ne vous en dirai pas plus », a déclaré le ministre.

Certes, la lutte contre les groupes armés djihadistes rime avec secret et action. Mais le dire ainsi, aussi sèchement – « Je ne vous en dirai pas plus », sans expliquer la réelle menace qui pèse sur les citoyens est une erreur politique grave dans laquelle s’engouffre avec délectation Marine Le Pen qui a beau rôle de parler de fascisme vert…

Lire : « Les Français jihadistes », David Thomson (Edition Les Arènes, Paris, 2014)

Jean-Jacques Louarn

Jean-Jacques Louarn

Jean-Jacques Louarn est journaliste à RFI.